Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Présentation de mes livres sur la violence éducative

Comme je crains qu’il reste encore, de par le monde, quelques personnes et même quelques malheureux parents qui n’ont pas lu mes livres sur la violence éducative, il me semble utile d’en faire une présentation résumée. Mais comme ce blog n’a pas l’air d’accepter les articles trop longs ou peut-être parce que je me débrouille mal avec lui, je publie (ou j’essaie de publier !!!) cette présentation en quatre épisodes.

[Note de l'administrateur : pour un soucis de clarté j'ai pris le parti de regrouper les quatre articles en un]

Épisode 1 : La Fessée, Questions sur la violence éducative

Le premier livre que j’ai écrit sur ce sujet est La Fessée, Questions sur la violence éducative.

Visuel du livre "La fessée : questions sur la violence éducative"

Les éditions La Plage avaient demandé à Alice Miller d’écrire un livre sur ce thème. Elle n’en avait pas le temps et, comme nous correspondions depuis quelques années, elle a jugé que j’étais capable de l’écrire. Je me suis donc lancé dans cette entreprise et le livre a paru en avril 2001. Il a tout de suite été bien accueilli par la presse et par les lecteurs. L’éditeur m’a demandé une réédition augmentée en 2004 et depuis il n’a pas cessé de se diffuser. Il doit en être à plus de 20 000 exemplaires vendus. Il a été traduit en anglais sur le site américain Nospank, et une édition en italien, sous le titre La Sculacciata doit paraître en mars 2013 aux éditions Leone verde. Si j’en crois tout le courrier que j’ai reçu, ce livre a été utile à beaucoup de parents et il a valu à pas mal d’enfants de ne jamais être frappés.

Le plus bel hommage qu’il ait reçu, celui de Swan Nguyen, auteur du livre Du prince Charmant à l’homme violent, Prévenir la violence conjugale (Ed; L’Esprit du temps, 2015) : C’est un petit livre, mais arrivé à la dernière page, on se sent grandi. »

Épisode 2 : Œdipe et Laïos

Le second de mes livres sur la violence éducative est une conséquence du premier. Un psychanalyste, Michel Pouquet, qui avait lu une interview de moi dans le quotidien Var-Matin, suite à la publication de La Fessée, a écrit au journal en critiquant mon point de vue. J’ai répondu à mon tour par le biais du journal, puis nous avons correspondu pendant un an. Nous nous sommes alors dit que notre dialogue pouvait intéresser d’autres personnes et nous l’avons publié aux éditions de L’Harmattan en 2003, sous le titre Œdipe et Laïos, Dialogue sur l’origine de la violence.

Visuel du livre "Oedipe et Laïos"

Michel Pouquet y défend la thèse de la psychanalyse lacanienne selon laquelle ce sont les pulsions déjà présentes chez l’enfant qui sont à l’origine de la violence humaine. J’y défends au contraire l’idée que toute violence commise a pour origine une violence ou un traumatisme quelconque subis dans l’enfance. Le dialogue est courtois, mais… assez animé !

Épisode 3 : Oui, la nature humaine est bonne !

En continuant à travailler sur la violence éducative qui est un sujet inépuisable, j’ai pris de plus en plus conscience que la violence éducative avait des conséquences non seulement sur les individus qui la subissaient, mais aussi sur les idées, les croyances, les religions, bref, la culture humaine entière.

J’ai été de plus en plus convaincu aussi que la violence éducative nous a persuadés depuis notre petite enfance que nous sommes mauvais, que notre nature est mauvaise. Si nos parents sont obligés de nous battre pour nous « corriger », c’est que nous sommes, comme le disait Kant, des « bois tordus » qu’il faut à tout prix « redresser ». J’ai donc exploré toutes ces conséquences et ça a donné un gros livre qui a paru en janvier 2009.

Visuel du livre "Oui, la nature humaine est bonne !"

Ce livre m’a valu une bonne critique de Nancy Huston dans le Monde des livres et beaucoup de sympathiques lettres de lecteurs, notamment de psychothérapeutes. Il a d’ailleurs été à l’origine de deux colloques organisés par la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse (FF2P).

Épisode 4 : La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines

Mais au cours de toutes les recherches que j’ai faites depuis l’édition de La Fessée, j’ai lu énormément de livres sur la violence humaine en général et je me suis aperçu que les auteurs de ces livres ne tenaient pratiquement jamais compte de la violence éducative subie dans leur enfance par la majorité des hommes et de l’influence qu’elle pouvait avoir sur leur comportement d’adultes en matière de violence et de soumission à la violence.

J’ai écrit aux auteurs de ces livres pour leur demander pourquoi ils n’avaient pas parlé de la violence éducative. Beaucoup ne m’ont pas répondu, mais certains m’ont dit qu’ils n’y avaient pas pensé, ce qui est assez étonnant quand on travaille pendant deux ou trois ans sur une livre censé aborder toutes les formes de violence.

Visuel de "La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines"

J’ai donc entrepris d’écrire un livre portant sur tous les ouvrages de sciences humaines (psychologie, psychanalyse, histoire, sociologie…) traitant de la violence humaine, publiés autour de l’année 2008. J’ai pu ainsi montrer que les effets de la violence éducative sont tels qu’ils agissent jusque sur l’esprit des intellectuels du plus haut niveau, et notamment sur l’esprit des plus médiatiques, ceux qui ont le plus d’influence sur l’opinion publique. Non seulement ils leur font oublier de parler de la violence éducative, mais, plus grave encore, ils leur font attribuer à la nature des enfants les comportements violents qui découlent en fait de la façon dont les enfants sont traités depuis leur plus jeune âge.

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Interview : « La violence éducative : Olivier Maurel » (revue Kaizen)

Interview publiée dans la revue Kaizen le 25 janvier 2013

[Note de l'admin : Je vous recommande en préambule l'illustration présente sur le site de Kaizen]

Kaizen : Comment est né votre intérêt pour la question de la violence éducative ?

Olivier Maurel : Cela remonte à mon enfance pendant la guerre, à ces bombardements sous lesquels j’ai dû chercher un abri et à la déportation d’une de mes sœurs. Toute ma vie, je me suis demandé pourquoi les hommes en arrivaient à adopter des comportements si violents et si cruels. J’avais près de cinquante ans quand j’ai trouvé la réponse la plus convaincante à mes questions, dans le livre C’est pour ton bien d’Alice Miller. Depuis lors, je n’ai pas cessé de travailler sur ce sujet. Et je me suis aperçu que la violence éducative avait des conséquences dans une multitude de domaines où on ne s’attendrait pas à la voir intervenir, comme la recherche scientifique ou la religion.

Qu’appelez-vous « violence éducative ordinaire » ? Quelle différence faites-vous avec la maltraitance ?

La « violence éducative ordinaire » désigne tous les comportements qui se veulent éducatifs, mais qui sont des formes de violence physique, verbale ou psychologique tolérées ou préconisées dans une société donnée. En France, la tape, la gifle et la fessée en sont des exemples. La maltraitance, elle, inclut des mauvais traitements sans visée éducative comme la négligence ou les abus sexuels. Dans le domaine éducatif, elle fait référence à des comportements qui, à un moment donné de l’histoire d’une société, ne sont plus considérés comme tolérables. En France, aujourd’hui, les coups de ceinture et de bâton ne sont plus tolérés, alors qu’ils l’étaient il y a un siècle ou deux.

Peut-on évaluer la proportion d’enfants victimes de ce type de violence en France et à travers le monde ?

Les résultats des enquêtes varient beaucoup selon la manière dont les questions sont posées. Pour la France, ils vont de 70 à 85%. Dans les pays du monde où les punitions corporelles n’ont pas été contestées, 90% des enfants, ou même davantage, sont battus, et souvent très violemment, dans les familles et dans les écoles. C’est en Europe qu’on trouve le plus grand nombre de pays ayant interdit toute forme de punition corporelle à l’école et à la maison, mais cette tendance commence à se répandre en Amérique du Sud et en Océanie.

Quelles sont les conséquences de la violence éducative ?

Elles sont multiples. La violence est une atteinte à l’intégrité des enfants et au capital de sociabilité innée avec lequel, comme tous les animaux sociaux, ils viennent au monde. C’est un coup porté à leur santé physique (l’Organisation Mondiale de la Santé recense de nombreuses maladies somatiques et psychosomatiques causées par des violences subies dans l’enfance), ainsi qu’à leur santé mentale et notamment à leur estime de soi, à leur confiance en eux. Cela nuit également à leurs capacités relationnelles, qui se modèlent sur les premières relations vécues dans l’enfance. La tendance à la violence ou à la soumission à la violence est une des conséquences les plus courantes de la violence éducative.

Que répondez-vous à une personne qui avance qu’ « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne », qu’elle a elle-même reçu des fessées et qu’elle n’est pas traumatisée pour autant ?

Ces deux types de réflexions résultent d’un des effets les plus pervers des punitions corporelles. Le jeune enfant qui subit des coups ou des violences verbales de ses parents auxquels il est viscéralement attaché est convaincu par ces coups qu’il est mauvais et que ses parents sont obligés de le frapper pour le corriger. Il s’adapte donc à ce traitement et le considère comme un signe d’amour parental. Il en arrive à penser non seulement que ce traitement ne lui fait aucun mal, mais même que tout ce qu’il y a de bon en lui en découle. Les enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où c’est l’usage ne réagissent pas autrement : « Si mes parents ne m’avaient pas donné de coups de bâton, je n’aurais pas fait d’études, je me serais droguée », écrivait une étudiante sur un site africain.

Mais ces deux affirmations sont des contrevérités. « Une bonne fessée », et souvent une seule fessée, peut rendre un enfant masochiste sexuel à vie. On le sait depuis l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau publié au XVIIIe siècle, Les Confessions, et plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres me l’ont confirmé. La proximité des terminaisons nerveuses des organes sexuels et des fesses fait que les coups peuvent provoquer une excitation sexuelle suivie d’une fixation à vie entre les coups et l’orgasme : sans coups, plus d’orgasme.

D’autre part, ceux qui croient ne pas avoir été traumatisés par les fessées qu’ils ont reçues ne s’aperçoivent pas qu’en défendant les punitions corporelles, ils contredisent à la fois le principe le plus universel de la morale appelé « règle d’or » à cause de son universalité : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », et un autre principe que tout parent essaie d’inculquer à ses enfants : « Il est lâche de faire violence à un être plus faible que soi ». Ne pas voir cette évidence est à mon avis le signe qu’on a été plus traumatisé qu’on ne le croit.

