Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By Olivier Maurel

Deuxième lettre ouverte à Emmanuel Jaffelin

Retrouvez la première lettre ici

Cher Monsieur,

Merci pour votre réponse. Dès que je l’ai reçue, j’ai commandé votre Apologie de la punition qui, grâce à la magie de la wifi m’est arrivée en une minute.

Après lecture dans la journée de votre livre, je suis d’accord avec vous : nous sommes moins ennemis que je ne le pensais. Ou plus exactement moins ennemis que vous ne pensiez que je le pensais. Car en fait je ne vous ai jamais considéré comme un ennemi, mais comme quelqu’un qui manquait d’information sur le sujet précis des punitions infligées aux enfants.

Oui, je suis d’accord avec vous sur une multitude de points. Quand vous écrivez par exemple :

  • qu’il faut « chercher une dynamique visant à remettre le fautif en mouvement vers lui-même en même temps que vers la société » ;
  • qu’il faut « ouvrir la société pour que l’humanité prenne une nouvelle respiration »
  • qu’ « il y a en l’homme une force et une ressource qui sont, la plupart du temps, aussi peu exploitables que le pétrole enfoui dans les entrailles de la terre » ;
  • qu’il s’agit de « réparer, recoudre, restaurer » ;
  • que mieux vaudrait une justice réparatrice
  • que le système carcéral actuel est inacceptable, etc.

Et je pourrais encore longtemps poursuivre l’énumération de mes points d’accord.

Même quand vous parlez des enfants et que vous suggérez les nombreuses formes que peut prendre ce que vous appelez la « punition » : discussion, confrontation avec la ou les personnes impliquées dans la faute, recommandation d’aller s’excuser, restitution de ce qui a été dérobé, réparer ce qui a été abîmé. Tout cela me paraît bel et bon, mais je ne vois pas la nécessité de concevoir tout cela comme une « punition ». On peut le concevoir, comme vous le dites très bien, comme une réparation de la relation. Et je ne vois surtout pas la nécessité de rendre cette réparation humiliante. On peut très bien expliquer à l’enfant que si c’était lui qui était victime de la faute en question, il serait sûrement heureux de voir l’auteur de cette faute venir s’excuser et réparer. Et la privation ne me paraît pas nécessaire non plus, sauf si elle fait partie de la réparation.

Vous reconnaissez dans une note que la remise en question de la fessée et de la gifle sur la base de ses conséquences neurologiques mérite considération. C’est cela qu’il vous faut approfondir. Si vous le faites, comme je vous y ai invité dans mon premier message, vous ne pourrez plus recommander à la légère, comme vous le faites actuellement la gifle et la fessée.

Vous dites que la gifle doit être infligée avec parcimonie, que si elle devient trop fréquente elle est un échec. Vous la voyez comme le résultat d’un simple mouvement d’humeur dans le « corps à corps » familial où elle doit alterner avec les caresses. Mais la gifle n’est pas qu’un mouvement d’humeur. Elle est la répétition des gifles qu’ont subies les parents eux-mêmes et qu’ils répètent par mimétisme. Nos cousins les grands singes ne giflent pas leurs petits. C’est chez nous un réflexe acquis. Dans les pays où l’on frappe les enfants à coups de bâton, c’est le coup de bâton que l’on juge être un simple mouvement d’humeur. De plus, le risque de la répétition fréquente est d’autant plus grand qu’à partir d’un certain âge, l’enfant peut répondre par le défi : « Même pas mal ! ».

Vous citez le cas de Anders Behring Breivik, le tueur norvégien, qui a dit avoir manqué de discipline. Mais si l’on en juge par l’attitude de son père qui a quitté sa mère alors que l’enfant n’avait que un an et qui lui a marqué de plus en plus d’indifférence jusqu’à ne plus le voir du tout à partir du moment où il a eu 16 ans, et à refuser de le revoir onze ans plus tard, quand il a eu 27 ans, c’est bien évidemment d’affection et d’attention qu’il a surtout manqué. Si sa mère n’a pas compensé, ou si elle l’a élevé avec rudesse, ou les deux, il n’est pas étonnant que Breivik soit devenu ce que l’on sait. Le manque d’attention est une des pires violences.

Vous écrivez : « L’absence de punition est un semis invisible de violence. » Ce qui sous-entend que moins on punit, plus il va y avoir de violences. Or, cette affirmation est totalement démentie par l’histoire. La société des siècles passés où l’on punissait beaucoup plus violemment les enfants qu’aujourd’hui était incomparablement plus violente. Les révolutions et les conflits politiques et sociaux en France y ont fait au XIXe siècle des milliers de morts. Au XXe, où la violence éducative a heureusement beaucoup baissé en intensité, les mêmes conflits (à l’exception des guerres internationales et coloniales), ont fait certes, trop de victimes, mais incomparablement moins qu’au XIXe où tous les adultes avaient acquis dès leur enfance un seuil très élevé d’intolérance à la violence. Exactement comme aujourd’hui dans les pays où l’on s’entre-massacre de façon épouvantable et où les enfants sont élevés comme on les élevait en France au XIXe siècle.

A voir les quelques allusions que vous y faites, vous semblez encore croire à la théorie des pulsions de Freud. Plus on approfondit la recherche sur le développement du cerveau et du comportement des enfants, plus on voit que cette théorie est complètement dépassée. Les pulsions de parricide, d’inceste et de mort sont des mythes. En réalité, les enfants, qui sont, comme vous le rappelez avec Aristote, des animaux sociaux, naissent avec des comportements innés qui sont tous relationnels : attachement, imitation, empathie, altruisme (regardez les expériences de Warneken sur internet). Ces comportements innés leur confèrent des prédispositions à vivre en harmonie avec leurs semblables. Si ces prédispositions sont convenablement cultivées par des parents réellement présents, affectueux et attentifs, elles se développent. Mais si on traite les enfants avec gifles et fessées, comme vous le recommandez, on pervertit ces prédispositions. L’enfant apprend qu’attachement et violence peuvent aller ensemble (bonjour la violence conjugale, voire le masochisme!), ses neurones miroirs enregistrent les gestes de violence de ses parents et le préparent à les reproduire sur plus faible que lui (à l’imitation du schéma adulte frappeur- enfant), sa capacité d’empathie peut être réduite, voir détruite par la nécessité de se blinder, et son altruisme naturel peut être découragé. Sans compter les effets sur sa santé physique et mentale par le biais du stress subi dans une situation où l’enfant ne peut ni fuir ni se défendre (cf. les expériences de Laborit).

Ce dont vous ne vous rendez pas compte, il me semble, c’est que vous vivez non pas dans un monde où les enfants sont majoritairement rois, mais dans un monde où, dans la majorité des pays, les enfants sont encore battus à coups de bâton et de fouet, et que quand les parents qui utilisent ces méthodes entendent vos propos, ils se disent : «Nous avons bien raison de ne pas suivre les conseils des Occidentaux, eux-mêmes en reviennent. Regardez ce philosophe si sympathique qui recommande de punir, d’humilier et de frapper les enfants. Ne changeons surtout pas nos méthodes ! »

Vous avez actuellement accès aux médias : je vous en prie, ne détruisez pas par des propos inconsidérés tout le travail que nous sommes quelques-uns à mener en permanence pour que les enfants soient traités partout avec le respect dont ils ont besoin. N’oubliez pas que lorsque vous vous exprimez à la radio ou à la télévision, on ne retrouve dans vos propos aucune des nuances que vous avez mises dans votre livre, notamment par exemple, sur les conséquences neurologiques de la gifle ou de la fessée, et que tout ce qu’on retient, c’est : giflons, fessons, punissons, humilions les enfants pour ne pas en faire des enfants rois ! Est-ce vraiment le résultat que vous voulez obtenir ?

