Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Lettre à Robert Muchembled

Monsieur,

Je viens de terminer la lecture de votre livre : Une Histoire de la violence, dans lequel j’ai appris beaucoup de choses.

Mais j’ai aussi été extrêmement surpris de ne rien voir dans votre livre concernant un sujet sur lequel je travaille.

Vous n’y mentionnez pratiquement jamais, sauf dans quelques phrases, la violence éducative contre les enfants. On sait pourtant bien aujourd’hui que cette violence, aussi bien dans les familles que dans les écoles, consistait et consiste encore aujourd’hui, dans beaucoup de pays, en de véritables sévices.

Je m’attendais à ce qu’un livre intitulé comme le vôtre consacre au moins un chapitre à cette forme de violence qui concernait et concerne encore, à des degrés d’intensité variés, 80 à 90 % des êtres humains dans leur plus jeune âge, celui où elle peut le plus profondément les marquer. Or, les seuls exemples que vous donnez sont ceux, assez exotiques, tirés d’une étude sur la Grèce, exemples qui sont simplement présentés comme des preuves que les mères n’ont pas « toujours conçu leur rôle comme celui d’une douce et obéissante brebis ». C’est peu pour un phénomène aussi important et massif, et qui est loin de ne concerner que les mères.

Même si l’on tient compte du fait que votre livre est plutôt une histoire de l’homicide qu’une « histoire de la violence », la violence sur les enfants devrait y occuper une bonne place. Car il est évident qu’elle a été tout au long de l’histoire, et qu’elle est encore dans beaucoup de pays – où la bastonnade est aussi bien tolérée que le sont chez nous, aux XXe et XXIe siècles, les fessées et les gifles –, la cause directe ou indirecte de beaucoup de décès d’enfants. On considère encore aujourd’hui qu’elle est, en France, la deuxième cause de mortalité infantile, passé la première semaine de vie. Et l’OMS affirme que les châtiments corporels tuent des milliers d’enfants par an. Sans doute n’entrent-ils dans aucune statistique. Mais ils auraient mérité au moins d’être mentionnés.

Mais j’ai été également surpris par le fait que, dans tout votre livre, vous ne vous demandez à aucun moment si la violence infligée aux enfants par leurs modèles adultes les plus proches (parents et enseignants) ne pourrait pas être une des causes de la violence des jeunes adultes. Compte tenu du fait que les enfants sont des imitateurs-nés, il me semble que cette hypothèse méritait d’être examinée. L’influence de la réduction d’intensité de la violence éducative ne pourrait-elle pas expliquer, au moins partiellement, la réduction à l’état de résidu du taux d’homicides dans les pays européens, où, si l’on frappe encore les enfants, la tolérance ne va pas au-delà de la gifle ou de la fessée ? Emmanuel Todd avait déjà donné une explication de ce genre à la réduction des violences sociales et politiques dans la deuxième partie du XXe siècle, dans son livre Le Fou et le Prolétaire (Laffont).

Je trouve d’autant plus étonnant le fait que vous ayez laissé de côté cette hypothèse que vous y faites vous-même très brièvement allusion en une phrase : « Habitués aux sévices ou à leur spectacle dès l’enfance dans leur famille, ces rejetons des classes laborieuses apprennent à se défendre pour survivre et pour exhiber leur honneur viril, valeur essentielle dans la culture ouvrière du temps. » (P. 441.)

Si l’habitude des sévices familiaux peut apprendre aux enfants à se défendre, n’est-il pas évident que le phénomène massif de la violence éducative a pu jouer un rôle important dans la violence des adolescents et des jeunes adultes ? Pourquoi alors ne pas avoir approfondi cette question ?

Pourquoi, surtout, ne pas avoir mentionné, pour expliquer la réduction à l’état de résidu, en Europe occidentale, de « l’insondable énigme du meurtre », le fait que cette réduction pourrait tenir à l’adoucissement des méthodes d’éducation dans cette région du monde ?

Je serais très intéressé de connaître votre réponse à ces questions.

Bien cordialement,

Olivier Maurel.