Le philosophe Alain écrit : « Les jeux des enfants, s’ils sont sans règle, tournent à la bataille ; et sans autre cause ici que cette force désordonnée qui se mord elle-même ». La violence physique ne fait-elle pas partie de l’être humain ? Existe-t-il des peuples qui éduquent « naturellement » sans être violents à l’endroit des enfants ?

La connaissance des enfants a beaucoup progressé depuis ces propos d’Alain au début du XXe siècle. On sait aujourd’hui que l’agressivité qui se manifeste chez certains enfants (et non pas chez tous) entre 18 mois et 4 ans, s’atténue et disparaît à partir du moment où l’enfant est capable d’exprimer par des mots et non plus seulement par des gestes les fortes émotions qu’il éprouve. On sait aussi que les enfants qui ont été élevés avec empathie ne manifestent même pas cette agressivité infantile. Alain écrivait à une époque où presque tous les enfants étaient au moins giflés et fessés, et souvent battus beaucoup plus violemment. La violence était pour eux un comportement normal dont les adultes leur donnaient l’exemple. Mais aujourd’hui les études sur la psychologie infantile montrent que s’ils sont élevés avec empathie, non seulement ils ne sont pas violents, mais ils sont naturellement portés à l’entraide.

L’étude des primates a aussi montré que les grands singes les plus proches de nous, notamment les bonobos, sont très peu violents et manifestent spontanément des comportements d’entraide, de réconciliation, de consolation.

Il existe des peuples plus proches de la nature que nous, qui éduquent leurs enfants sans violence. Ce sont des peuples de chasseurs-cueilleurs vivant encore dans des conditions assez proches de celles de nos ancêtres de la préhistoire, avant la révolution néolithique. Il est donc possible que pendant plus des 9/10e de son existence, soit un peu moins de 200 000 ans, l’humanité ait traité ses enfants avec douceur, jusqu’aux débuts de la sédentarisation il y a environ 12 000 ans. Mais lors du passage à l’agriculture et à l’élevage, le mode de vie des hommes a beaucoup changé et l’apparition de l’écriture, 3000 ans avant Jésus-Christ, a mis à jour de nombreux proverbes recommandant de frapper les enfants.

N’est-il pas aussi grave d’exercer une violence psychologique qu’une violence physique sur un enfant ?

La violence psychologique et la violence verbale sont évidemment très graves. Dire par exemple à un enfant : « Tu es nul » ou « Tu feras le trottoir » est littéralement meurtrier. Et un bon nombre de lecteurs de mes livres m’ont dit : « Les coups, au bout d’un moment, je ne les sentais plus, mais les insultes de ma mère ou de mon père, elles sont toujours présentes ».

Cependant, la violence physique présente des dangers particuliers. Dire qu’on ne sentait plus les coups peut être le signe d’un endurcissement, d’un blindage de la sensibilité qui empêche le sujet de ressentir ses propres émotions. Il risque alors de ne plus être sensible aux émotions et à la souffrance des autres et de leur infliger les mêmes cruautés sans état d’âme. D’autre part le corps garde en mémoire les coups reçus, et ceux qu’on croit avoir oubliés peuvent ressortir sous la forme de somatisations dont les médecins et les kinésithérapeutes ne savent pas toujours reconnaître l’origine. Enfin, il faut bien voir que la violence physique est la seule à avoir été partout recommandée sous la forme de proverbes. On n’a jamais recommandé de la même manière d’insulter les enfants.

Quel lien établissez-vous entre la violence éducative et l’état de la société (écologique et social) ?

Il existe un parallélisme très clair entre le niveau de violence éducative pratiqué dans les diverses sociétés et la violence et l’oppression qu’elles sont capables d’exercer ou de supporter. La violence éducative infligée aux enfants a pour effet de leur faire considérer ce comportement comme normal ou/et de leur apprendre à s’y soumettre. Alice Miller a montré que tous les dictateurs du XXe siècle, sans exception, ont été des enfants dévastés par la violence de leurs éducateurs. Et ils ont pris le pouvoir sur des peuples qui avaient été massivement soumis à un haut niveau de violence éducative. L’éducation dans l’Allemagne prénazie, par exemple, était terriblement violente et oppressive. Au contraire, les sociétés où la violence éducative a beaucoup baissé se caractérisent par un niveau très faible de violence politique et sociale et un niveau plus élevé de justice et d’égalité.

J’ai pris conscience du rapport entre la violence éducative et l’état écologique de la planète lorsque j’ai reçu des lettres de lecteurs et lectrices dévoilant le mal-être où ils se trouvaient à cause de ce qu’ils avaient subi étant enfants. La violence et les humiliations reçues leur avaient ôté la capacité d’être simplement heureux d’exister, avec leur corps, leurs sensations, leurs émotions et leurs relations avec les autres. Quand on a perdu ce simple bonheur d’être, on tend à se rabattre sur des ersatz de plaisir : le plaisir d’avoir, le plaisir du pouvoir sur les autres et le plaisir de paraître. Or, la recherche de l’avoir, du pouvoir et de l’apparence est le carburant de la machine financière, économique et technique qui actuellement détruit la planète à grande vitesse.

Pourquoi légiférer sur la question de la fessée et comment s’assurer du respect d’une loi ? Comment a-t-on statué dans les autres pays ? Cela nécessite soit d’avoir accès à l’intérieur des foyers, soit de faire confiance aux enfants…

Il y a quatre siècles que les punitions corporelles ont commencé à être remises en question, mais cette évolution a été d’une lenteur extrême car elle se heurte en nous à de très fortes résistances, notamment à l’attachement à nos parents que nous avons tous éprouvé. Or, l’impact de la violence éducative sur la violence humaine et sur les comportements qui mettent notre planète en danger, ne nous permet pas d’attendre encore deux ou trois siècles pour voir disparaître ce fléau. Des lois claires d’interdiction accélèrent la prise de conscience des dangers de la violence éducative.

Vous venez de publier La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines ? (Editions L’Instant présent, août 2012). Quel nouvel éclairage souhaitez-vous apporter sur la question à travers ce livre ?

Au cours de mes recherches, j’ai été surpris de voir que les auteurs qui traitent de la violence humaine oublient presque toujours de parler de la forme de violence la plus fréquente, la plus ordinaire, que sont les punitions corporelles infligées par les parents et les enseignants. Comment peuvent-ils l’oublier alors qu’elle est universelle, souvent d’une grande intensité et que c’est la plus susceptible d’influer sur le niveau de violence des adultes ? J’ai donc étudié systématiquement tous les ouvrages parus autour de 2008 et dont les titres annonçaient qu’ils traitaient de la violence humaine. Des livres écrits par des psychanalystes, des psychologues, des sociologues, des historiens ou des philosophes. Or, sur 99 auteurs, 6 seulement ont tenu compte de la violence éducative. Pire encore, les autres attribuent la responsabilité de la violence à l’agressivité et aux supposées « pulsions » des enfants. Je montre ensuite que c’est la violence éducative elle-même qui nous pousse à ne pas en prendre conscience et à accuser les enfants de la violence des adultes. Autrement dit, si invraisemblable que cela paraisse, la violence éducative qui, comme chacun sait, « n’a jamais fait de mal à personne », perturbe en fait jusqu’au fonctionnement du cerveau des chercheurs.

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Réponse à Boris Cyrulnik

Un des commentaires critiques les plus étonnants concernant la campagne de la Fondation pour l’enfance est celui de Boris Cyrulnik.

Dans une interview donnée à l’AFP le 27 avril 2011, donc le jour même de la présentation de la campagne à la presse, Boris Cyrulnik juge de façon catégorique cette campagne qu’il considère de très haut comme « naïvement bien intentionnée » et « maladroite ».

D’après lui, elle va « culpabiliser les parents ». Ce n’est vraiment pas l’impression qu’on a quand on lit sur internet les commentaires sur la campagne dans les multiples forums où on en discute. On y voit au contraire partout s’afficher la bonne conscience des partisans de la gifle et de la fessée qui trouvent qu’on n’en donne pas assez. Et d’autre part, il me semble normal de se sentir coupable si on s’est laissé aller à frapper une personne humaine et, à plus forte raison, un enfant. C’est tout simplement le signe qu’on a une conscience.

D’ailleurs, au moment où je rédige cette réponse, une mère m’écrit :

« Personnellement c’est justement grâce à cette culpabilité dont tout le monde semble avoir si peur que j’ai commencé à comprendre que quelque chose n’était pas « normal » dans mon comportement et c’est ce qui m’a aussi donné l’envie d’aller chercher des réponses à mes questions ».

Mais c’est la suite des propos de Cyrulnik qui est la plus étonnante : « Il faut rechercher les causes de la fessée. C’est toujours soit un désarroi parental, soit un trouble du développement de l’enfant. » Il faut vraiment ne s’être jamais informé sérieusement sur la violence éducative pour tenir de tels propos.

Les deux raisons principales pour lesquelles depuis des millénaires on frappe les enfants n’ont rien à voir avec ce qu’affirme Boris Cyrulnik.

On frappe les enfants d’abord parce qu’on croit qu’il faut les frapper, comme en témoignent une multitude de proverbes dans tous les pays, dont le plus connu est « Qui aime bien châtie bien ». Et pour voir que cette cause est toujours active, il suffit de lire les commentaires des internautes sur la campagne, d’après lesquels toutes les incivilités attribuées à la jeunesse actuelle viendraient de ce qu’on ne frappe plus assez les enfants.

La seconde raison pour laquelle on frappe les enfants est précisément celle que dénonce la campagne : la répétition de génération en génération. Quand on a été frappé, la première chose que notre corps apprend, c’est à frapper, par simple mimétisme. On peut ensuite se raisonner et s’interdire de frapper, mais le geste a été enregistré très tôt par nos neurones miroirs et reste dans notre corps tout prêt à être reproduit. C’est ce que nous ressentons quand nous disons que « la main nous démange ».

Ce qu’il y a de nouveau actuellement, c’est que depuis quelques dizaines d’années, dans les pays européens, le niveau de violence des coups donnés aux enfants a baissé. Alors que la violence éducative ordinaire incluait jusqu’au XIXe siècle, en plus des gifles et des fessées, les coups de bâton et de ceinture et d’autres punitions très violentes, on s’est mis heureusement, grâce à l’influence de quelques pionniers de l’éducation, à considérer comme maltraitance l’emploi du bâton et de la ceinture, tout en continuant à trouver le martinet « normal » jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, en général, ne sont plus considérés comme « éducatives » que les gifles et les fessées.