Bien cordialement.

Olivier Maurel

By Olivier Maurel

Lettre à Emmanuel Jaffelin

Monsieur,

J’ai écouté hier votre interview sur France Culture et je viens de regarder la vidéo où vous faites l’apologie de la gifle. J’avais un préjugé favorable à votre égard à cause de votre Éloge de la gentillesse, mais votre Apologie de la punition me laisse beaucoup plus perplexe.

J’ai l’impression qu’à partir de la juste critique que vous faites du système carcéral, vous avez développé une théorie que vous avez appliquée aux punitions infligées aux enfants, mais sans être vraiment informé ni de ce qu’est la réalité de ces punitions, ni de leurs effets sur des personnalités et des corps en construction.

Quand vous déplorez que la société ait dépossédé les parents du pouvoir de punir, allez-vous jusqu’à regretter qu’elle les ait dépossédés du droit de les battre à coups de bâton ou de fouet comme cela s’est fait partout, sauf dans certaines sociétés de chasseurs cueilleurs, depuis probablement le néolithique, et comme cela continue à se faire dans la plupart des pays du monde ? Si vous n’acceptez que la gifle et la fessée à cause de leur innocuité supposée, détrompez-vous : de multiples études récentes ont montré que ces formes de violences ont de multiples effets sur la santé physique et mentale des enfants. Vous connaissez un de ces effets si vous avez lu les Confessions de Rousseau. Plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres sur ce sujet m’ont assuré qu’il leur était arrivé exactement la même chose qu’à Rousseau. Et l’abondance des sites sado-masochistes sur internet permet de penser que ces cas ne sont pas isolés. Même si la fessée n’avait que cet effet nocif (or elle en a bien d’autres),en recommandant l’usage de la fessée aux  parents, vous les invitez tout simplement à jouer à la roulette russe avec la sexualité de leurs enfants. Ne pensez-vous pas que c’est une attitude un peu irresponsable ?

Votre éloge de l’humiliation me semble tout aussi irresponsable. Autant il est important d’expliquer clairement à un enfant que l’acte qu’il vient de commettre est inacceptable, autant il est inacceptable de l’humilier, lui, pour un acte dont, la première fois qu’il le commet, il n’est pas conscient de la portée. La distinction entre la condamnation de l’acte et celle de la personne est essentielle. Et elle le reste même s’il y a répétition de l’acte. Contrairement à ce que vous dites et à l’étymologie, humilier, ce n’est pas rendre humble, c’est faire perdre toute estime de soi, c’est briser le ressort qui permettrait un redressement, surtout chez un enfant.

Je vous invite à vous informer sérieusement sur ce qu’est réellement la violence éducative et sur ses conséquences. Vous trouverez toutes les informations nécessaires sur le site de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, notamment dans sa rubrique Textes scientifiques.

Bien cordialement.

Olivier Maurel
Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire
http://0liviermaurel.free.fr

By admin

Lettre ouverte à un pasteur suisse partisan du bâton biblique

Lettre publiée sur Facebook le 30 janvier 2014

Un ami m’a signalé une vidéo d’un pasteur suisse, Matthias Boelsterli, qui affirme que le meilleur moyen de discipliner les enfants, le moyen biblique, est le bâton.

Pourquoi ? Parce que si tu donnes des coups de bâton à ton enfant, il n’en mourra pas (c’est la Bible qui le dit). Parce qu’il vaut mieux frapper avec un bâton qu’avec la main parce que la main c’est fait pour bénir. D’autre part, le bâton, il faut aller le chercher, donc on a le temps de réfléchir. En dernière minute quand même il ajoute qu’il faut frapper avec modération.

J’ai mis un commentaire au bas de la vidéo. Le voici :

Monsieur le Pasteur,

Je partage un bon nombre des conseils que vous donnez aux parents. Mais, sur trois points, je ne suis absolument pas d’accord avec vous.

Primo : l’application stricte des conseils éducatifs de l’Ancien Testament. Leur application stricte suppose qu’on lapide les garçons indociles et les filles qui ont perdu leur virginité (Deutéronome 21, 18-21 et 22, 20). Du moment qu’on a heureusement remis en question ces préceptes, il est permis (et recommandé, à mon avis) de remettre en question ceux qui conseillent de battre les enfants.

Secundo : la fidélité à l’enseignement de Jésus. Tout ce que dit Jésus sur les enfants et notamment le fait qu’il nous les présente comme des modèles (« Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent »), mais aussi tout ses propos sur la douceur, sur le pardon, sur le respect des plus petits d’entre nos frères est incompatible avec le fait de battre les enfants. Ce qu’il a dit des enfants était sans doute la partie la plus révolutionnaire de son enseignement, mais cela n’a pas été compris, précisément parce que quand on a été un enfant battu, comme l’ont été ses disciples élevés selon les préceptes de l’Ancien Testament, on se considère comme coupable, on considère les enfants comme coupables et il nous devient presque impossible de penser qu’on peut élever les enfants sans la menace ou l’application du bâton.

Tertio : le bâton, d’après vous, ferait beaucoup de bien aux enfants. Je vous recommande d’aller sur le site de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (www.oveo.org) et de lire notamment toutes les études scientifiques qui montrent les effets de la violence sur les enfants.

Vous verrez que battre les enfants est une des meilleures manières de pervertir leurs qualités naturelles.

Bien cordialement.

By admin

Lettre à Jean-Claude Guillebaud

Cher Monsieur,

Je lis avec retard votre Bloc-notes du 29 juillet 2010 dans La Vie.

Vous y soutenez une thèse qui me surprend une fois de plus (car je vous ai déjà écrit à ce sujet).

Vous écrivez que “la violence est une énigme anthropologique”. Je suppose que l’adjectif “anthropologique” renvoie au fait qu’elle atteint dans l’espèce humaine un degré que n’atteint aucune espèce animale. Mais dire qu’elle est “une énigme”, c’est ne pas tenir compte de la manière dont, depuis des millénaires, sont “élevés” (si l’on peut dire !) les enfants.

Depuis des millénaires, en effet, on considère comme normal de les battre pour les faire obéir, et souvent de les traiter avec mépris. Ceux que vous appelez des “voyous” qui ont tiré à balles réelles sur des policiers sont très vraisemblablement des jeunes issus de familles elles-mêmes originaires de régions du monde où la violence éducative est encore au niveau qu’elle atteignait couramment chez nous jusqu’au XIXe siècle environ : bastonnades, coups de ceinture et autres châtiments à la fois cruels et humiliants. Et ces violences ont été subies par ces enfants durant toute les années où leur cerveau se formait. Leur effet est ravageur : perversion de l’attachement, perte de la capacité d’empathie, mimétisme de la violence subie, volonté de dominer ou tendance à se soumettre à des leaders violents.

Il n’y a là rien d’énigmatique. Les études les plus récentes sur les comportements violents des jeunes montrent que les éléments les plus déterminants de ces comportements ne sont pas des causes socio-économiques, mais bien des facteurs psycho-affectifs, dont les relations parents-enfants.

Et cette violence infligée aux enfants, souvent dès les premiers mois de leur vie, non pas par des parents maltraitants mais par des parents qui croient bien faire parce qu’ils ont été élevés de la même manière par leurs propres parents, ne peut pas être assimilée aux autres violences. Car c’est elle qui détruit dès le départ dans le corps et dans le psychisme des enfants les capacités relationnelles innées avec lesquelles ils viennent au monde comme tous les animaux sociaux, capacités qui, respectées, sont la source des plus grandes qualités humaines.