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Lettre au Professeur Ph. Jeammet

Monsieur le Professeur,

Si l’article du Monde d’aujourd’hui 9 janvier sur les punitions est fidèle à vos propos, vous auriez dit, à propos de la fessée : “Si cela n’est pas excessif, ce peut être une réaction saine à un moment donné ».

Je me permets de vous dire que de tels propos témoignent, de votre part, d’un manque d’information et même de réflexion étonnant.

La fessée est inséparable de l’ensemble des punitions corporelles pratiquées sur les enfants parce que, comme toute ces punitions, elle repose sur le principe qu’on a le droit de faire violence aux enfants. A partir du moment où ce principe est admis, les dérives vers la maltraitance sont inévitables.

En effet, outre que la fessée en elle-même, quoi que vous en pensiez, est déjà nocive, il y aura toujours un fort pourcentage de parents qui, à cause des violences qu’ils ont eux-mêmes subies, à cause du stress de la vie actuelle, à cause des traditions de leur pays d’origine (pratique admise de la bastonnade en Afrique ou aux Antilles) ou encore à cause du feed-back des enfants (“Même pas mal !”), passeront de la violence éducative tolérée (voire encouragée par vous !) à la maltraitance caractérisée.

Admettre le principe qu’on a le droit de frapper les enfants, c’est rendre d’emblée inefficace la lutte contre la maltraitance puisqu’on prétend alors lutter contre un phénomène social tout en en admettant les prodromes. La violence éducative ordinaire, c’est-à dire admise par la société est le terreau de la maltraitance physique, mais aussi psychique car admettre qu’on a le droit de frapper les enfants, c’est les réduire à un niveau de sous-humanité qui ne mérite pas le respect.

La preuve en est que, sur les enfants, et sur les enfants seulement, on juge avoir le droit d’enfreindre le principe le plus basique et le plus universel de la morale, celui qu’on trouve dans toutes les religions : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.”

Vous savez très bien que si l’on disait aux maris violents que si les gifles qu’ils donnent à leur femme “ne sont pas excessives”, elles peuvent être “une réaction saine à un moment donné”, ce serait encourager la violence conjugale. Pourquoi ne le reconnaissez-vous pas en ce qui concerne les enfants ?

De plus, de même que la fessée est inséparable de la maltraitance sur le plan national, elle est inséparable, en tant que punition corporelle, des violences beaucoup plus intenses qui sont admises sur les enfants dans la majorité des pays du monde où l’on pratique la bastonnade et bien d’autres sévices qui, appliqués à des adultes, déclencheraient des campagnes d’Amnesty International ou de l’ACAT.

L’interdiction que toutes les institutions internationales (UNICEF, Comité des droits de l’enfant, OMS – ce qu’en tant que médecin vous ne devriez pas ignorer – , Conseil de l’Europe) demandent aux États de prononcer, c’est l’interdiction de toutes les punitions corporelles, et il n’est évidemment pas question d’en excepter certaines, un peu comme si on disait : “Vous n’avez pas le droit de donner des coups de bâton aux femmes, aux prisonniers, à vos employé de maison, mais vous pouvez les gifler, et même “ça peut être une réaction saine à un moment donné” !

L’interdiction doit être la même pour toutes les violences, sinon on n’arrivera jamais à lutter contre les plus intenses.

Et quand vous souhaitez que “les adultes reprennent confiance et se sentent autorisés à imposer des limites à leurs enfants », vous devriez tenir compte du fait que les limites imposées par la violence aux enfants sont précisément, pour les parents qu’ils deviennent ensuite, une des causes de leur manque de confiance.

Quand on stoppe par une claque ou une fessé le comportement d’un enfant qu’on juge inacceptable, on le dresse à ne pas avoir confiance en lui puisqu’on ne fait appel qu’à sa peur d’être frappé.

De grâce, Monsieur le Professeur, informez-vous sérieusement sur la réalité de la pratique des punitions corporelles. Et plutôt que de chercher à déculpabiliser les parents qui frappent, informez-les sur les méthodes multiples qui permettent de poser des limites sans violence physique ou psychique.

Avec le plus grand respect pour votre personne, mais plus modéré pour vos propos.

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Lettre à la Fédération des Ligues des Droits de l’Homme

Lettre adressée à Madame Souhayr Belhassen, Présidente de la Fédération des Ligues des Droits de l’Homme.