Un bon nombre de parents ont commencé à prendre conscience aussi qu’il n’était pas plus normal de gifler et fesser un enfant que d’infliger le même traitement à un adulte. Mais comme, à cause du mimétisme de ce qu’on a subi, il est difficile de ne pas le reproduire, un bon nombre de parents sont effectivement en désarroi parce que le réflexe de fesser ou gifler leur revient contre leur volonté. Autrement dit, contrairement à ce que dit Cyrulnik, ce n’est pas le désarroi qui produit la fessée, c’est bien plutôt la fessée qui produit le désarroi chez les parents conscients de sa nocivité.

Quant à l’explication de la fessée par les « troubles de développement
de l’enfant », quand on sait que 85% des enfants français subissent
gifles et fessées, on se demande bien à quelle fraction de ce
pourcentage Boris Cyrulnik attribue des « troubles du développement »
qui provoqueraient les fessées parentales.

Cyrulnik poursuit : « Donc je pense qu’il faut entourer les parents au
lieu de diminuer leur autorité en signifiant aux enfants Vos parents
n’ont pas le droit de vous toucher« .

Ce n’est certainement pas nous qui contesterons la nécessité d’ »entourer », de soutenir les parents. Mais ce n’est pas en continuant à considérer comme éducatives les gifles et fessées qu’on les aide à maintenir leur « autorité ». Si ce mot a un sens, il désigne l’influence positive que les parents peuvent avoir sur les enfants pour les aider à devenir eux-mêmes et à déployer tout leur potentiel d’humanité. Or, les fessées et les gifles qui enseignent la violence du fort au faible ne contribuent en rien à cette forme d’autorité.

« Il faut bien sûr éviter les violences éducatives, mais ce n’est pas
en faisant une loi qu’on pourra y travailler.

Si une loi est nécessaire pour interdire la violence éducative, c’est précisément parce que nous l’avons presque tous subie et que les schémas qu’elle a mis en place dans nos neurones nous amènent à la reproduire, exactement comme au XIXe siècle et dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui encore, on reproduit ou reproduisait sur ses enfants les coups de bâton subis dans l’enfance. Pour mettre un coup d’arrêt à cette chaîne de violence, il faut une loi émanant d’une autorité supérieure à celle des parents, et qui dise clairement qu’on ne doit faire violence à aucune personne humaine, à plus forte raison une personne humaine en formation.

« L’interdit chez l’enfant est une fonction structurale majeure. Plus l’interdit est énoncé, moins on a besoin de violence physique », ajoute Boris Cyrulnik.

Il est évident qu’on ne peut et qu’on ne doit pas tout permettre aux enfants. Mais accorder à l’interdit « une fonction structurale majeure, c’est faire passer au second plan la tendresse, la protection, la bienveillance, la confiance et bien d’autres formes de relations infiniment plus « structurantes » que l’interdit.

Quand Cyrulnik ajoute qu’ « autrefois, un simple froncement de sourcil permettait de se faire obéir de l’enfant » et qu’ « actuellement il n’y a plus d’autorité paternelle et (que) le recours à la violence devient un substitut très maladroit » , il oublie de dire que derrière le « froncement de sourcil », dans la plupart des cas, il y avait la menace des coups qui, tous les proverbes anciens le disent, étaient inséparables de l’autorité paternelle. Nos gifles et nos fessées ne sont pas « un substitut » d’une autorité défaillante, mais le résidu d’une méthode d’éducation au moins cinq fois millénaire qui a fait de l’humanité une des espèces animales les plus violentes de la planète en dressant les enfants à la violence dès le plus jeune âge.

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Lettre à Boris Cyrulnik

Monsieur,

Je me permets de vous écrire pour vous demander des précisions à propos de deux des affirmations que vous avez soutenues, l’une dans votre conférence à la synagogue de Toulon, l’autre dans votre livre Autobiographie d’un épouvantail.

À la synagogue j’ai été stupéfait de vous entendre dire (je l’ai noté au moment même où vous l’affirmiez) qu’il était faux qu’Hitler ait été maltraité dans son enfance. Vous avez dit avoir trouvé cette information dans sa biographie par Ian Kershaw. Ayant beaucoup lu sur cette question, notamment dans les livres d’Alice Miller, j’étais sûr que vous vous trompiez. Mais comme je n’avais pas lu Kershaw, je n’ai pas voulu vous contredire. Or, j’ai reçu son livre ce matin et vous pourrez voir dans l’extrait que j’en ai copié, notamment dans les propos de Hitler lui-même et de sa sœur, et que je joins à ce message, qu’à moins de vouloir s’aveugler soi-même on ne peut que reconnaître que le petit Adolphe, loin d’avoir été un enfant gâté, a été battu comme plâtre par son père. Pour quelle raison le niez-vous ?

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je vous entends affirmer ou que je lis sous votre plume des propos absolument contraires à la réalité. Dans votre Autobiographie d’un épouvantail, vous écrivez, p. 117, à propos du futur terroriste : « Hyperadapté au monde d’un seul amour (celui d’une mère dominante) il se retrouve en situation d’apprendre la perversion. Cela explique l’étonnement du psychiatre Léon Goldensohn qui, lors du procès de Nuremberg, s’attendait à voir des monstres, puisque ces hommes avaient commis d’impensables monstruosités. Il fut désorienté en entendant les coupables lui raconter une enfance heureuse, dans une famille aimante. Ils n’étaient pas pervers et pourtant s’étaient comportés comme de grands pervers [p.117]. [...] seul Herman Goering présentait des signes de psychopathie. Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants « gâtés », bien aimés et bien élevés. » [p. 118.]

Surpris de telles affirmations, j’ai commandé l’édition française du livre de Goldensohn : Les Entretiens de Nuremberg (Flammarion, 2005). Je l’ai lue de très près et j’ai eu la stupéfaction de constater que ce que vous affirmiez était entièrement faux.

En effet, sur 33 accusés ou témoins interrogés par Goldensohn,

• 15 d’entre eux, soit près de la moitié, ne disent pas un mot de leur enfance.
• 4 sont extrêmement évasifs et ne disent rien non plus qui permette de savoir si leur enfance a été heureuse ou malheureuse.

Ce que vous affirmez (« Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants gâtés ») ne peut concerner au maximum que moins de la moitié des accusés (14 sur 33). Qu’en est-il des autres ?

• 3 disent explicitement que leur enfance a été malheureuse.
• 6 disent qu’ils ont eu un père « strict » ou « très strict ».

Quand on sait ce que signifiait « être strict » dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, où la majorité des enfants étaient élevés à la baguette, cela interdit bien évidemment de dire qu’ils ont été des « enfants gâtés ».

Ne restent donc que cinq accusés, sur lesquels :

• 3 accusés seulement disent avoir été « gâtés ». Mais, dans deux cas sur trois, c’est uniquement par leur mère et avec un père « strict ». Quant au troisième, Funk, qui dit effectivement avoir été « terriblement gâté », on apprend ensuite qu’à partir de l’âge de neuf ans, il n’a plus vécu dans sa famille et a été mis constamment en pension. Or, dans les pensionnats allemands de cette époque, il y a quelques raisons de douter que les enfants aient été « gâtés » !

Comment et pourquoi laissez-vous passer dans vos propos et dans vos livres de telles contrevérités, qui, grâce à votre notoriété de scientifique, risquent d’être reçues par l’opinion publique ? Et encore je n’ai pas parlé de ce que vous écrivez de Sade qui est tout aussi peu fondé ! Ce ne serait que demi-mal si ces propos ne risquaient pas d’avoir des retombées tout à fait pratiques. Mais combien de lecteurs confiants dans votre prestige, vont-ils en effet penser que choyer les enfants est la meilleure manière d’en faire des terroristes et des bourreaux ? Alors que tout ce qu’on sait sur l’attachement, dont vous avez si bien parlé en d’autres temps, montre exactement le contraire.

Je ne puis croire que vous n’ayez pas de bonnes raisons d’avoir tenu de tels propos. Mais j’avoue que j’aimerais bien les connaître. Cela m’éviterait d’avoir à dénoncer, comme j’ai dû le faire à plusieurs reprises, les erreurs qu’ils contiennent, erreurs qui peuvent avoir des effets très dommageables.

Vos livres sont certes agréables à lire, mais ils le seraient davantage si l’on n’était pas obligé de constater qu’ils n’allient pas toujours la rigueur à la séduction.

Désolé de vous avoir été certainement désagréable, mais il y a des choses que tout ce que j’ai appris au cours de mes recherches sur la violence éducative m’interdisent de laisser passer sans protester.

Olivier Maurel, le 22 juin 2009

Texte de Ian Kershaw :

Family life was, however, less than harmonious and happy. Alois was an archetypal provincial civil servant – pompous, status-proud, strict, humourless, frugal, pedantically ponctual, and devoted to duty. He was regarded with respect by the local community. But he had a bad trmper which could flare up quite unpredictably. At home, Alois was an authoritarian, overbearing, domineering husband and a stern, distant, masterful, / and often irritable father. For long after their marriage, Klara could not get out of the habit of calling him “Uncle”. And even after his death, she kept a rack of his pipes in the kitchen and would point to them on occasion when he was referred to, as if to invoke his authority. (…) pp 3-4

Adolf’s early years were spent, then, under the suffocating shield of an over-anxious mother in a household dominated by the threatening presence of a disciplinarian father, against whose wrath the submissive Klara was helpless to protect her offspring. Adolf’s younger sister, Paula, spoke after the war of her mother as “a very soft and tender person, the compensatory element between the almost too harsh father and the very lively children who where perhaps somewhat difficult to train. If there / were ever quarrel(s) or differences of opinion between my parents,” she continued, “it was always on account of the children. It was espacially my brother Adolph who challenged my father to extreme harshness and who got his sound thrashing every day… How often on the other hand did my mother caress him and try to obtain with her kindness what the father could not succeed (in obtaining) with harshness !” Hitler himself, during his late-night fireside monologues in the 1940s, often recounted that his father had sudden bursts of temper and would then immediatly hit out. He did not love his father, he said, but instead feared him all the more. His poor beloved mother, he used to remark, to whom he was so attached, lived in conbstant concern about the beatings he had to take, sometimes waiting outside the door as he was thrashed. pp 5-6

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Oui, la nature humaine est bonne !