Connaissez-vous les résultats de l’enquête réalisée par deux Américains, Samuel et Pearl Oliner, sur l’éducation reçue par les “Justes” ? Ils ont pu en interroger plus de 400. Or, les réponses les plus fréquentes qu’ils ont données ont été les suivantes :

  • ils ont eu des parents affectueux
  • des parents qui leur ont appris l’altruisme
  • des parents qui leur ont fait confiance
  • une éducation non autoritaire et non répressive.

Les deux premiers points n’ont rien de très exceptionnel et ne peuvent pas suffire à expliquer le comportement d’altruisme des Justes. Mais les deux suivants reflètent une attitude éducative beaucoup moins fréquente, sinon rarissime, surtout à l’époque où les Justes ont vécu leur enfance et où l’éducation était le plus souvent brutale.

Cet exemple montre bien que des enfants dont l’intégrité a été respectée par des parents qui répondaient à leurs besoins d’affection et de modèles structurants peuvent développer les plus grandes qualités humaines et les pratiquer de façon naturelle et nullement, c’est encore ce que montrait l’enquête, par esprit de sacrifice. Il montre aussi que, n’en déplaise à Thérèse de Lisieux que vous citez : “Nous ne sommes pas tous capables de tout”. Quand on a eu une enfance respectée, on est très peu porté à faire violence aux autres. Inversement, la violence subie fait que la violence agie ou la soumission à la violence va de soi.

J’ai aussi été très surpris de vous voir affirmer que “Nos sociétés libérales et ouvertes ont plus de mal que les autres à contenir la violence”. Comment pouvez-vous affirmer cela alors que vous savez certainement, tous les historiens et sociologues en témoignent, que le niveau de la violence dans notre société est très inférieur à celui qu’il était dans les siècles antérieurs ou dans les sociétés autoritaires ? Et pour ma part, je suis convaincu, comme Emmanuel Todd l’avait d’ailleurs montré dès 1979 dans son livre Le Fou et le prolétaire, que la violence des sociétés était proportionnelle à la violence des modes d’éducation qui y sont pratiqués. Dans la France actuelle, le niveau moyen de la violence éducative a considérablement baissé même si le pourcentage de parents qui utilisent claques et fessées est encore important. Mais dans les sociétés où la violence éducative est restée au même niveau qu’elle atteignait chez nous aux XVIIIe et XIXe siècles, la violence apparaît à un fort pourcentage d’adultes comme un moyen normal de résoudre les conflits et la moindre émeute peut tourner au massacre comme c’était le cas chez nous au XIXe siècle.

Je me permets de vous recommander la lecture de mon livre « Oui, la nature humaine est bonne ! Comment la violence éducative la pervertit depuis des millénaires” (Laffont, 2009). J’y ai montré comment la violence éducative a agi profondément non seulement sur les corps et les esprits mais aussi sur la culture, les religions et surtout le manière dont nous concevons la nature humaine.

Bien cordialement.

Olivier Maurel, le 29 octobre 2011

By admin

Réponse à Boris Cyrulnik

Un des commentaires critiques les plus étonnants concernant la campagne de la Fondation pour l’enfance est celui de Boris Cyrulnik.

Dans une interview donnée à l’AFP le 27 avril 2011, donc le jour même de la présentation de la campagne à la presse, Boris Cyrulnik juge de façon catégorique cette campagne qu’il considère de très haut comme « naïvement bien intentionnée » et « maladroite ».

D’après lui, elle va « culpabiliser les parents ». Ce n’est vraiment pas l’impression qu’on a quand on lit sur internet les commentaires sur la campagne dans les multiples forums où on en discute. On y voit au contraire partout s’afficher la bonne conscience des partisans de la gifle et de la fessée qui trouvent qu’on n’en donne pas assez. Et d’autre part, il me semble normal de se sentir coupable si on s’est laissé aller à frapper une personne humaine et, à plus forte raison, un enfant. C’est tout simplement le signe qu’on a une conscience.

D’ailleurs, au moment où je rédige cette réponse, une mère m’écrit :

« Personnellement c’est justement grâce à cette culpabilité dont tout le monde semble avoir si peur que j’ai commencé à comprendre que quelque chose n’était pas « normal » dans mon comportement et c’est ce qui m’a aussi donné l’envie d’aller chercher des réponses à mes questions ».

Mais c’est la suite des propos de Cyrulnik qui est la plus étonnante : « Il faut rechercher les causes de la fessée. C’est toujours soit un désarroi parental, soit un trouble du développement de l’enfant. » Il faut vraiment ne s’être jamais informé sérieusement sur la violence éducative pour tenir de tels propos.

Les deux raisons principales pour lesquelles depuis des millénaires on frappe les enfants n’ont rien à voir avec ce qu’affirme Boris Cyrulnik.

On frappe les enfants d’abord parce qu’on croit qu’il faut les frapper, comme en témoignent une multitude de proverbes dans tous les pays, dont le plus connu est « Qui aime bien châtie bien ». Et pour voir que cette cause est toujours active, il suffit de lire les commentaires des internautes sur la campagne, d’après lesquels toutes les incivilités attribuées à la jeunesse actuelle viendraient de ce qu’on ne frappe plus assez les enfants.

La seconde raison pour laquelle on frappe les enfants est précisément celle que dénonce la campagne : la répétition de génération en génération. Quand on a été frappé, la première chose que notre corps apprend, c’est à frapper, par simple mimétisme. On peut ensuite se raisonner et s’interdire de frapper, mais le geste a été enregistré très tôt par nos neurones miroirs et reste dans notre corps tout prêt à être reproduit. C’est ce que nous ressentons quand nous disons que « la main nous démange ».

Ce qu’il y a de nouveau actuellement, c’est que depuis quelques dizaines d’années, dans les pays européens, le niveau de violence des coups donnés aux enfants a baissé. Alors que la violence éducative ordinaire incluait jusqu’au XIXe siècle, en plus des gifles et des fessées, les coups de bâton et de ceinture et d’autres punitions très violentes, on s’est mis heureusement, grâce à l’influence de quelques pionniers de l’éducation, à considérer comme maltraitance l’emploi du bâton et de la ceinture, tout en continuant à trouver le martinet « normal » jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, en général, ne sont plus considérés comme « éducatives » que les gifles et les fessées.

Un bon nombre de parents ont commencé à prendre conscience aussi qu’il n’était pas plus normal de gifler et fesser un enfant que d’infliger le même traitement à un adulte. Mais comme, à cause du mimétisme de ce qu’on a subi, il est difficile de ne pas le reproduire, un bon nombre de parents sont effectivement en désarroi parce que le réflexe de fesser ou gifler leur revient contre leur volonté. Autrement dit, contrairement à ce que dit Cyrulnik, ce n’est pas le désarroi qui produit la fessée, c’est bien plutôt la fessée qui produit le désarroi chez les parents conscients de sa nocivité.

Quant à l’explication de la fessée par les « troubles de développement
de l’enfant », quand on sait que 85% des enfants français subissent
gifles et fessées, on se demande bien à quelle fraction de ce
pourcentage Boris Cyrulnik attribue des « troubles du développement »
qui provoqueraient les fessées parentales.

Cyrulnik poursuit : « Donc je pense qu’il faut entourer les parents au
lieu de diminuer leur autorité en signifiant aux enfants Vos parents
n’ont pas le droit de vous toucher« .