Madame la Présidente

C’est au nom de l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire que je me permets de vous écrire.

Le but de notre Observatoire est de faire connaître la réalité des punitions corporelles et des humiliations infligées aux enfants dans les familles et souvent dans les écoles partout dans le monde, punitions tolérées, voire recommandées par l’opinion publique.

Or, depuis que je travaille sur cette question, je constate avec tristesse que les Ligues des Droits de l’Homme, pour des raisons qui m’échappent, ne se préoccupent en général en aucune manière de ces atteintes aux droits de l’homme que sont ces punitions corporelles infligées aux enfants. Pourtant, d’après la majorité des enquêtes effectuées  dans de multiples pays, ce sont 80 à 90% des enfants qui sont victimes de ces violences. Et, dans la plupart des pays du monde, ces violences sont du niveau de la bastonnade.

J’ai plusieurs fois interpellé la Ligue des Droits de l’Homme française sur cette question sans obtenir de réponse, pour la bonne et simple raison que la LDH française ne s’est jamais, à ma connaissance, occupée de cette question. De même, elle n’a pas signé un appel pour l’interdiction des punitions corporelles pourtant signé par cent trente-trois associations françaises au printemps dernier.

De même, je viens de parcourir le site de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme et, sauf erreur, le thème des punitions corporelles infligées aux enfants dans les familles n’y est abordé nulle part. Si je me trompe, je serai heureux d’être détrompé !

Cette indifférence apparente des Ligues des Droits de l’Homme à l’égard des violences à visée éducative infligées aux enfants est stupéfiante pour de multiples raisons dont je ne citerai que les principales.

Dans la plupart des pays, on a, au cours des XIXe et XXe siècles, interdit de frapper toutes les catégories d’êtres humains que l’on frappait impunément autrefois : domestiques, hommes de troupe et marins, prisonniers, femmes, malades mentaux et, dans un certain nombre de pays, les enfants à l’école. Mais on continue à considérer comme normal le fait que les parents frappent les enfants, alors que les enfants sont les êtres les plus fragiles, les plus vulnérables et ceux sur lesquels la violence risque d’avoir les plus durables conséquences.

De multiples études ont montré les graves effets que peuvent avoir sur les enfants les punitions corporelles, aussi bien sur la santé physique que sur la santé mentale des enfants. Le rapport de l’OMS de novembre 2002 sur la violence et la santé en témoigne.

De plus, frapper les enfants dès le plus jeune âge a pour résultat de banaliser à leurs yeux la violence, de les habituer à la violence et de la leur faire considérer comme un moyen normal de régler les conflits.

Frapper les enfants pour les éduquer et les faire obéir, c’est les soumettre au droit du plus fort pendant toutes les années où leur cerveau se forme. Comment espérer qu’élevés ainsi ils soient portés à respecter les droits de l’homme et, notamment, les droits des plus faibles ?

Il y aurait encore une multitude de choses à dire sur l’incompatibilité entre droits de l’homme et violence éducative ordinaire. Mais vous en êtes certainement consciente et je ne veux pas vous importuner davantage. Il ne vous aura certainement pas échappé d’ailleurs que le Conseil de l’Europe s’apprête à lancer une grande campagne pour demander l’interdiction des punitions corporelles à visée éducative, déjà votée par plusieurs pays.

Je terminerai donc simplement par une question. Ne vous serait-il pas possible soit de me rassurer en me montrant que je connais mal l’action des Ligues des Droits de l’Homme et qu’elles agissent bien dans ce domaine, soit d’attirer leur attention sur cette forme de violence qui touche l’humanité presque entière pendant toutes les années où elle se socialise ?

Veuillez agréer, Madame la Présidente, mes respectueuses salutations.

Olivier Maurel, le 8 août 2007

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Lettre à un rabbin sur la violence éducative

« La dernière chose dont prend conscience le poisson, c’est de l’eau de son bocal » Proverbe.

Dans mon travail de recherche sur la violence, je lis la majorité des livres qui portent sur ce sujet.

Je viens ainsi de lire l’ouvrage collectif : La Violence, Ce qu’en disent les religions (Éditions de l’Atelier, Éditions ouvrières, 2002). Ce livre a été réalisé sous la direction du philosophe Philippe Gaudin.