Comment la violence éducative la pervertit depuis des millénaires

Vient de paraître, le 22 janvier 2009, aux éditions Robert Laffont, mon dernier livre : Oui, la nature humaine est bonne ! Comment la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires.
Bien que j’en sois l’auteur et que je sois donc tenu à un peu de modestie, j’ai la faiblesse de penser que ce livre est important. Et j’ai la chance que les responsables de la maison d’édition qui l’a accepté et publié (Robert Laffont) le pensent aussi. Ils – et surtout elles – ont beaucoup fait pour que ce livre atteigne son public. Elles en ont envoyé plus de 300 exemplaires aux journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision et d’internet, ce qui laisse espérer que ce livre ne passera pas inaperçu.
Son but est d’étudier un fait étrange. Comment se fait-il qu’aucun philosophe, théologien, sociologue, psychologue, historien ou psychanalyste n’ait jamais sérieusement tenu compte, dans tout ce qu’ils ont dit sur la nature humaine, du fait, pourtant indiscutable, que 80 à 90% des enfants ont été dressés par la violence (bastonnade, flagellation, etc.) depuis des millénaires ? Est-il pensable que ce dressage n’ait pas eu d’effets sur le corps, la santé, les comportements, la violence, mais aussi l’esprit, les idées, les cultures, les croyances, les religions de tous ceux qui l’ont subi ? En particulier, comment notre conception de la nature humaine, et donc de la nature des enfants, aurait-elle pu ne pas en être influencée ?

Depuis les premières civilisations dotées d’une écriture jusqu’à nos jours, on a attribué aux enfants (et donc à la nature humaine) la « folie » (proverbes bibliques), le « péché originel » (le christianisme), une « violence bestiale » (quantité de penseurs), des « pulsions » mortifères ou une « violence fondamentale » (la psychanalyse). Et cela sans tenir aucun compte de ce qu’on leur faisait subir dès leur petite enfance, ou en le justifiant.

Une fois qu’on a pris conscience du dressage violent subi par la majorité de l’humanité pendant toutes les années où le cerveau des enfants se forme, beaucoup de choses qui paraissaient incompréhensibles s’éclaircissent. Et la violence humaine notamment est beaucoup moins énigmatique. De même, une fois qu’on a compris que la Terre tournait autour du Soleil, on n’a plus eu besoin d’imaginer toutes sortes de théories bizarres pour expliquer le mouvement des planètes.

Cette découverte, ce n’est pas moi qui l’ai faite, c’est Alice Miller. Le but de mon livre est de briser le mur du silence qui, en France, a jusqu’à présent interdit à cette découverte d’être reconnue pour ce qu’elle est : une véritable révolution.

Ce livre n’est pas difficile à lire. Il expose le plus clairement possible la façon dont la violence éducative appliquée à presque tous les enfants a amené de tous temps les hommes à les considérer comme des êtres naturellement déraisonnables qu’il était indispensable de corriger violemment pour les civiliser. Avec, bien évidemment le résultat inverse : une humanité portée à la violence par la violence qu’elle a subie, portée à la soumission aux pires dictateurs ou gourous par l’habitude prise d’obéir, portée à la cruauté par la perte du sens de l’empathie. Tout cela est aujourd’hui largement confirmé par la connaissance du développement du cerveau et par la prise de conscience des remarquables capacités relationnelles innées des enfants : attachement, empathie, imitation.

En vous procurant ce livre, en envoyant ce message à vos amis et connaissances, vous aiderez à son lancement et vous participerez aux changements qu’il peut produire, je l’espère, dans les mentalités. Vous pouvez aussi, après l’avoir lu, dire ce que vous en pensez sur les sites des librairies en ligne ou sur votre blog si vous en avez un. Et si vous me faites part de vos réactions, j’en serai très heureux.

Ci-dessous les quatre premières critiques (j’espère qu’il y en aura d’autres !) et le sommaire du livre.

Psychologies Magazine, Février 2009.

Une bonne fessée, une gifle méritée... Dans ce livre très argumenté contre les châtiments corporels, un père de cinq enfants rappelle qu'en France, aujourd'hui encore, 84% des enfants sont frappés. Ces violences tolérées sont parfois source de dégâts : difficultés scolaires, comportements à risques, agressivité... A lire d'urgence avant de lever la main.

Marie-France Vigor

Catherine Dumonteil Kremer

Fondatrice de La Maison de l’Enfant et auteur de plusieurs livres sur l’éducation. Sur la liste de discussion Parents-conscients (sur Yahoo).

J'ai lu ce week end le dernier livre d'Olivier, "Oui la nature humaine est
bonne" chez Robert Laffont, je l'ai trouvé excellent. Je me suis régalée en
le lisant. Voilà réunis en un seul ouvrage presque tous les arguments contre la violence éducative, l'aveuglement sur cette violence au cours des siècles passés, mais aussi chez les psychanalystes, médecins, auteurs, religieux, etc. Je trouve qu'Olivier a eu beaucoup de courage de dénoncer sans aucune ambiguité les mauvais traitements à enfants. J'espère que son livre convaincra les sceptiques !

Alice Miller (sur son site)

C'est avec grand plaisir et soulagement que je vous annonce la parution du livre important d'Olivier Maurel.
Puisqu'après des millénaires d'obscurité presque totale, voilà un livre qui ose enfin jeter la lumière vers la vérité en montrant sans ambiguïté, sans crainte ni hésitation, que la nature humaine est bonne. Or, on la détruit systématiquement et constamment par l'éducation violente que presque chaque enfant doit subir dans les premières années de sa vie au moment le plus sensible, quand son cerveau se construit.
Depuis plusieurs années mais d'une autre façon je continue d'expliquer dans mes différents livres cette dynamique. Maurel poursuit ces recherches en montrant comment pendant des millénaires les pédagogues, les écrivains, les philosophes, les hommes d'Eglise se perdent dans le brouillard pour ne pas reconnaître la vérité si simple et claire mais, il est vrai, très douloureuse à tous le monde. Même les psychanalystes modernes, maintiennent encore que l'homme est né méchant, pervers, égoïste et que les adultes doivent le faire gentil, altruiste et empathique.
Dans toutes les cultures on est confronté au même déni, malgré le fait que la réalité montre le contraire, l'homme est né bon, capable d'apprendre l'amour et la compassion, mais cette richesse est engloutie juste à l'aube de son existence par les traitements qu'il subit.
Par exemple Saint Augustin qui était sévèrement  battu à l'école et jamais soutenu par ses parents qui au contraire le ridiculisaient gravement, trouve dans ses Confessions "la solution" de sa situation tragique en écrivant qu'il est nécessaire de battre les enfants.  Malheureusement, l'Eglise a adopté sa version et pendant seize centenaires elle a maintenu sans aucune hésitation la même version trompeuse malgré le fait que dans la bible Jésus a toujours dit qu'il fallait respecter les enfants et ne pas les battre.
C'est un livre que je vous souhaite de lire et relire aussitôt que possible, il est nécessaire, illuminant et accessible à tous le monde. La tragédie de l'être humain est si brillamment décrite et expliquée ici qu'il est totalement incompréhensible que les psychanalystes n'en ont pas encore pris connaissance et continuent d'écrire sur l'instinct destructeur de l'enfant.

Jacques Trémintin

Recension à paraître dans le numéro 917, du 19 février, de Lien Social

*Pour mettre fin à la violence éducative ordinaire*
On peut distinguer trois époques dans la prise de conscience de la maltraitance subie par les enfants.
La première, qui a duré des millénaires, est à peine troublée par quelques voix largement inaudibles face à la domination du déni. La violence dans l'éducation y est considérée comme banale et légitime : la douleur provoquée par les coups agirait sur la raison, la volonté et la mémoire de l'enfant, l'incitant donc à éviter de reproduire le comportement qui a causé le châtiment. Cette conviction perdure, d'autant plus qu'elle est confortée par les religions, les philosophies et les traditions éducatives.
La seconde époque trouve ses prémisses dans l'abolition, dans le code Justinien du VI^ème siècle, du droit de vie et de mort du père sur ses enfants ou dans le vote, en 1889, de la loi permettant la déchéance de la puissance paternelle. Mais, c'est vraiment dans la deuxième moitié du XX^ème siècle qu'elle s'amorce vraiment, avec la pénalisation des mauvais traitements sur mineurs. Ce mouvement reste toutefois incomplet, puisqu'il prétend ne viser que les actes qui "troublent gravement l'enfant", excluant par là même ceux qui le troublent, mais moins gravement !
Olivier Maurel est à l'initiative, avec d'autres auteurs comme Alice Miller, d'une réflexion qui inaugure la troisième époque : celle qui s'intéresse aux effets délétères de la violence éducative ordinaire que constitue "l'ensemble des moyens violents qui ont été et sont utilisés, tolérés et souvent recommandés pour faire obéir et pour éduquer les enfants". Olivier Maurel nous propose ici une somme de réflexions médicales, philosophiques, historiques, intellectuelles, éthiques qui viennent bousculer bien des idées reçues et apporter des éléments de compréhension sur le fonctionnement humain.
La thèse centrale de l'auteur consiste à réfuter le postulat d'un petit d'homme qui serait naturellement poussé à l'agressivité par ses pulsions ou sa nature animale. Le comportement humain consistant à humilier, torturer ou provoquer la douleur de son prochain ne se retrouve nulle part chez les autres espèces. Ces manifestations sont liées à un conditionnement et à une éducation qui le confrontent très tôt à la violence. L'attachement qui relie l'enfant à ses parents, pour peu qu'il soit fait de douceur, de tendresse et de sollicitude peut l'amener à reproduire la relation de bienveillance qu'il a reçue. Mais quand le sens de l'empathie a été détérioré très tôt et tout au long de l'enfance, les principes moraux peuvent tout autant devenir de véritables prothèses sur une fonction absente. Il ne faut donc pas se contenter de combattre la violence seulement quand elle est excessive, mais aussi quand elle est ordinaire, explique l'auteur, démontrant avec brio ses effets délétères tant au niveau individuel que collectif.

Sommaire

Avant-propos
Première partie - La violence éducative et ses effets sur les individus et les relations interpersonnelles
Chapitre I - Définition et nature de la violence éducative ordinaire
Chapitre II - Effets de la violence éducative sur ses victimes
Chapitre III - Violence éducative et relations interpersonnelles
Chapitre IV - L'apport de la neurobiologie à la compréhension des effets de la violence éducative
Chapitre V - Violence éducative et comportements innés
Deuxième partie - Violence éducative ordinaire et culture
Chapitre I - La violence éducative de ses origines à ses répercussions religieuses
Chapitre II - Un avatar du péché originel : la férocité animale de l'enfant et de l'homme
Chapitre III - Un nouvel avatar du péché originel et de la bestialité : la théorie des pulsions
Chapitre IV - Résistance des autorités médicales à la révélation de la maltraitance et des abus sexuels
Chapitre V - Une source d'illusion : la résilience
Chapitre VI - Violence éducative et littérature, ou la cécité et le silence des écrivains
Chapitre VII - Méconnaissance de la violence éducative dans les grandes études sur la violence
Chapitre VIII - La violence éducative ordinaire : une pratique culturelle dénaturante
Chapitre IX - Résistance de la violence éducative à sa remise en question
Troisième partie - Sortir de la violence éducative
Chapitre I - Réhabiliter notre vision de l'enfant, et donc de l'homme
Chapitre II - Prémisses d'un changement
Conclusion - Et si la nature humaine était bonne…
Annexes
1. Violences dans les institutions.
2. Précisions sur les effets du stress sur la santé.
3. Effets du stress sur la mémoire.
4. Violence éducative chez les !Kung.