Ce n’est certainement pas nous qui contesterons la nécessité d’ »entourer », de soutenir les parents. Mais ce n’est pas en continuant à considérer comme éducatives les gifles et fessées qu’on les aide à maintenir leur « autorité ». Si ce mot a un sens, il désigne l’influence positive que les parents peuvent avoir sur les enfants pour les aider à devenir eux-mêmes et à déployer tout leur potentiel d’humanité. Or, les fessées et les gifles qui enseignent la violence du fort au faible ne contribuent en rien à cette forme d’autorité.

« Il faut bien sûr éviter les violences éducatives, mais ce n’est pas
en faisant une loi qu’on pourra y travailler.

Si une loi est nécessaire pour interdire la violence éducative, c’est précisément parce que nous l’avons presque tous subie et que les schémas qu’elle a mis en place dans nos neurones nous amènent à la reproduire, exactement comme au XIXe siècle et dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui encore, on reproduit ou reproduisait sur ses enfants les coups de bâton subis dans l’enfance. Pour mettre un coup d’arrêt à cette chaîne de violence, il faut une loi émanant d’une autorité supérieure à celle des parents, et qui dise clairement qu’on ne doit faire violence à aucune personne humaine, à plus forte raison une personne humaine en formation.

« L’interdit chez l’enfant est une fonction structurale majeure. Plus l’interdit est énoncé, moins on a besoin de violence physique », ajoute Boris Cyrulnik.

Il est évident qu’on ne peut et qu’on ne doit pas tout permettre aux enfants. Mais accorder à l’interdit « une fonction structurale majeure, c’est faire passer au second plan la tendresse, la protection, la bienveillance, la confiance et bien d’autres formes de relations infiniment plus « structurantes » que l’interdit.

Quand Cyrulnik ajoute qu’ « autrefois, un simple froncement de sourcil permettait de se faire obéir de l’enfant » et qu’ « actuellement il n’y a plus d’autorité paternelle et (que) le recours à la violence devient un substitut très maladroit » , il oublie de dire que derrière le « froncement de sourcil », dans la plupart des cas, il y avait la menace des coups qui, tous les proverbes anciens le disent, étaient inséparables de l’autorité paternelle. Nos gifles et nos fessées ne sont pas « un substitut » d’une autorité défaillante, mais le résidu d’une méthode d’éducation au moins cinq fois millénaire qui a fait de l’humanité une des espèces animales les plus violentes de la planète en dressant les enfants à la violence dès le plus jeune âge.

By admin

Lettre à Sandrine Garcia

Madame,

Je suis un de ces “entrepreneurs de morale” dont vous ne parlez pas avec beaucoup d’aménité dans votre livre Mères sous influence. Pire, je suis le fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire que vous mentionnez deux ou trois fois. Et pire encore, j’ai été effectivement très marqué par la lecture des livres d’Alice Miller. Dernière circonstance aggravante : j’ai écrit trois livres sur la violence éducative !

J’ai lu votre livre, Mères sous influence, avec intérêt, bien qu’avec quelque irritation parfois, vous vous en doutez, surtout dans sa seconde partie qui concerne davantage mes centres d’intérêt et mes recherches.

J’essaierai de résumer les accusations que vous portez contre le courant issu des travaux d’Alice Miller et d’y répondre au fur et à mesure :

1. Nous pratiquons un “ethnocentrisme de classe” en diffusant des pratiques éducatives propres aux classes moyennes et en disqualifiant du même coup les classes populaires sur lesquelles nous tendons à établir une “police des familles”.

Il me semble que, sur ce point, votre livre, écrit d’un point de vue sociologique, manque passablement de perspective historique. Car existe-t-il un seul mouvement historique important allant dans le sens de la reconnaissance des droits de la personne qui n’ait pas eu sa source dans des milieux sociaux qui d’une part avaient accès au savoir, d’autre part, contrairement aux classes dominantes, n’avaient aucun intérêt particulier à conserver l’ordre établi ? Les idées des Lumières à l’origine de la Déclaration des droits de l’homme sont nées dans la bourgeoisie et chez certains aristocrates.

Classes moyennes signifie classes relativement instruites et capables de diffuser les idées fondées sur les savoirs nouveaux de leur temps et allant donc nécessairement à contre-courant de l’opinion publique marquée par la tradition et peu informée. Les premières suffragettes dont l’action a abouti au droit de vote des femmes, étaient elles aussi issues de la classe moyenne, et même de sa partie la plus instruite.

Croyez-vous que les pays africains où se pratique l’excision parviendront à se débarrasser de cet usage sans l’action de personnes issues des classes les plus instruites et les plus conscientes de ces pays ? Ou bien pensez-vous que les Africaines qui luttent contre l’excision cherchent aussi à « disqualifier les pratiques des classes populaires » ?

Si le mouvement en faveur des droits de la personne ne vient pas des classes populaires, ce n’est pas dû à une infériorité de ces classes, mais au fait que les traditions ont un immense pouvoir sur notre esprit, ce qui explique la durée plurimillénaire de l’esclavage, de la violence exercée sur les femmes, des sacrifices humains, de l’excision, et de multiples usages qui ne tiennent que par tradition.

Pour se dégager d’une tradition très ancienne transmise de génération en génération, comme celle des punitions corporelles, il faut avoir eu accès à un minimum de connaissances, ce qui, malheureusement, est rarement le cas dans les classes populaires, et avoir été capable de remettre en question le mode d’éducation que l’on a subi de ses parents, ce qui est encore plus difficile.

Bref, il me semble un peu léger de stigmatiser des idées sous le prétexte qu’elles sont nées dans les classes moyennes.

D’autre part, si nous souhaitons effectivement une interdiction des punitions corporelles et humiliantes, ce n’est pas pour établir une “police des familles”. Nous souhaitons que cette interdiction ne soit inscrite que dans le Code civil et non dans le Code pénal où existent d’ailleurs déjà, sans que nous y soyons pour rien, des sanctions extrêmement sévères pour les coups et blessures, avec circonstances aggravantes lorsque les coups sont infligés par les parents.

2. Les pratiques éducatives que nous diffusons visent à moraliser les mères et à les réduire à leur fonction maternelle.

Il est vrai que c’est encore aujourd’hui sur les femmes que pèse le poids de l’éducation des enfants. Mais les choses évoluent et nous souhaitons qu’elles évoluent. De plus en plus de pères acceptent de partager les tâches d’éducation et nous souhaitons que le plus possible de mesures concrètes soient prises dans l’organisation du travail notamment pour que cette évolution s’accélère.

Il faut ajouter que le nombre d’enfants par couple diminuant, les tâches d’éducation occupent dans la durée de la vie, une place de plus en plus limitée et pourraient donc être plus facilement partagées à égalité entre les sexes.

3. En énonçant de nouvelles normes d’éducation, nous fabriquons de la déviance, puisque plus il y a de normes, plus il y a de déviances par rapport à ces normes.

Certes, quand aucune fâcheuse norme n’interdisait aux maris de battre leur femme, ils n’étaient pas déviants quand ils se le permettaient ! Heureuse époque ! La regrettez-vous ?

4. Nous dramatisons les pratiques éducatives populaires comme les tapes, gifles et fessées et les faisons entrer indûment dans la catégorie de la maltraitance.

Est-ce dramatiser la gifle que de la considérer comme une forme de violence conjugale ? Or, un enfant est encore plus vulnérable et fragile qu’une femme adulte. Pourquoi cette discrimination ? Parce que l’enfant ne comprend pas d’autre argument que les coups ? Alors, préconisons aussi la tape et la gifle pour les personnes atteintes d’un handicap mental ou pour les personnes âgées atteintes d’un alzheimer et qui refusent de faire ce qu’on leur demande. Car l’origine de la difficulté est la même : problème d’âge (très jeunes dans un cas, très vieux dans l’autre) et d’état du cerveau (immaturité dans un cas et dégradation dans l’autre).