Cinq religions y sont représentées, chacune par un spécialiste. L’hindouisme est représenté par Véronique Bouillier, directrice de recherche au CNRS et ethnologue, le christianisme par le pasteur François Clavairoly, de l’Église réformée de France, le judaïsme par le rabbin Daniel Farhi, du Mouvement juif libéral de France, l’islam par Mehrézia Labidi-Maïza, traductrice et spécialiste des textes sur l’islam et la société arabo-musulmane, et enfin le bouddhisme par Fabrice Midal, docteur en philosophie et auteur d’ouvrages sur le bouddhisme tibétain.

Ce livre est intéressant et écrit par des auteurs soucieux de lutter contre la violence et pour la paix. Mais je le lisais surtout pour voir si la violence éducative était prise en compte parmi les causes possibles de la violence.

Or, une fois de plus, et même si je commence à y être habitué, j’ai ressenti une sorte de désespoir à voir qu’aucun de ces auteurs n’a mentionné à aucun moment la violence éducative comme source possible de la violence humaine.

J’avoue que je trouve assez extraordinaire l’attitude des religions et des croyants qui disent vouloir lutter contre la violence et ne prêtent pas la moindre attention au fait que depuis des millénaires, la quasi totalité des enfants reçoivent leur première initiation à la violence de la main même de leurs parents puis de leurs maîtres !

Pourtant, ne serait-il pas logique, quand on constate une violence en aval, d’aller chercher en amont ce qui a pu provoquer cette violence ? Mais non !

Alors, on propose toutes sortes de moyens du genre de la prière, de l’ascèse, de l’étude, de la lutte contre les passions, du “lâcher-prise”, tous moyens fort difficile en fait à mettre en pratique et dont l’expérience des religions elles-mêmes montre que leur efficacité est très relative, vu qu’on ne s’étripe jamais aussi bien qu’entre pieux coreligionnaires.

J’ai appris depuis un certain temps à ne pas trop me laisser aller à la colère devant un tel manque de lucidité, d’autant plus que je sais bien que si je n’avais pas lu les livres d’Alice Miller, j’en serais encore moi aussi à errer à la recherche des causes de la violence.

Mais dans ces cas-là, j’écris quand même aux auteurs pour leur signaler qu’il faudrait un peu prêter attention à ce qui se passe dans l’enfance des petits des hommes.

En l’occurrence, j’ai adressé ma lettre au Rabbin Daniel Farhi parce que c’est dans la Bible qu’on trouve la plus précise incitation à la violence éducative sous la forme de nombreux proverbes et j’ai trouvé étonnant qu’il n’en ait pas dit un mot. J’ai ensuite transmis ma lettre au rabbin Farhi aux cinq autres auteurs.

Voici le texte de cette lettre :

Monsieur le Rabbin,

Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.

Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.

Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.

Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».

Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.

Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.

Il donne aux enfants l’exemple de la violence.

Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.

Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.

Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.

Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.

Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.

Et on pourrait continuer ainsi longtemps.

Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.

J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.

Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.

La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.

A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.

Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.

Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération.

Olivier Maurel (11 février 2007)

Et voici deux réponses :

Cher monsieur,

Je vous remercie de pointer mon attention sur ce point très important.

En Orient, la violence éducative existe en effet.

En France pour ce que j’en sais, les bouddhistes français aujourd’hui sont évidemment des citoyens Fançais qui ont lu Dolto.

Bien à vous

Fabrice (11 février 2007)

 

Monsieur,

Il est difficile de tout dire dans de si petits volumes, mais vos remarques ne sont pas sans pertinence. Il me semble que dans celui qui est intitulé « l’injustice », il y a quelques éléments qui vont dans votre sens, notamment dans le début du chapitre « christianisme »…

Cordialement,

Philippe Gaudin (13 février 2007)

Monsieur le Rabbin,
Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.
Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.
Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.
Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».
Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.
Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.
Il donne aux enfants l’exemple de la violence.
Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.
Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.
Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.
Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.
Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.
Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.
Et on pourrait continuer ainsi longtemps.
Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.
J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.
Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.
La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.
A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.
Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.
Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération. 

Olivier Maurel (11 février 2007)