Nombre de pages : 356

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Un fait curieux

(A l’attention des partisans de la non-violence)

Nous, qui nous disons non-violents ou partisans de la non-violence, devrions être attentifs à un fait curieux.

Pendant des dizaines d’années, en général depuis leur création, les mouvements et journaux non-violents ne se sont absolument pas intéressés à la violence première, chronologiquement, dans la vie de chaque individu, celle que subissent les enfants, dès leur plus jeune âge, de la main même de leurs parents ou de leurs éducateurs.

Non pas la maltraitance, mais la violence éducative ordinaire des tapes, gifles et fessées à laquelle recourent 90% des parents et que subissent 90% des enfants. Certains même continuent à ne pas s’y intéresser, et s’irritent même parfois quand on veut attirer leur attention sur ce sujet.

Comme s’il était ridicule de penser que le fait de frapper les enfants au moment où ils sont le plus sensibles, le plus malléables, où leur cerveau est en pleine formation, ait des conséquences néfastes sur leur relation avec la violence.

Moi-même qui suis aujourd’hui convaincu que la violence éducative est une des sources principales de la violence des adultes, il m’a fallu attendre l’âge de cinquante ans, dont près de trente passés à prêcher la non-violence, pour que j’en prenne conscience en lisant le livre d’Alice Miller : « C’est pour ton bien » (Éditions Aubier).

Et il est très intéressant de se demander pourquoi nous avons manifesté cette indifférence, cette ignorance, ce refus de prendre au sérieux la violence éducative comme source de la violence. La raison est en fait très simple. L’enfant de un an ou deux qui est frappé par ses parents qu’il aime et dont il est entièrement dépendant, n’a aucun moyen de juger ce qu’il subit.

Si on le frappe, c’est qu’il est désobéissant, méchant, minable, et il le mérite bien. Les coups qu’ils reçoit lui donnent honte d’être lui-même. Devenu adulte, il ne pourra les regarder qu’avec un sentiment de honte, n’en parler que sur un ton de dérision ou en affirmant que les coups qu’il a reçus lui ont fait le plus grand bien, ou même les oublier complètement. Mais il lui sera presque impossible de les remettre en question. Et il sera convaincu qu’on ne peut pas élever les enfants autrement. Ce qui fait que, même s’il s’oppose plus tard à la violence et prêche la non-violence, il ne lui viendra pas à l’idée d’établir le moindre rapport entre la violence contre laquelle il combat et les « bonnes fessées » ou « bonnes gifles » qu’il a subies.

Ce qui est vrai des non-violents est vrai aussi, bien entendu, de tous les adultes. Dans tous les ouvrages sur les causes de la violence, il est rarissime de voir sérieusement prise en compte la violence éducative, même, il faut le souligner, dans les pays où le niveau de cette violence est très élevé, comme par exemple les pays africains où la bastonnade est infligée à 90% des enfants, non pas par maltraitance, mais « pour leur bien ». D’ailleurs, très peu de spécialistes des sciences humaines s’intéressent à ce sujet. Il a fallu une évolution de plusieurs siècles pour que les pays européens commencent à prendre conscience des effets néfastes de la violence éducative et pour que l’intensité de cette violence y baisse.

Aujourd’hui, cette prise de conscience se manifeste au niveau des plus hautes instances internationales (Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Organisation Mondiale de la Santé qui, en novembre 2002, a publié un rapport sur la violence qui dénonce les dangers des punitions corporelles). Mais elle est très loin de s’être effectuée dans l’ensemble de l’opinion publique, y compris de l’opinion publique non-violente. La réduction du niveau de la violence éducative est pourtant une condition essentielle pour que la non-violence cesse d’être minoritaire et s’installe comme un comportement général et permanent.

Si nous ne nous attaquons pas à ce qui est, plus encore je crois que l’injustice sociale, la « violence mère », tous nos efforts pour prêcher la non-violence seront perpétuellement submergés par le dressage à la violence subi « pour leur bien » par la majorité des enfants du monde.

Pendant que nous nous efforcerons laborieusement de convaincre, le plus souvent avec des moyens dérisoires, une infime minorité d’adultes, la violence éducative transmise de génération en génération par les parents, formera à la violence et à la soumission à la violence, des cohortes d’enfants.

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Lettre à un rabbin sur la violence éducative

« La dernière chose dont prend conscience le poisson, c’est de l’eau de son bocal » Proverbe.

Dans mon travail de recherche sur la violence, je lis la majorité des livres qui portent sur ce sujet.

Je viens ainsi de lire l’ouvrage collectif : La Violence, Ce qu’en disent les religions (Éditions de l’Atelier, Éditions ouvrières, 2002). Ce livre a été réalisé sous la direction du philosophe Philippe Gaudin.

Cinq religions y sont représentées, chacune par un spécialiste. L’hindouisme est représenté par Véronique Bouillier, directrice de recherche au CNRS et ethnologue, le christianisme par le pasteur François Clavairoly, de l’Église réformée de France, le judaïsme par le rabbin Daniel Farhi, du Mouvement juif libéral de France, l’islam par Mehrézia Labidi-Maïza, traductrice et spécialiste des textes sur l’islam et la société arabo-musulmane, et enfin le bouddhisme par Fabrice Midal, docteur en philosophie et auteur d’ouvrages sur le bouddhisme tibétain.

Ce livre est intéressant et écrit par des auteurs soucieux de lutter contre la violence et pour la paix. Mais je le lisais surtout pour voir si la violence éducative était prise en compte parmi les causes possibles de la violence.

Or, une fois de plus, et même si je commence à y être habitué, j’ai ressenti une sorte de désespoir à voir qu’aucun de ces auteurs n’a mentionné à aucun moment la violence éducative comme source possible de la violence humaine.

J’avoue que je trouve assez extraordinaire l’attitude des religions et des croyants qui disent vouloir lutter contre la violence et ne prêtent pas la moindre attention au fait que depuis des millénaires, la quasi totalité des enfants reçoivent leur première initiation à la violence de la main même de leurs parents puis de leurs maîtres !

Pourtant, ne serait-il pas logique, quand on constate une violence en aval, d’aller chercher en amont ce qui a pu provoquer cette violence ? Mais non !

Alors, on propose toutes sortes de moyens du genre de la prière, de l’ascèse, de l’étude, de la lutte contre les passions, du “lâcher-prise”, tous moyens fort difficile en fait à mettre en pratique et dont l’expérience des religions elles-mêmes montre que leur efficacité est très relative, vu qu’on ne s’étripe jamais aussi bien qu’entre pieux coreligionnaires.

J’ai appris depuis un certain temps à ne pas trop me laisser aller à la colère devant un tel manque de lucidité, d’autant plus que je sais bien que si je n’avais pas lu les livres d’Alice Miller, j’en serais encore moi aussi à errer à la recherche des causes de la violence.

Mais dans ces cas-là, j’écris quand même aux auteurs pour leur signaler qu’il faudrait un peu prêter attention à ce qui se passe dans l’enfance des petits des hommes.

En l’occurrence, j’ai adressé ma lettre au Rabbin Daniel Farhi parce que c’est dans la Bible qu’on trouve la plus précise incitation à la violence éducative sous la forme de nombreux proverbes et j’ai trouvé étonnant qu’il n’en ait pas dit un mot. J’ai ensuite transmis ma lettre au rabbin Farhi aux cinq autres auteurs.

Voici le texte de cette lettre :

Monsieur le Rabbin,

Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.

Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.

Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.

Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».

Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.

Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.

Il donne aux enfants l’exemple de la violence.

Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.

Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.

Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.

Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.

Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.

Et on pourrait continuer ainsi longtemps.

Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.

J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.

Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.

La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.

A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.

Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.

Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération.

Olivier Maurel (11 février 2007)

Et voici deux réponses :

Cher monsieur,

Je vous remercie de pointer mon attention sur ce point très important.

En Orient, la violence éducative existe en effet.

En France pour ce que j’en sais, les bouddhistes français aujourd’hui sont évidemment des citoyens Fançais qui ont lu Dolto.

Bien à vous

Fabrice (11 février 2007)

 

Monsieur,

Il est difficile de tout dire dans de si petits volumes, mais vos remarques ne sont pas sans pertinence. Il me semble que dans celui qui est intitulé « l’injustice », il y a quelques éléments qui vont dans votre sens, notamment dans le début du chapitre « christianisme »…

Cordialement,

Philippe Gaudin (13 février 2007)

Monsieur le Rabbin,
Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.
Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.
Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.
Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».
Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.
Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.
Il donne aux enfants l’exemple de la violence.
Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.
Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.
Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.
Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.
Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.
Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.
Et on pourrait continuer ainsi longtemps.
Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.
J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.
Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.
La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.
A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.
Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.
Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération. 

Olivier Maurel (11 février 2007)

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Le respect évangélique des enfants, ou la clé perdue du Royaume.

Article paru dans la revue espagnole Anthropos en janvier 2007

Le respect évangélique des enfants, ou la clé perdue du Royaume

Une voie hors du mimétisme de la violence et vers l’autonomie

La théorie du mimétisme laisse-t-elle une place à l’autonomie?

Il arrive à René Girard de l’affirmer : “L’homme n’est pas pieds et poings liés abandonné au désir mimétique. Parler de liberté, c’est évoquer la possibilité qu’a l’homme de résister au mécanisme mimétique”¹.

Plus précisément, quand Michel Treguer lui demande s’il n’y a pas de moi autonome, René Girard répond : ”Je ne dis pas qu’il n’y a pas de moi autonome. Je dis que les possibilités de moi autonome, d’une certaine manière, sont presque toujours recouvertes par le désir mimétique”².

Sauf erreur, René Girard ne précise nulle part ce “presque toujours”. Existe-t-il des conditions, et lesquelles, pour que les possibilités d’autonomie ne soient pas “recouvertes par le désir mimétique”?

Sauf erreur également, la seule réponse que donne René Girard à cette question me semble être ce qu’il écrit dans La Voix méconnue du réel : “L’imitation en soi n’est pas mauvaise, puisque Jésus la recommande. Elle ne nous induira jamais en tentation tant que nous imitons Jésus qui, à son tour, imite Dieu dans un esprit d’obéissance enfantine et innocente”³.