5. Nous rejetons la résilience qui, elle, relativise le statut de victime et propose une perspective dynamique.

Ce n’est pas la résilience que nous remettons en question, mais l’importance que lui attribuent ceux qui la présentent comme la panacée. En effet, pour la juger, il faut distinguer les cas de maltraitance reconnue dans une société donnée et les cas de violence éducative tolérée.

Dans le premier cas, les enfants maltraités ont toutes les chances de trouver autour d’eux des personnes (voisins, autres membres de la famille, voire assistantes sociales, juges, policiers) qui leur feront comprendre que ce qu’ils ont subi n’est pas normal. Ayant effectué cette prise de conscience, ils courent moins de risques de reproduire ce qu’ils ont subi.

Mais un enfant qui est seulement victime de violence éducative tolérée dans la société où il vit (qu’il s’agisse de la gifle, de la fessée ou de la bastonnade) ne trouvera sans doute autour de lui que des personnes qui lui diront qu’on a bien eu raison de le frapper puisqu’il a eu tel ou tel comportement répréhensible. Et donc, il reproduira sans état d’âme ce qu’il a subi sans se poser d’autres questions.

C’est la raison pour laquelle l’usage des punitions corporelles dure depuis environ cinq millénaires malgré les convictions bien établies des adeptes de la résilience qui prétendent que seuls 20% des individus reproduisent ce qu’ils ont subi. Si c’était exact, il y a beau temps que plus personne ne frapperait les enfants. Mais les adeptes de la résilience acceptent très mal de reconnaître une exception si monumentale aux bienfaits de la résilience.

Quant à la “perspective dynamique” dont vous marquez avec raison la nécessité, nous en sommes aussi convaincus, mais ne voulons pas l’établir sur une croyance illusoire. La répétition de ce qu’on a subi n’est pas automatique, mais c’est presque la règle quand il s’agit de la violence éducative tolérée dans la société où l’on vit.

6. Nous faisons de la morale en croyant faire de la science.

Les connaissances concernant le développement du cerveau ont extraordinairement progressé durant les dernières décennies. Les découvertes concernant l’importance de l’attachement, concernant les neurones miroirs et l’imitation, les enquêtes multiples effectuées sur les effets des punitions corporelles sur la santé physique et mentale, ne laissent plus de doutes sur les effets nocifs des punitions corporelles et humiliantes. Bien sûr, chacun est libre de refuser de s’informer sur ces apports de la science. Mais c’est un peu dommage quand on est soi-même une scientifique.

7 Nous devrions remplacer une stratégie de dénonciation par une compréhension des conditions sociales, économiques et culturelles favorisant les comportements familiaux que nous jugeons déviants.

Contrairement à ce que vous semblez supposer, l’usage des punitions corporelles n’est pas du tout le propre des classes populaires. Depuis des millénaires, les punitions corporelles sont le moyen d’éducation le plus employé à tous les niveaux de la société. De multiples proverbes les ont préconisées sur tous les continents et tous les enfants les subissaient quel que soit leur milieu d’origine, de la part de leurs parents et de leurs maîtres. Ce ne sont pas les “conditions sociales, économiques et culturelles” qui favorisent cet usage, c’est le fait d’y avoir été soumis ou non dans son enfance, qu’on soit fils de roi (voir l’éducation du petit Louis XIII par Henri IV) ou fils d’ouvrier ou de paysan.

Ceci dit, il est exact que depuis un siècle et demi environ, l’intensité des punitions corporelles a sensiblement baissé dans un bon nombre de pays industrialisés dont la France (sans toutefois que le pourcentage de parents qui les utilisent ait beaucoup diminué) et, bien sûr, le mouvement a commencé d’abord dans les classes moyennes qui lisaient les livres de puériculture, et s’est étendu progressivement aux classes populaires.

Mais à la fin du siècle dernier, sont arrivées en France des familles originaires de régions du monde où le niveau de la violence éducative était resté le même que celui où on en était en France aux XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire au niveau de la bastonnade et de la flagellation. Le travail de sensibilisation est donc à poursuivre et à intensifier, non pas pour répandre “l’idéologie des classes moyennes”, mais parce que les besoins fondamentaux des enfants de ces familles sont les mêmes que ceux des enfants des classes moyennes et que les effets des punitions corporelles sur leurs comportements innés sont les mêmes que sur les enfants des familles françaises.

8. Alice Miller et nous serions “rousseauistes”.

Si vous aviez vraiment lu Alice Miller au lieu de vous contenter de parcourir son site, vous sauriez qu’elle a dénoncé dans plusieurs de ses livres les manipulations recommandées par Rousseau dans Émile. Vous pourrez lire d’ailleurs bientôt sur notre site une analyse très détaillée de l’attitude de Rousseau par rapport à la violence éducative.

 

Dernier point : Je ne comprends pas très bien comment sont compatibles avec vos critiques deux de vos remarques, l’une sur la démonstration par Philippe Ariès du mouvement historique de fond dans le sens de la valeur accordée à l’enfant (p. 375), et l’autre sur l’amélioration des conditions d’accueil des enfants dans les institutions, amélioration due à l’action des psychanalystes (pp. 214 et 274).

Le mouvement que nous représentons n’est rien d’autre que le prolongement des deux tendances ci-dessus. Trouvez-vous vraiment suffisantes dans le monde actuel la valeur accordée à l’enfant et les conditions d’accueil dans les institutions et dans les familles ? Si oui, je vous recommande la lecture du livre d’Anne Tursz, Les Oubliés, qui montre, à partir d’une enquête extrêmement rigoureuse combien les mesures de protection des enfants sont encore scandaleusement insuffisantes.

Il m’est arrivé dans cette lettre de vous répondre de façon un peu ironique. Mais reconnaissez que vous ne nous ménagez pas non plus. Croyez cependant que je souhaite sincèrement un dialogue entre nous, ne serait-ce que pour savoir si j’ai mal interprété votre pensée ou si certains de ses aspects m’ont échappé. Peut-être retireriez vous vous-même de ce dialogue un approfondissement de vos propres convictions.

Bien cordialement malgré nos différends.

Olivier Maurel

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Lettre à Michel Onfray

Cher Monsieur,

J’ai été, ces dernières semaines, un auditeur aussi fidèle que possible de la retransmission de vos conférences sur France Culture. Je les écoute souvent en jardinant et j’avais eu déjà l’occasion de vous écrire, notamment à propos de la pulsion de mort qu’à l’époque, il y a deux ou trois ans, vous ne sembliez pas remettre en question alors que j’y voyais une aberration.

Je viens de terminer la lecture de votre livre sur Freud (Le Crépuscule d’une idole, L’Affabulation freudienne, Grasset, 2010). Je partage la plus grande partie de vos critiques à l’égard de  la psychanalyse.

Mais il y a deux ou trois points sur lesquels je suis en désaccord avec vous.

J’ai été d’abord très étonné de votre réaction face aux accusations que Freud a portées contre son père. Vous semblez avoir été extraordinairement choqué qu’il ait pu accuser son père d’inceste. Vous parlez d’”effrayante”, d’”extravagante” théorie de la séduction, ce qui fait qu’”on frémit à sa lecture”. Vous n’ignorez pourtant pas que les cas d’inceste sont très fréquents, qu’ils l’étaient sans doute beaucoup plus à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, compte tenu du puritanisme ambiant, et qu’ils ne concernaient pas que les pères (et cela Freud le savait et l’a dit).

