Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Lettre à Émilie Lanez

Madame,

Je viens de lire avec retard votre article du 26 novembre sur la fessée.

Vous y adoptez le ton habituel des adultes quand ils parlent des punitions qu’ils ont reçues enfants : la dérision. Il s’agit pour l’adulte de bien prouver et surtout se prouver à lui-même qu’il n’est plus du côté de ceux qui reçoivent les coups, qu’il a dépassé définitivement cet âge ridicule et humiliant où l’on risquait de recevoir des fessées. En tournant en dérision cet usage, ainsi que ceux qui le contestent, on se sent du bon côté, du côté de ceux qui donnent les coups, toujours de façon raisonnable, bien sûr, et pour le bien des enfants, plutôt que du côté de ceux qui les reçoivent.

De plus, comme les coups nous ont été donnés par nos parents que nous aimions et dont nous étions totalement dépendants, il nous est très difficile, presque impossible de remettre en question ce qui nous a été fait. Derrière votre ironie, j’entends surtout la crainte de la petite fille qui veut montrer à ses parents intériorisés qu’elle ne les accuse pas, qu’ils ont eu raison de la frapper parce qu’elle était vraiment désobéissante. Vous n’êtes pas une exception : c’est l’attitude de la majorité des adultes à l’égard de ce qu’ils ont subi enfants.

Vous reprenez les propos de Nadine Morano : “Il faut laisser aux parents une marge de tolérance”. Mais que penseriez-vous d’un responsable politique qui, à propos de la violence conjugale, dirait : “Il faut laisser aux maris une marge de tolérance : pas les coups de bâton ni de ceinture, certes, mais les gifles, on ne va quand même pas les interdire !”. Rien à voir pensez-vous sans doute. Les femmes sont adultes. Que veut-on dire par là ? Qu’elles doivent être respectées parce qu’elles sont adultes, et les enfants non ? Ou alors que les adultes comprennent sans qu’on ait besoin de les frapper alors que les enfants, non. Ah ! Et les personnes handicapées mentales, et les malades d’Alzheimer, eux non plus ne comprennent pas. Pourquoi ne pas les frapper aussi ?

Quant au fait que l’enfant serait protégé par nos lois actuelles, voyez le nombre d’enfant qui meurent de maltraitance. Or, la plupart des cas de maltraitance commencent comme des  corrections “raisonnables” qui dérapent. Quand une société tolère la moindre violence à l’égard des enfants, il est inévitable qu’un certain pourcentage de parents, proportionnel au degré de tolérance de la société environnante, s’engage dans une escalade qu’ils ne parviennent plus à maîtriser, soit par stress, soit par exaspération, soit parce que l’enfant répond : “Même pas mal !”, ou encore parce que les parents ont subi eux-mêmes des corrections à coups de ceinture qu’on jugeait “raisonnables” dans leur enfance. Savez-vous qu’au Québec, jusque dans les années 50, l’Église recommandait de frapper les enfants fautifs à coups de ceinture le dimanche avant la messe, et tous les enfants, fautifs ou non, le Vendredi Saint ? Et vous vous faites de dangereuses illusions si vous croyez que tout cela c’est du passé.

Vous ne vous rendez pas compte qu’en ridiculisant comme le fait la majorité de l’opinion publique les partisans d’une abolition, oui, d’une abolition des punitions corporelles et humiliantes, et pas seulement de la fessée, vous contribuez à maintenir à travers le monde non seulement la maltraitance caractérisée chez nous, mais aussi les punitions à coups de bâton qu’on jugeait “raisonnables” chez nous jusqu’au XIXe siècle, et que la majorité des pays du monde actuellement (renseignez-vous sérieusement là-dessus dans les pages Géographie de la violence éducative du site de notre Observatoire) continuent à trouver raisonnables, par exemple aujourd’hui encore dans les écoles d’une vingtaine d’Etats des Etats-Unis.

Les punitions corporelles infligées aux enfants sont, comme un bon nombre d’usages qui ont duré des millénaires : esclavage, violence à l’égard des femmes, excision, peine capitale. Ces usages durent jusqu’à ce que la masse critique des opposants soit devenue suffisante pour faire basculer l’opinion publique, ou que quelqu’un soit assez courageux (Badinter, par exemple) pour affronter les moqueries et les injures. Informez-vous sérieusement et rejoignez-nous donc plutôt que d’entretenir les préjugés et les lieux communs de l’opinion publique.

Olivier Maurel, le 20 décembre 2009