N’existe-t-il vraiment aucune autre voie que l’imitation de Jésus pour sortir du mimétisme et atteindre à l’autonomie? L’autonomie ne serait-elle accessible qu’aux seuls chrétiens? Même si l’on répond de façon positive à cette question, et si l’on pense, comme René Girard, que c’est finalement l’influence du christianisme, et donc, d’une certaine façon, l’imitation de Jésus, qui a modelé notre monde pour le meilleur et pour le pire, encore faudrait-il préciser comment l’imitation de Jésus peut nous mener à l’autonomie. Car le moins que l’on puisse dire est que l’imitation de Jésus, telle que l’ont pratiquée les Églises chrétiennes et les chrétiens au cours de leur histoire, est très loin de les avoir menés infailliblement à l’autonomie, à la paix et à la non-violence.

Les recherches de deux auteurs, partis tous deux de points de vue différents, et assez éloignés aussi de celui de René Girard, apportent pourtant des réponses qui permettent de préciser en quoi consiste exactement l’autonomie et quelles sont les conditions qui permettent de l’atteindre et de la promouvoir. En cette période de l’histoire de l’humanité où sa survie même est menacée, il me semble que si ces auteurs nous indiquent les moyens de quitter “la grande autoroute de la crise mimétique⁴ ”, ils méritent d’être écoutés.

Michel Terestchenko et la “banalité du bien”

Le premier de ces auteurs est un philosophe, Michel Terestchenko. Dans un ouvrage intitulé Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité du bien⁵ , et publié à l’automne 2005, il remet en question les philosophies qui affirment que l’homme est fondamentalement égoïste et que tout son comportement, y compris ses actions qui peuvent passer pour altruistes, s’avèrent à l’analyse dictés par l’amour-propre ou l’intérêt personnel. A cette vision pessimiste de l’homme, que l’on peut faire remonter à saint Augustin et à la doctrine du péché originel, Michel Terestchenko oppose non pas un quelconque rousseauisme, mais des faits bien établis : le comportement d’un grand nombre d’hommes et de femmes qui ont su se conduire de façon totalement altruiste et autonome.

De plus, il appuie son analyse sur une enquête rigoureuse qui porte sur plusieurs centaines de ces hommes et de ces femmes : ceux et celles qui, pendant les persécutions nazies ont sauvé des milliers de juifs de la déportation et auxquels l’institut israélien Yad Vashem a conféré le titre de “Justes parmi les nations”. Plus de quatre cents de ces “sauveteurs” (c’est le terme consacré) ont participé à cette enquête. Ses auteurs, Samuel et Pearl Oliner, ont essayé de cerner la “personnalité altruiste”, sa formation et ses motivations⁶.

Concernant le mimétisme, leur réponse est particulièrement intéressante car l’action menée par ces sauveteurs demandait une très grande capacité d’autonomie et de résistance à la pression collective environnante. La plupart d’entre eux ont agi seuls, volontairement, au péril de leur propre vie, poussés par leur compassion, souvent en opposition avec un environnement antisémite, et dans des conditions de clandestinité qui ne pouvaient leur faire espérer aucune reconnaissance. Et les personnes dont ils ont eu à s’occuper étaient très souvent pour eux des étrangers, d’une culture et d’une religion différente de la leur, des personnes mises au banc de la société et officiellement dénoncées comme des sous-hommes. Autrement dit, pour les secourir, non seulement ils ne pouvaient faire appel au simple altruisme qui nous pousse à secourir nos proches, mais il leur fallait aussi échapper à tout mimétisme.

Or, le résultat capital de cette enquête mis en valeur par Michel Terestchenko, c’est, dans l’enfance de presque tous ces sauveteurs :

  • l’affection qui les liait à leurs parents,
  • la nature non répressive et non autoritaire de l’éducation qu’ils avaient reçue,
  • les valeurs altruistes qui leur avaient été transmises.

Toujours d’après Michel Terestchenko, c’est cette éducation qui aurait permis chez eux “l’émergence d’une personnalité libre et autonome, capable de faire des choix qui ne sont dictés ni par les normes sociales en vigueur ni par le besoin d’obtenir l’approbation d’autrui, capable également d’agir avec endurance et courage sans voir dans l’éventualité de l’échec (voire de sa propre mort) un obstacle dirimant⁷”.

Autrement dit, ces “Justes” n’étaient pas des héros exceptionnels ou des saints, mais simplement des hommes et des femmes ordinaires qui, dans leur enfance, avaient pu s’épanouir librement dans l’affection, accompagnés par des adultes qui leur donnaient, par leur vie, l’exemple de l’altruisme. D’où la seconde partie du sous-titre de l’ouvrage de Michel Terestchenko : “banalité du bien”.

Et Michel Terestchenko en arrive, dans sa conclusion, à définir la personnalité altruiste par une caractéristique essentielle : la présence à soi. Il montre en effet que ces sauveteurs ne se sont pas contentés d’éprouver de la compassion pour les victimes qu’ils avaient en face d’eux, mais qu’ils ont dû et pu faire appel à toutes leurs capacités : esprit de décision, courage, intelligence, indifférence à l’égard de l’opinion dominante, imagination. Quand on les a interrogés sur ce qui les avait poussés à agir, ils ont presque tous dit que c’était “tout naturel”, que “ça allait de soi” qu’il fallait agir, qu’ils ne pouvaient pas “faire autrement”. La plupart aussi ont pris leur décision en quelques minutes et sans consulter personne.

On voit à quel point ce comportement, s’il obéit au mimétisme d’apprentissage, puisque les valeurs de l’aide ont été apprises dans l’enfance par l’exemple des parents et des éducateurs, échappe au mimétisme de la violence et également au mimétisme de la passivité.

Car dans un autre chapitre de son livre, Michel Terestchenko expose les étonnantes expériences sur la “psychologie de la passivité humaine”, relatées en 1970 par Bibb Latané et John Darley⁸, expériences très instructives qui ont montré que la capacité des hommes à intervenir en faveur d’un de leurs semblables en danger décroît très fortement quand, au lieu d’être seuls, ils se trouvent en compagnie d’autres personnes. Dans ce cas, il se produit une véritable inhibition du comportement altruiste, inhibition dans laquelle le mimétisme est certainement pour beaucoup.

Michel Terestchenko cite également les expériences mieux connues de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité⁹ , et celle de la “prison de Stanford” imaginée en 1971 par Philip Zimbardo¹⁰ .

Ces expériences ont en commun de montrer notre extrême dépendance par rapport à une autorité, à une institution (la prison), ou simplement à la présence d’un ou plusieurs de nos semblables. Elles font ainsi d’autant mieux ressortir l’extrême capacité d’autonomie que peut exiger un comportement altruiste individuel en situation de danger, dans un environnement idéologique hostile.

Mais comment s’explique que seule une infime minorité d’hommes et de femmes soient capables d’un tel comportement et que la majorité des hommes collaborent aux persécutions, y sont indifférents, ou encore se contentent d’une compassion passive ?

Pour répondre à cette question, il faut faire appel aux travaux d’une autre chercheuse qui, depuis près de trente ans travaille sur les effets des traumatismes d’enfance sur le comportement individuel et collectif des adultes. Ce qui justifie particulièrement le choix de cette explication, c’est que, sur les trois caractéristiques communes de l’éducation des “justes”, deux d’entre elles sont en général assez bien partagées : la plupart des parents manifestent de l’affection à leurs enfants et, dans des pays majoritairement chrétiens, les valeurs de l’altruisme sont en général, sinon pratiquées, du moins largement proclamées. La caractéristique qui se rencontrait beaucoup plus rarement, à l’époque où les contemporains du nazisme ont été enfants, est certainement l’aspect non autoritaire de l’éducation. Or, ce que montrent les travaux de la chercheuse dont il va être question, c’est que la violence dans l’éducation altère gravement la capacité d’autonomie.

L’apport d’Alice Miller

A travers une dizaine d’ouvrages¹¹ traduits en un grand nombre de langues, Alice Miller a étudié l’effet destructeur sur la personnalité des traumatismes d’enfance.

Mais, quand on pense traumatismes d’enfance, on pense souvent maltraitance caractérisée et abus sexuels, malheurs qui ne touchent qu’une minorité d’enfants.

Or, ce qu’Alice Miller a mis en valeur ce sont non seulement les effets destructeurs connus de la maltraitance, mais ceux de la méthode d’éducation la plus couramment utilisée partout dans le monde, et cela depuis les premières civilisations dotées d’une écriture : la violence éducative ordinaire. Cette méthode d’éducation consiste, dans les quelques pays où son intensité a baissé, en tapes, gifles et fessées et, dans la majorité des autres, en coups de bâton et autres formes de violence souvent proches de la torture mais considérées comme éducatives.

A ce titre, cette forme de violence est souvent recommandée : plusieurs proverbes bibliques, on le verra plus loin, la conseillent de façon très impérative, et on trouve des proverbes de ce genre dans toutes les civilisations. Aujourd’hui encore, non seulement des lieux communs comme “une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne” mais aussi des spécialistes de l’enfance n’hésitent pas à conseiller gifles et fessées.

Une autre de ses caractéristiques, c’est que, comme elle est subie par chacun dès sa petite enfance et plus souvent qu’on ne croit jusqu’à sa majorité, elle est comme l’eau du bocal pour le poisson rouge qui n’en a aucune conscience. Et cela à un point étonnant.

Comment se fait-il par exemple que les moralistes, les philosophes, les théologiens, la plupart des psychologues et des psychanalystes parlent de l’homme, de sa nature, de ses comportements sans tenir aucun compte de ce dressage par la violence subi par 80 à 90% des enfants, de la part des adultes qui sont leur base de sécurité, et cela pendant toutes les années où leur cerveau se forme? Comment le comportement de ces enfants pourrait-il ne pas en être affecté? Pourtant, la plupart des ouvrages qui se proposent d’expliquer la violence ne soufflent pas mot de cette violence première ou ne la citent qu’en passant.

Et il faut bien dire que même la théorie du mimétisme de René Girard, sauf erreur de ma part, ne tient pas compte de ce dressage.

Il est donc important de voir comment la violence éducative vient interférer avec notre tendance au mimétisme.

Violence éducative et mimétisme.

La violence des parents agit bien évidemment sur le mimétisme des enfants. La première chose qu’apprend un enfant frappé par ses parents, ce n’est pas à obéir et à mieux se comporter, c’est à frapper. On sait aujourd’hui¹² que notre cerveau est équipé de neurones miroirs qui enregistrent tous les comportements que nous observons. Et les zones du cerveau que cette observation a activées sont exactement les mêmes qui s’activent lorsque nous reproduisons le même comportement. C’est-à-dire que la violence des parents, qu’ils le veuillent ou non, prépare des chemins neuronaux à la violence des enfants.