Une juge pour enfants m’a dit avoir entendu un père d’origine paysanne, répondre à l’accusation d’inceste sur sa fille et à propos de sa défloration : “Madame, je n’aurais jamais laissé faire ça par quelqu’un d’autre”. Cela en dit long sur la banalité de ces comportements et sur la bonne conscience qui les accompagnait. Une enquête effectuée à Genève à la fin du dernier siècle sur 1200 adolescents aboutissait au constat que 33,8% des filles avaient subi des abus sexuels, dont un bon nombre dans leur famille. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que, parmi les patients de Freud, qui, puisqu’ils venaient le consulter, étaient atteints de façons diverses dans leur santé, ce pourcentage ait été nettement plus élevé et qu’il ait pu y voir une constante ?

Contrairement à vous, je pense que le moment très court (fin 1895 à février 1897) où Freud a développé sa théorie de ce qu’il appelle par euphémisme la “séduction” (et cet euphémisme montre bien qu’il n’était pas aussi accusateur que vous le dites : les pères – ou les frères ou les oncles – ne violaient pas : ils “séduisaient”), est le seul moment où il ait eu quelque lucidité et où il ait été en contact avec la réalité. Il est dommage que, sur ce point, vous ne sembliez pas avoir lu le livre de Jeffrey Moussaïeff Masson : Le Réel escamoté (Aubier). Du moins vous ne le citez pas.

On y voit d’une part à quel point la révélation des abus physiques et sexuels subis par des enfants de la part de leurs parents et révélés notamment par des médecins légistes au cours du XIXe siècle, a suscité une levée de boucliers de la part de la majorité des médecins qui refusaient d’y croire, et que Freud, au moment où il a soutenu la théorie “de la séduction” allait vraiment à contre-courant de la plus grande partie de l’opinion publique beaucoup plus portée à accuser les enfants que les parents.

Mais où il s’est trompé, même à ce moment-là, c’est qu’obsédé par la sexualité, il n’a tenu aucun compte des autres abus que ses patients avaient pu subir, notamment les punitions corporelles violentes infligées à la majorité des enfants à cette époque-là. Je travaille depuis plus de dix ans sur ce sujet et je puis vous assurer que 80 à 90% des enfants étaient alors battus à coups de bâton, de fouet ou de martinet, sans compter d’autres punitions cruelles et/ou humiliantes, comme subir des crachats dans la bouche ou être contraint à lécher les marches de l’école. Il n’est pas possible, compte tenu de ce qu’on sait aujourd’hui du développement du cerveau des enfants, que ces sévices subis pendant les années où le cerveau des enfants se développe et où les neurones s’interconnectent, n’ait pas eu de lourdes conséquences sur leur santé physique et mentale

Même s’ils n’avaient pas tous subi des abus sexuels, contrairement à ce que Freud a cru, il est vraisemblable qu’ils avaient tous subi des abus physiques, ce qui expliquait probablement une grande partie de leurs maux. Freud a très peu parlé des abus physiques et des châtiments corporels auxquels il n’était d’ailleurs pas vraiment opposé. Son essai Un enfant est battu est consternant sur ce plan. Comme d’habitude, chez lui, la réalité des punitions corporelles devient “fantasme” et même “trait primaire de perversion”, non pas chez le parent mais chez l’enfant !

C’est peu de temps après la mort de son père que Freud a changé d’avis et, au lieu d’accuser les pères, s’est mis à accuser les enfants pour ne plus avoir à accuser son père (et cet aveu, vous le savez sans doute, mais vous ne le dites pas dans votre livre, est un de ceux qui ont été censurés par Anna Freud dans la correspondance avec Fliess – lettre du 11 février 1897). Loin d’être original dans ce revirement, il s’est ainsi rangé dans la longue tradition qui accuse les enfants d’être l’origine du mal. Le livre des Proverbes, dans la Bible, leur attribuait une “folie” (Proverbes, 22, 15) que seul l’usage du bâton pouvait éradiquer (mais on trouve des proverbes semblables dans toutes les traditions les plus anciennes et pas seulement dans la Bible).

Le christianisme, après saint Augustin, leur a attribué le péché originel (alors que l’Évangile présentait les enfants comme des modèles à imiter : “Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent”). Nombre de philosophes, y compris parmi les Lumières, leur ont attribué une brutalité animale. Mais c’est incontestablement Freud qui a le pompon en formulant contre eux la triple accusation de parricide, d’inceste et de meurtre. Quand on replace l’évolution de Freud dans ce contexte, on voit qu’après un bref moment de lucidité, il a rejoint l’opinion la plus banale en l’aggravant et en lui donnant une apparence scientifique.

Vous écrivez que Freud n’a jamais renoncé vraiment à la théorie de la séduction. Si vous étudiez ce point de plus près, vous verrez que tout en y revenant de temps en temps après avoir affirmé de façon catégorique qu’il n’y croyait plus (comme vous l’avez montré, il n’en était pas à une contradiction près !), il n’a pas cessé d’atténuer les accusations portées contre les parents. Il prétend que les parents accusés d’abus sexuels sont en réalité des pères tendres à l’égard de leurs enfants (séance de la Société psychanalytique de Vienne du 24 janvier 1912) ou des mères qui, en prodiguant leurs soins d’hygiène, ont éveillé sans le vouloir la sexualité de leurs enfants. Ou encore des parents se livrant à d’innocents et légitimes ébats et vicieusement observés par ces “pervers polymorphes” d’enfants !

Une preuve du fait que Freud était beaucoup moins accusateur à l’égard des pères que vous ne le dites, c’est qu’à propos d’Œdipe, il ne parle jamais de tous les crimes dont son père, Laïos, s’était rendu coupable : faute contre l’hospitalité, viol, meurtre indirect (le suicide de Chrysippe), infanticide (l’”exposition” d’Œdipe). Toutes les fautes à ses yeux sont du côté d’Œdipe, pourtant totalement innocent puisque tous les crimes qu’il est amené à commettre sont dus au fait qu’il ne reconnaît pas ses parents, conséquence du fait qu’il n’a pas, lui-même, été “reconnu” par eux quand il était enfant.

Je crois ainsi que votre thèse principale qui consiste à dire que Freud a attribué à l’humanité entière ses propres névroses n’est que partiellement vraie. Il a surtout repris la vieille accusation contre les enfants en la mettant au goût du jour par la sexualisation qu’il lui a fait subir. Il a ainsi pris le relais de la théorie du péché originel qui commençait à tomber en désuétude, et c’est, je pense, une des raisons de son succès que vous ne citez pas à la fin de votre livre. Car le nihilisme de Freud n’est pas seulement en harmonie avec le nihilisme de son époque. Il est en harmonie avec la vision sombre de la nature humaine que le recours à la violence éducative a installée dans les cerveaux humains depuis des millénaires. Un enfant battu ou menacé de l’être pendant toutes ses premières années dans sa famille et à l’école,  se convainc facilement d’être mauvais de nature puisqu’il faut le battre pour qu’il se comporte mieux.

Je me permets de vous recommander la lecture de mon livre Oui, la nature humaine est bonne ! paru chez Robert Laffont en janvier 2009. J’y ai étudié les conséquences de la violence éducative sur la santé physique et mentale des enfants qui l’ont subie. Mais aussi sur la culture, sur la littérature, la philosophie et les religions, et notamment sur l’idée que nous nous faisons de la nature humaine. J’y ai consacré un chapitre de 40 pages à la théorie des pulsions. A mon avis, vous y trouverez de quoi renforcer vos idées, sinon sur Freud, du moins sur votre conception de la nature humaine que je partage en grande partie.

