Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By admin

Réponse à Boris Cyrulnik

Un des commentaires critiques les plus étonnants concernant la campagne de la Fondation pour l’enfance est celui de Boris Cyrulnik.

Dans une interview donnée à l’AFP le 27 avril 2011, donc le jour même de la présentation de la campagne à la presse, Boris Cyrulnik juge de façon catégorique cette campagne qu’il considère de très haut comme « naïvement bien intentionnée » et « maladroite ».

D’après lui, elle va « culpabiliser les parents ». Ce n’est vraiment pas l’impression qu’on a quand on lit sur internet les commentaires sur la campagne dans les multiples forums où on en discute. On y voit au contraire partout s’afficher la bonne conscience des partisans de la gifle et de la fessée qui trouvent qu’on n’en donne pas assez. Et d’autre part, il me semble normal de se sentir coupable si on s’est laissé aller à frapper une personne humaine et, à plus forte raison, un enfant. C’est tout simplement le signe qu’on a une conscience.

D’ailleurs, au moment où je rédige cette réponse, une mère m’écrit :

« Personnellement c’est justement grâce à cette culpabilité dont tout le monde semble avoir si peur que j’ai commencé à comprendre que quelque chose n’était pas « normal » dans mon comportement et c’est ce qui m’a aussi donné l’envie d’aller chercher des réponses à mes questions ».

Mais c’est la suite des propos de Cyrulnik qui est la plus étonnante : « Il faut rechercher les causes de la fessée. C’est toujours soit un désarroi parental, soit un trouble du développement de l’enfant. » Il faut vraiment ne s’être jamais informé sérieusement sur la violence éducative pour tenir de tels propos.

Les deux raisons principales pour lesquelles depuis des millénaires on frappe les enfants n’ont rien à voir avec ce qu’affirme Boris Cyrulnik.

On frappe les enfants d’abord parce qu’on croit qu’il faut les frapper, comme en témoignent une multitude de proverbes dans tous les pays, dont le plus connu est « Qui aime bien châtie bien ». Et pour voir que cette cause est toujours active, il suffit de lire les commentaires des internautes sur la campagne, d’après lesquels toutes les incivilités attribuées à la jeunesse actuelle viendraient de ce qu’on ne frappe plus assez les enfants.

La seconde raison pour laquelle on frappe les enfants est précisément celle que dénonce la campagne : la répétition de génération en génération. Quand on a été frappé, la première chose que notre corps apprend, c’est à frapper, par simple mimétisme. On peut ensuite se raisonner et s’interdire de frapper, mais le geste a été enregistré très tôt par nos neurones miroirs et reste dans notre corps tout prêt à être reproduit. C’est ce que nous ressentons quand nous disons que « la main nous démange ».

Ce qu’il y a de nouveau actuellement, c’est que depuis quelques dizaines d’années, dans les pays européens, le niveau de violence des coups donnés aux enfants a baissé. Alors que la violence éducative ordinaire incluait jusqu’au XIXe siècle, en plus des gifles et des fessées, les coups de bâton et de ceinture et d’autres punitions très violentes, on s’est mis heureusement, grâce à l’influence de quelques pionniers de l’éducation, à considérer comme maltraitance l’emploi du bâton et de la ceinture, tout en continuant à trouver le martinet « normal » jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, en général, ne sont plus considérés comme « éducatives » que les gifles et les fessées.

Un bon nombre de parents ont commencé à prendre conscience aussi qu’il n’était pas plus normal de gifler et fesser un enfant que d’infliger le même traitement à un adulte. Mais comme, à cause du mimétisme de ce qu’on a subi, il est difficile de ne pas le reproduire, un bon nombre de parents sont effectivement en désarroi parce que le réflexe de fesser ou gifler leur revient contre leur volonté. Autrement dit, contrairement à ce que dit Cyrulnik, ce n’est pas le désarroi qui produit la fessée, c’est bien plutôt la fessée qui produit le désarroi chez les parents conscients de sa nocivité.

Quant à l’explication de la fessée par les « troubles de développement
de l’enfant », quand on sait que 85% des enfants français subissent
gifles et fessées, on se demande bien à quelle fraction de ce
pourcentage Boris Cyrulnik attribue des « troubles du développement »
qui provoqueraient les fessées parentales.

Cyrulnik poursuit : « Donc je pense qu’il faut entourer les parents au
lieu de diminuer leur autorité en signifiant aux enfants Vos parents
n’ont pas le droit de vous toucher« .

Ce n’est certainement pas nous qui contesterons la nécessité d’ »entourer », de soutenir les parents. Mais ce n’est pas en continuant à considérer comme éducatives les gifles et fessées qu’on les aide à maintenir leur « autorité ». Si ce mot a un sens, il désigne l’influence positive que les parents peuvent avoir sur les enfants pour les aider à devenir eux-mêmes et à déployer tout leur potentiel d’humanité. Or, les fessées et les gifles qui enseignent la violence du fort au faible ne contribuent en rien à cette forme d’autorité.

« Il faut bien sûr éviter les violences éducatives, mais ce n’est pas
en faisant une loi qu’on pourra y travailler.

Si une loi est nécessaire pour interdire la violence éducative, c’est précisément parce que nous l’avons presque tous subie et que les schémas qu’elle a mis en place dans nos neurones nous amènent à la reproduire, exactement comme au XIXe siècle et dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui encore, on reproduit ou reproduisait sur ses enfants les coups de bâton subis dans l’enfance. Pour mettre un coup d’arrêt à cette chaîne de violence, il faut une loi émanant d’une autorité supérieure à celle des parents, et qui dise clairement qu’on ne doit faire violence à aucune personne humaine, à plus forte raison une personne humaine en formation.

« L’interdit chez l’enfant est une fonction structurale majeure. Plus l’interdit est énoncé, moins on a besoin de violence physique », ajoute Boris Cyrulnik.

Il est évident qu’on ne peut et qu’on ne doit pas tout permettre aux enfants. Mais accorder à l’interdit « une fonction structurale majeure, c’est faire passer au second plan la tendresse, la protection, la bienveillance, la confiance et bien d’autres formes de relations infiniment plus « structurantes » que l’interdit.

Quand Cyrulnik ajoute qu’ « autrefois, un simple froncement de sourcil permettait de se faire obéir de l’enfant » et qu’ « actuellement il n’y a plus d’autorité paternelle et (que) le recours à la violence devient un substitut très maladroit » , il oublie de dire que derrière le « froncement de sourcil », dans la plupart des cas, il y avait la menace des coups qui, tous les proverbes anciens le disent, étaient inséparables de l’autorité paternelle. Nos gifles et nos fessées ne sont pas « un substitut » d’une autorité défaillante, mais le résidu d’une méthode d’éducation au moins cinq fois millénaire qui a fait de l’humanité une des espèces animales les plus violentes de la planète en dressant les enfants à la violence dès le plus jeune âge.