La violence subie dans l’enfance apprend aussi à l’enfant à se soumettre, non pas à la loi, mais à la violence et aux personnalités violentes. Plus un enfant subit de violences sans pouvoir les remettre en question parce que tout son entourage les considère comme normales et bénéfiques, plus il devient capable de se laisser endoctriner et enrégimenter par tel ou tel leader politique violent qui reproduit le comportement parental. Et sa colère refoulée qui n’a pu se libérer sur ses parents pourra s’évacuer sur les “ennemis héréditaires”, les “ennemis de classe”, les mécréants ou tel ou tel bouc émissaire qu’on lui désignera. Alice Miller a montré que tous les dictateurs du XXe siècle ont eu une enfance ravagée par la violence (Hitler, Staline, Mao, Ceausescu, Saddam Hussein, Amin Dada) ou la froideur affective (Milosevic) de leurs parents ou de ceux qui les ont éduqués, et qu’ils ont pris le pouvoir sur des peuples eux-mêmes collectivement soumis à des méthodes d’éducation autoritaires et violentes.

La violence éducative peut mettre aussi hors d’usage deux freins inhibiteurs de la violence tout court.

Elle peut altérer la tendance à l’empathie, frein que nous avons en commun avec un bon nombre d’animaux. Des expériences ont montré que des singes contraints à faire souffrir un de leurs congénères pour s’alimenter préfèrent ne plus manger plutôt que de lui faire violence¹³. Mais, chez un enfant, l’empathie et la compassion s’entretiennent par l’empathie et la compassion dont il est lui-même l’objet. Si on lui fait violence sans lui marquer de compassion, il peut, pour survivre, se blinder sous les coups et perdre toute sensibilité aux émotions des autres parce qu’il ne ressent plus les siennes. C’est ainsi qu’un enfant soumis à la violence peut devenir un adulte capable des pires atrocités parce qu’émotionnellement il ne perçoit plus ses semblables comme tels.

D’autre part, du point de vue idéologique, l’utilisation de la violence dans l’éducation change son signe et lui donne, en opposition radicale avec le principe fondamental de toute morale : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse”, une connotation positive. Ses parents qui l’aiment frappent d’ailleurs leur enfant, “pour son bien”. La fessée (ou ailleurs la bastonnade) est censée “remettre les pendules à l’heure”, “mettre des limites”, “clarifier” ou “ventiler l’atmosphère”. Devenu adulte, pourquoi ne penserait-il pas que, de même qu’”une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne”, une “bonne guerre”, “fraîche et joyeuse” permettrait de résoudre bien des problèmes. D’autre part, mimétisme encore, le simple fait que la violence soit l’attribut des adultes la rend prestigieuse et exemplaire.

Quant à la perte de l’autonomie, donner à un enfant l’habitude d’obéir aux coups au lieu d’obéir à sa raison; pire, le contraindre à nier ses propres sentiments (“Arrête de pleurer, tu n’as pas mal!”), c’est l’entraîner dès son plus jeune âge à vivre dans la dépendance des autres. Si l’on ajoute qu’une bonne partie de la violence éducative, celle qui atteint l’enfant dans son plus jeune âge, puis à l’adolescence, concerne la propreté et la sexualité, et vise à soumettre les besoins les plus intimes du corps de l’enfant à la volonté des adultes, il ne faut pas s’étonner si l’adulte qu’il devient éprouve plus tard les plus grandes difficultés à se conduire de façon autonome, selon ses propres besoins, ses propres sentiments et sa propre raison.

Et ce ne sont pas quelques enfants qui sont soumis à ce traitement de façon plus ou moins violente, mais, d’après les enquêtes les plus fiables, de 80 à 90% des enfants sinon plus¹⁴ . On comprend facilement pourquoi il est si rare de voir des adultes se comporter de façon réellement autonome, non-violente et altruiste, l’altruisme étant en fait la véritable antithèse de la violence mimétique.

Une fois qu’on a pris conscience de l’altération des capacités d’autonomie par la violence éducative, il devient évident que cette altération ne peut que renforcer les comportements mimétiques.

Origines de la violence éducative

L’exemple des grands singes¹⁵ et celui d’un bon nombre de sociétés de chasseurs-cueilleurs que l’on a pu observer au XXe siècle montre que la violence éducative n’a rien d’inné. Les singes ne la pratiquent absolument pas et les mères ne punissent jamais leurs petits. D’autre part, les témoignages de Margaret Mead sur les Arapesh¹⁶, de Claude Lévi-Strauss sur les Nambikwaras¹⁷, de Jean Malaurie sur les esquimaux¹⁸, du Père Dhellemmes sur les Pygmées¹⁹, et bien d’autres montrent qu’un bon nombre de sociétés restées au stade de la cueillette et de la chasse ne frappent pas non plus les enfants.

Comme d’autre part, à l’inverse, on trouve dans toutes les civilisations dotées d’une écriture des proverbes conseillant de frapper les enfants, il est probable que la violence éducative est apparue et s’est répandue au moment du néolithique, quand l’homme a commencé à se livrer à l’agriculture et à l’élevage.

Certaines observations faites au cours du XXe siècle sur des sociétés passées en peu de temps de la chasse et de la cueillette à l’élevage et à l’agriculture²⁰ laissent penser que le rapprochement des naissances a pu être pour beaucoup dans l’apparition de ce comportement. Dans les sociétés de chasseurs cueilleurs, l’écart des naissances était de quatre ou cinq ans à cause de la pratique très prolongée de l’allaitement qui jouait un rôle contraceptif. Mais il s’est probablement réduit à deux ou trois ans au moment du passage à l’agriculture qui permettait de donner des bouillies de céréales et du lait d’animaux aux bébés. Le comportement d’un enfant de deux ou trois ans à l’égard de son puîné est très différent de celui d’un enfant de quatre ou cinq ans, déjà beaucoup plus autonome. A deux ou trois ans, les manifestations de jalousie sont fréquentes. De plus, les hormones de l’allaitement rendent les femmes très agressives à l’égard de tout être qui fait mine d’agresser leur nourrisson²¹. Il est donc possible que la violence éducative ait commencé par les réactions violentes des mères cherchant à mettre fin aux agressions des aînés contre le nouvel arrivant. La généralisation de ce comportement, due à la généralisation de la situation qui le provoquait a pu amener les hommes à le considérer comme normal, à le théoriser en proverbes, considérés plus tard, dans la civilisation biblique, comme paroles inspirés par Dieu.

D’autre part, les enfants qui avaient subi ce traitement l’ont intégré à leur répertoire de comportements normaux et reproduit sur leurs propres enfants par simple mimétisme d’apprentissage. La violence éducative a ainsi pu s’installer de façon durable dans le comportement humain et être considérée jusqu’à nos jours comme la manière normale d’élever les enfants.

Ainsi, le déchaînement de la violence mimétique qui date sans doute du paléolithique a pu être décuplé au moment du passage au néolithique, quand la violence éducative a commencé à être pratiquée. Celle-ci avait en effet la particularité de faire sauter tous les processus d’inhibition, et cela dès la petite enfance, avant même que l’enfant ait été exposé à des crises mimétiques susceptibles d’aboutir à des meurtres. A partir de ce moment, l’histoire de l’humanité est devenue en grande partie une histoire de guerres et de massacres.

La violence éducative dans la Bible

Dans les livres antérieurs aux Évangiles, huit dictons du livre des Proverbes (entre les Xe et Ve siècle av. J.-C) et du livre de l’Ecclésiastique²² (début du IIe siècle avant J.- C) recommandent la violence à l’égard des enfants. Par exemple :

  • Celui qui ménage les verges hait son fils, mais celui qui l’aime le corrige de bonne heure (Pro. 13, 23).
  • La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre (Pro. 22, 15).
  • Ne ménage pas à l’enfant la correction, si tu le frappes de la baguette, il n’en mourra pas (Pro. 23, 13).
  • Fais-lui courber l’échine pendant sa jeunesse, meurtris-lui les côtes tant qu’il est enfant, de crainte que, révolté, il ne te désobéisse et que tu n’en éprouves de la peine. (Eccl. 30, 12).

On voit que, sur une dizaine de siècles, l’éducation biblique considère les châtiments corporels comme une partie essentielle de l’éducation et comme un moyen de prévention de la désobéissance, même antérieurement à toute faute.

Et la vision que les juifs avaient de leur rapport à Dieu est clairement une projection des rapports terrestres entre père et fils. Dieu est constamment présenté comme un père aimant, certes, mais un père qui, parce qu’il l’aime, châtie son enfant pour le corriger : “Oui, Yahvé te corrige comme un homme corrige son fils” (Deut. 8, 6) ; “La discipline de Yahvé, mon fils, ne la repousse pas ; ne dédaigne pas son exhortation. Oui, Yahvé exhorte le fils qu’il aime comme un père le fils qu’il agrée” (Prov. 3, 11-12). Et toute l’histoire du peuple juif telle que la présente la Bible est une succession de fautes de l’homme et de châtiments infligés par Dieu : bannissement hors du Paradis, déluge, destruction de Sodome et Gomorrhe, exil à Babylone, etc. On voit que la violence éducative prend ici une dimension divine. On ne saurait trouver meilleur exemple du fait que la violence éducative, loin d’être un fait marginal dans notre culture, est un fait central placé au cœur des croyances de la civilisation judéo-chrétienne.

L’enfant modèle dans l’Évangile

Les Évangiles, eux, ne parlent pas des châtiments corporels. Mais l’attitude de Jésus à l’égard des enfants est tout à fait nouvelle et semble exclure toute violence à leur égard. Il présente l’enfant à ses disciples non pas comme un être imparfait et porteur de folie qui devrait donc être corrigé, mais, de façon radicalement contraire, comme un modèle à suivre. Ce n’est pas seulement l’imitation de Jésus que conseille l’Évangile, c’est aussi l’imitation des enfants, comportement très peu compatible avec le fait de les battre. Les trois Évangiles synoptiques retiennent la même formule appliquée aux enfants : “C’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des Cieux” ou “le Royaume de Dieu” (Matthieu, 19, 14 ; Marc, 10, 14 ; Luc, 18, 16). Plus précisément encore, l’Évangile de Matthieu avertit : “Si vous ne retournez à l’état des enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, voilà le plus grand dans le Royaume des Cieux” (Matthieu, 18, 3-4). Dans l’Évangile de Luc, Jésus s’assimile à l’enfant : “Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon Nom, c’est moi qu’il accueille” (Luc, 9, 48). C’est dire que l’enfant, s’il est l’image de Jésus, lui-même image de Dieu (“celui qui m’a envoyé”), doit être respecté absolument. Propos confirmés par une autre parole des trois évangiles synoptiques : “Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer” (Matthieu, 18, 6).