Bien cordialement.

Olivier Maurel, le 10 septembre 2010

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Lettre à Émilie Lanez

Madame,

Je viens de lire avec retard votre article du 26 novembre sur la fessée.

Vous y adoptez le ton habituel des adultes quand ils parlent des punitions qu’ils ont reçues enfants : la dérision. Il s’agit pour l’adulte de bien prouver et surtout se prouver à lui-même qu’il n’est plus du côté de ceux qui reçoivent les coups, qu’il a dépassé définitivement cet âge ridicule et humiliant où l’on risquait de recevoir des fessées. En tournant en dérision cet usage, ainsi que ceux qui le contestent, on se sent du bon côté, du côté de ceux qui donnent les coups, toujours de façon raisonnable, bien sûr, et pour le bien des enfants, plutôt que du côté de ceux qui les reçoivent.

De plus, comme les coups nous ont été donnés par nos parents que nous aimions et dont nous étions totalement dépendants, il nous est très difficile, presque impossible de remettre en question ce qui nous a été fait. Derrière votre ironie, j’entends surtout la crainte de la petite fille qui veut montrer à ses parents intériorisés qu’elle ne les accuse pas, qu’ils ont eu raison de la frapper parce qu’elle était vraiment désobéissante. Vous n’êtes pas une exception : c’est l’attitude de la majorité des adultes à l’égard de ce qu’ils ont subi enfants.

Vous reprenez les propos de Nadine Morano : “Il faut laisser aux parents une marge de tolérance”. Mais que penseriez-vous d’un responsable politique qui, à propos de la violence conjugale, dirait : “Il faut laisser aux maris une marge de tolérance : pas les coups de bâton ni de ceinture, certes, mais les gifles, on ne va quand même pas les interdire !”. Rien à voir pensez-vous sans doute. Les femmes sont adultes. Que veut-on dire par là ? Qu’elles doivent être respectées parce qu’elles sont adultes, et les enfants non ? Ou alors que les adultes comprennent sans qu’on ait besoin de les frapper alors que les enfants, non. Ah ! Et les personnes handicapées mentales, et les malades d’Alzheimer, eux non plus ne comprennent pas. Pourquoi ne pas les frapper aussi ?

Quant au fait que l’enfant serait protégé par nos lois actuelles, voyez le nombre d’enfant qui meurent de maltraitance. Or, la plupart des cas de maltraitance commencent comme des  corrections “raisonnables” qui dérapent. Quand une société tolère la moindre violence à l’égard des enfants, il est inévitable qu’un certain pourcentage de parents, proportionnel au degré de tolérance de la société environnante, s’engage dans une escalade qu’ils ne parviennent plus à maîtriser, soit par stress, soit par exaspération, soit parce que l’enfant répond : “Même pas mal !”, ou encore parce que les parents ont subi eux-mêmes des corrections à coups de ceinture qu’on jugeait “raisonnables” dans leur enfance. Savez-vous qu’au Québec, jusque dans les années 50, l’Église recommandait de frapper les enfants fautifs à coups de ceinture le dimanche avant la messe, et tous les enfants, fautifs ou non, le Vendredi Saint ? Et vous vous faites de dangereuses illusions si vous croyez que tout cela c’est du passé.

Vous ne vous rendez pas compte qu’en ridiculisant comme le fait la majorité de l’opinion publique les partisans d’une abolition, oui, d’une abolition des punitions corporelles et humiliantes, et pas seulement de la fessée, vous contribuez à maintenir à travers le monde non seulement la maltraitance caractérisée chez nous, mais aussi les punitions à coups de bâton qu’on jugeait “raisonnables” chez nous jusqu’au XIXe siècle, et que la majorité des pays du monde actuellement (renseignez-vous sérieusement là-dessus dans les pages Géographie de la violence éducative du site de notre Observatoire) continuent à trouver raisonnables, par exemple aujourd’hui encore dans les écoles d’une vingtaine d’Etats des Etats-Unis.

Les punitions corporelles infligées aux enfants sont, comme un bon nombre d’usages qui ont duré des millénaires : esclavage, violence à l’égard des femmes, excision, peine capitale. Ces usages durent jusqu’à ce que la masse critique des opposants soit devenue suffisante pour faire basculer l’opinion publique, ou que quelqu’un soit assez courageux (Badinter, par exemple) pour affronter les moqueries et les injures. Informez-vous sérieusement et rejoignez-nous donc plutôt que d’entretenir les préjugés et les lieux communs de l’opinion publique.

Olivier Maurel, le 20 décembre 2009

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Lettre à Claude Halmos

Madame,

J’apprécie fort votre réaction contre l’actuel retour à l’autoritarisme qui se manifeste à travers les ouvrages d’Aldo Naouri ou de Didier Pleux.

Mais à la lecture de votre intervention dans le magazine Elle du 27 novembre, j’ai l’impression que vous avez des punitions corporelles une vision mythique qui m’étonne de la part de quelqu’un qui, par ailleurs, a des positions si louables.

Vous opposez, d’un côté la maltraitance qui serait le fait des parents sadiques qui prennent plaisir à frapper leur enfant ou qui ne connaissent que ce moyen pour faire obéir leurs enfants, et de l’autre, les parents tendres, affectueux, respectueux, qui parlent à leurs enfants, et à qui, exceptionnellement, un jour, échappe une fessée quand l’enfant qui est allé trop loin les a excédés.

Cette vision est irréaliste. Le parent qui arrive à ne donner qu’une seule fessée « un jour » est un mythe. Un enfant qu’on a commencé à frapper a toutes les chances d’être frappé régulièrement, voire souvent. Un enfant qui commence à être frappé, à moins qu’il ne soit très docile, devient assez vite indifférent aux coups, et il en faut plus d’un pour qu’il obéisse. Ce qui a toutes les chances d’engager les parents sur la voie d’une escalade où l’enfant va passer de l’unique fessée mythique à une fessée par an, par mois, par semaine, ou par jour, avec tous les dégâts que cela peut causer à sa santé physique et mentale.

Vous semblez ne pas voir qu’il n’y a pas de solution de continuité entre les formes de violence tolérées à l’égard des enfants et celles que nous appelons maltraitances, mais qui sont très souvent le simple résultat d’une escalade tout à fait semblable à celle que l’on constate dans la violence conjugale. Si la femme menacée par son mari ou son compagnon n’a pas su dire fermement « Non ! » dès la première menace, son compagnon risque fort de passer des menaces aux actes et de s’engager dans des violences de plus en plus fortes. Or, pour des enfants qui n’ont pas le pouvoir de dire non ni de menacer de quitter leurs parents, c’est la société qui doit poser un interdit très clair avant même la première violence, si faible soit-elle.

Et, en admettant même que l’enfant obéisse à la première, à la deuxième ou à la troisième fessée, que lui aura-t-on appris, sinon la soumission à la violence dès le plus jeune âge, soumission à une intrusion extérieure qui est le contraire de l’apprentissage de l’obéissance à sa conscience ou à son intelligence, c’est-à-dire de l’autonomie ? Cette même soumission produira plus tard, par exemple, des automobilistes qui obéissent non pas au code de la route, mais à la menace du gendarme.

L’exemple des pays qui ont interdit cette violence, comme la Suède qui est celui où l’interdiction est la plus ancienne, et qui ont su l’accompagner des mesures nécessaires (information, soutien aux parents) montre bien que le nombre de décès d’enfants par maltraitance diminue après le vote de la loi d’interdiction. C’est donc une contre-information que vous donnez lorsque vous dites qu’ « une loi ne changera rien pour les enfants maltraités ». Bien au contraire, la tolérance de la société envers les punitions corporelles infligées aux enfants est le terreau de la maltraitance, de même qu’elle est le terreau de la violence par l’exemple qu’elle donne aux enfants, et de l’incivisme par l’habitude qu’elle donne de n’obéir qu’à la violence.

Légiférer ce n’est pas faire du mal aux enfants en leur donnant une mauvaise image de leurs parents, c’est aider les parents à ne pas faire une chose qu’ils savent (parce que c’est interdit) anormale et inutile, c’est les conforter dans la certitude qu’il ne faut pas le faire ! C’est donc aider les parents à donner une meilleure image d’eux à leurs enfants ! Ce n’est pas une mesure de répression, c’est une mesure de prévention.

Veuillez agréer, Madame, mes respectueuses salutations.

Olivier Maurel
Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire
(www.oveo.org)

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Lettre à Boris Cyrulnik

Monsieur,

Je me permets de vous écrire pour vous demander des précisions à propos de deux des affirmations que vous avez soutenues, l’une dans votre conférence à la synagogue de Toulon, l’autre dans votre livre Autobiographie d’un épouvantail.

À la synagogue j’ai été stupéfait de vous entendre dire (je l’ai noté au moment même où vous l’affirmiez) qu’il était faux qu’Hitler ait été maltraité dans son enfance. Vous avez dit avoir trouvé cette information dans sa biographie par Ian Kershaw. Ayant beaucoup lu sur cette question, notamment dans les livres d’Alice Miller, j’étais sûr que vous vous trompiez. Mais comme je n’avais pas lu Kershaw, je n’ai pas voulu vous contredire. Or, j’ai reçu son livre ce matin et vous pourrez voir dans l’extrait que j’en ai copié, notamment dans les propos de Hitler lui-même et de sa sœur, et que je joins à ce message, qu’à moins de vouloir s’aveugler soi-même on ne peut que reconnaître que le petit Adolphe, loin d’avoir été un enfant gâté, a été battu comme plâtre par son père. Pour quelle raison le niez-vous ?

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je vous entends affirmer ou que je lis sous votre plume des propos absolument contraires à la réalité. Dans votre Autobiographie d’un épouvantail, vous écrivez, p. 117, à propos du futur terroriste : « Hyperadapté au monde d’un seul amour (celui d’une mère dominante) il se retrouve en situation d’apprendre la perversion. Cela explique l’étonnement du psychiatre Léon Goldensohn qui, lors du procès de Nuremberg, s’attendait à voir des monstres, puisque ces hommes avaient commis d’impensables monstruosités. Il fut désorienté en entendant les coupables lui raconter une enfance heureuse, dans une famille aimante. Ils n’étaient pas pervers et pourtant s’étaient comportés comme de grands pervers [p.117]. [...] seul Herman Goering présentait des signes de psychopathie. Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants « gâtés », bien aimés et bien élevés. » [p. 118.]

Surpris de telles affirmations, j’ai commandé l’édition française du livre de Goldensohn : Les Entretiens de Nuremberg (Flammarion, 2005). Je l’ai lue de très près et j’ai eu la stupéfaction de constater que ce que vous affirmiez était entièrement faux.

En effet, sur 33 accusés ou témoins interrogés par Goldensohn,

• 15 d’entre eux, soit près de la moitié, ne disent pas un mot de leur enfance.
• 4 sont extrêmement évasifs et ne disent rien non plus qui permette de savoir si leur enfance a été heureuse ou malheureuse.

Ce que vous affirmez (« Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants gâtés ») ne peut concerner au maximum que moins de la moitié des accusés (14 sur 33). Qu’en est-il des autres ?

• 3 disent explicitement que leur enfance a été malheureuse.
• 6 disent qu’ils ont eu un père « strict » ou « très strict ».

Quand on sait ce que signifiait « être strict » dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, où la majorité des enfants étaient élevés à la baguette, cela interdit bien évidemment de dire qu’ils ont été des « enfants gâtés ».

Ne restent donc que cinq accusés, sur lesquels :

• 3 accusés seulement disent avoir été « gâtés ». Mais, dans deux cas sur trois, c’est uniquement par leur mère et avec un père « strict ». Quant au troisième, Funk, qui dit effectivement avoir été « terriblement gâté », on apprend ensuite qu’à partir de l’âge de neuf ans, il n’a plus vécu dans sa famille et a été mis constamment en pension. Or, dans les pensionnats allemands de cette époque, il y a quelques raisons de douter que les enfants aient été « gâtés » !

Comment et pourquoi laissez-vous passer dans vos propos et dans vos livres de telles contrevérités, qui, grâce à votre notoriété de scientifique, risquent d’être reçues par l’opinion publique ? Et encore je n’ai pas parlé de ce que vous écrivez de Sade qui est tout aussi peu fondé ! Ce ne serait que demi-mal si ces propos ne risquaient pas d’avoir des retombées tout à fait pratiques. Mais combien de lecteurs confiants dans votre prestige, vont-ils en effet penser que choyer les enfants est la meilleure manière d’en faire des terroristes et des bourreaux ? Alors que tout ce qu’on sait sur l’attachement, dont vous avez si bien parlé en d’autres temps, montre exactement le contraire.

Je ne puis croire que vous n’ayez pas de bonnes raisons d’avoir tenu de tels propos. Mais j’avoue que j’aimerais bien les connaître. Cela m’éviterait d’avoir à dénoncer, comme j’ai dû le faire à plusieurs reprises, les erreurs qu’ils contiennent, erreurs qui peuvent avoir des effets très dommageables.

Vos livres sont certes agréables à lire, mais ils le seraient davantage si l’on n’était pas obligé de constater qu’ils n’allient pas toujours la rigueur à la séduction.

Désolé de vous avoir été certainement désagréable, mais il y a des choses que tout ce que j’ai appris au cours de mes recherches sur la violence éducative m’interdisent de laisser passer sans protester.

Olivier Maurel, le 22 juin 2009

Texte de Ian Kershaw :

Family life was, however, less than harmonious and happy. Alois was an archetypal provincial civil servant – pompous, status-proud, strict, humourless, frugal, pedantically ponctual, and devoted to duty. He was regarded with respect by the local community. But he had a bad trmper which could flare up quite unpredictably. At home, Alois was an authoritarian, overbearing, domineering husband and a stern, distant, masterful, / and often irritable father. For long after their marriage, Klara could not get out of the habit of calling him “Uncle”. And even after his death, she kept a rack of his pipes in the kitchen and would point to them on occasion when he was referred to, as if to invoke his authority. (…) pp 3-4

Adolf’s early years were spent, then, under the suffocating shield of an over-anxious mother in a household dominated by the threatening presence of a disciplinarian father, against whose wrath the submissive Klara was helpless to protect her offspring. Adolf’s younger sister, Paula, spoke after the war of her mother as “a very soft and tender person, the compensatory element between the almost too harsh father and the very lively children who where perhaps somewhat difficult to train. If there / were ever quarrel(s) or differences of opinion between my parents,” she continued, “it was always on account of the children. It was espacially my brother Adolph who challenged my father to extreme harshness and who got his sound thrashing every day… How often on the other hand did my mother caress him and try to obtain with her kindness what the father could not succeed (in obtaining) with harshness !” Hitler himself, during his late-night fireside monologues in the 1940s, often recounted that his father had sudden bursts of temper and would then immediatly hit out. He did not love his father, he said, but instead feared him all the more. His poor beloved mother, he used to remark, to whom he was so attached, lived in conbstant concern about the beatings he had to take, sometimes waiting outside the door as he was thrashed. pp 5-6