Or, présenter à un enfant un modèle de violence en lui faisant violence, c’est le scandaliser. Si Jésus ne parle pas explicitement des châtiments corporels, il va bien au-delà par l’image qu’il donne de l’enfant. Et il semble évident que les châtiments corporels en usage à son époque sont inclus dans le scandale dont risquent de se rendre coupables les adultes à l’égard des enfants.

Persistance de la violence éducative dans l’Église

Malheureusement, la Lettre aux Hébreux marque un retour à la conception d’un Dieu punisseur. Son auteur, dont on considère aujourd’hui qu’il n’est probablement pas Paul, reprend un des proverbes de l’Ancien Testament et le commente ainsi : “C’est pour votre correction que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Et quel est le fils que ne corrige son père ? Si vous êtes exempts de cette correction, dont tous ont leur part, c’est que vous êtes des bâtards et non des fils” (Hébreux, 12, 7-8). Pour l’auteur de cette lettre, non seulement le châtiment est pédagogique mais il est même la preuve de la filiation et de l’amour du père. Quelle différence avec le comportement du père du fils prodigue qui non seulement court au devant de son fils, l’accueille à bras ouvert, tue pour lui le veau gras, et même ne tient aucun compte de la culpabilité que le fils lui-même s’attribue !

Mais rien chez les premiers chrétiens, ni chez les suivants, hélas! ne semble montrer qu’ils aient appliqué les paroles de Jésus sur les enfants à la manière de les élever. Et à part quelques rares exceptions qui ne font que confirmer la règle, on a continué à frapper les enfants dans les familles et dans les établissements chrétiens comme on les battait avant la venue de Jésus.

Tout se passe en fait comme si les disciples de Jésus, élevés de la façon traditionnelle, c’est-à-dire par la violence, n’avaient pu comprendre les paroles de Jésus sur les enfants, dressés qu’ils étaient, depuis leur propre enfance, à trouver parfaitement normal et nécessaire de les traiter à coups de bâton. “Les Évangiles, écrit d’ailleurs Girard, sont soulevés par une intelligence qui n’est pas celle des disciples… »²³

Le premier chapitre des Confessions de saint Augustin est une étonnante vérification de cette hypothèse. Saint Augustin y évoque les mauvais traitements qu’il a subis à son entrée à l’école. Les moqueries de ses parents quand il s’en plaint montrent qu’ils ne devaient guère se conduire autrement à son égard. Mais, et c’est une démarche coutumière chez ceux qui ont subi des châtiments corporels et qui ne les ont pas suffisamment remis en question, saint Augustin reste incapable de dénoncer sans réserves ce qu’il a subi. Quelques pages plus loin, dans la suite du même premier livre des Confessions, son raisonnement s’inverse et, après avoir dit que ces études au cours desquelles il a tant souffert ont quand même contribué à l’amener à la foi chrétienne, il en arrive à contester au contraire l’enseignement de Jésus sur les enfants. : “C’est cela l’innocence enfantine? Oh ! non, Seigneur mon Dieu, de grâce ! non”. D’après lui en effet, les péchés des enfants sont la source des péchés des adultes. Et il conclut : “Un symbole d’humilité en la taille des enfants, tel fut donc, ô notre Roi, ce que tu as garanti, quand tu as dit : “A leurs pareils le royaume des cieux !” Pour lui, Jésus n’aurait pas voulu parler de leur innocence mais du symbole d’humilité qu’est leur petitesse. Et dans ce même premier livre des Confessions, saint Augustin affirme le dogme qui va être une justification de plus des châtiments corporels, le dogme du péché originel : “Nul, en effet, n’est devant toi pur de péché, non pas même l’enfant qui n’a sur terre vécu qu’un jour”. “Si petit enfant et déjà si grand pécheur !²⁴ ”

Cette démarche est tout à fait significative de l’attitude de quelqu’un qui a subi la violence quand il était enfant et qui n’a pas pu la remettre en question. S’il a été battu, c’est qu’il était coupable. Et comme tous les enfants sont battus, c’est qu’ils sont tous coupables. Ils portent le mal en eux. “Lorsqu’ils voient que tout le monde est contre eux, où puiseraient-ils la force de ne pas avouer, sur quoi se fonderait leur refus?” écrit René Girard à propos des sorcières et des accusés politiques, dans Quand ces choses commenceront…

Cette auto-accusation devenue accusation dogmatique, on la trouve partout sous des formes diverses : folie dans un des proverbes bibliques cités ci-dessus, péché originel dans le christianisme, animalité brutale chez certains auteurs chrétiens et plus tard chez certains auteurs athées pré et post darwiniens, pulsions freudiennes, violence fondamentale chez Jean Bergeret²⁵ … La psychanalyse est celle qui est allée le plus loin dans l’accusation des enfants en leur attribuant, et c’est bien significatif, les crimes considérés comme les pires depuis la nuit des temps : le parricide et l’inceste. Ceux-là même que René Girard appelle les “stéréotypes de la persécution”, ceux-là même qui, dans Oedipe-Roi sont la cause de la peste à Thèbes, et dont au Moyen-âge on accusait encore les juifs dans les textes de persécution. Il existe une “unanimité violente” contre les enfants comme contre tous les boucs émissaires.

Et du même coup, en plaçant l’origine du mal à l’intérieur des individus et dans les enfants à peine sortis du ventre maternel, saint Augustin, et l’Église qui l’a suivi, se privaient de voir que le mal est beaucoup plus dans ce qui se passe entre les individus sous la forme du mimétisme, de la violence infligée aux enfants ou sous la forme de l’absence d’altruisme, que dans les individus.

Le résultat de cette surdité de l’Église aux paroles de Jésus sur les enfants est que si quelques-uns de ses membres ont critiqué les violences excessives des maîtres, jamais, et c’est malheureusement encore vrai aujourd’hui, l’Église n’a remis en question la violence éducative parentale²⁶. C’est-à-dire qu’une partie essentielle du message du Christ, celle qui portait précisément sur le premier modèle de violence dans la vie de tous les hommes, violence qui les enferme dans un cycle de violences, n’a jamais été pratiquée ni même comprise. L’Église a prêché l’amour pendant vingt siècles tout en pratiquant dans ses écoles ou en acceptant que les parents pratiquent dans les foyers la violence sur les enfants (quand elle ne l’encourageait pas !²⁷). Autrement dit, elle a contribué à former une humanité irrésistiblement portée à la violence et elle s’est privée de ce qui était vraisemblablement une clé pour faire de l’Évangile un véritable message de paix. Car renoncer aux méthodes d’éducation traditionnelles fondées sur l’autoritarisme et la violence, fonder l’éducation sur l’amour et le respect réel des enfants, était, comme le montre l’exemple des “Justes”, la meilleure façon de promouvoir la paix et l’altruisme.

C’est pourquoi il a fallu attendre que des influences gréco-latines extérieures au christianisme (Quintilien²⁸ et Plutarque²⁹, qui se sont prononcés contre les châtiments corporels), trouvent un écho, au moment de la Renaissance, chez quelques humanistes très libres à l’égard de l’Église (Érasme³⁰ et Montaigne³¹ notamment), pour que se produise une très progressive prise de conscience qui a amené une atténuation de la violence éducative en Europe, sans pour autant que le nombre des parents qui y ont recours ait très sensiblement baissé.

Mais aujourd’hui encore, alors qu’ont été progressivement mises hors la loi au cours du XIXe et du XXe siècle, les violences faites aux domestiques, aux soldats et aux marins, aux prisonniers, aux femmes, les tribunaux français reconnaissent toujours aux parents et aux enseignants, en contradiction avec le code pénal, un droit de correction par la violence sur les enfants³². Les enfants qui ont été, à l’âge des sacrifices humains, parmi les premiers à en être victimes, sont aujourd’hui encore les derniers à être exposés légalement à la violence des coups.

La dérision est aussi un des mécanismes psychologiques par lesquels s’effectue l’exclusion de ces boucs émissaires que sont les enfants. Il est très difficile de se faire prendre au sérieux quand on dénonce la fessée. Et la raison en est que, pour en avoir tous reçu et en avoir été humiliés, nous nous distancions, par l’ironie et la dérision, de l’enfant humilié que nous avons été.

Comment sortir du cycle de la violence?

De même qu’il faut introduire dans la séquence girardienne de l’histoire des origines de l’humanité, l’apparition de la violence éducative, il faut aussi préciser par quels chemins il serait possible de sortir de la violence éducative qui contribue si activement à la violence mimétique.

Si Alice Miller et Michel Terestchenko ont raison, il est vain d’inviter les hommes à renoncer à la violence dans leurs comportements d’adultes sans leur indiquer ce qui la provoque dans l’enfance et comment y remédier. Or, l’exemple de l’autonomie des “justes” montre qu’une éducation à la fois affectueuse, non autoritaire et riche en exemples d’altruisme permet à ceux qui la reçoivent de ne pas se laisser entraîner par le mimétisme de la violence. Le passage du mimétisme d’apprentissage au mimétisme d’appropriation puis au mimétisme de la violence n’est nullement fatal. Il l’est surtout chez ceux (la majorité des hommes actuellement) qui ont été soumis à l’exemple de la violence dès leur petite enfance de la part de ceux qui constituaient leur base de sécurité et qui étaient à leurs yeux des modèles prestigieux.

C’est donc cette violence originelle, la violence éducative, qu’il faut mettre en question, qu’il faut dénoncer et qu’il faut arriver à interdire. Cette dernière mesure est nécessaire pour compenser l’extrême puissance sur l’esprit des adultes de l’autorité parentale subie dans la petite enfance. Face à cette autorité, seule l’autorité de l’Etat, assortie d’un soutien aux familles pour les aider à trouver d’autres modes d’éducation, est susceptible de faire le poids. Les États signataires de la Convention des droits de l’enfant se sont d’ailleurs en principe engagés dans ce sens, puisque l’article 19 de cette convention stipule que les États doivent protéger les enfants “contre toute forme de violence”. Mais les résistances sont très fortes à la fois au niveau des États, des institutions diverses, des religions, des parents, et il faudra beaucoup d’efforts des associations et des individus sensibilisés à ce problème pour que l’interdiction qui n’a été votée pour le moment que dans seize pays, presque tous européens, se généralise à tous les pays du monde et que d’autres modes d’éducation soient mis en œuvre par les parents.

Et il ne s’agit pas de faire des parents de nouveaux boucs émissaires. Les parents qui frappent leurs enfants ne sont que d’anciennes victimes devenues bourreaux. Il faut simplement qu’ils prennent conscience de la nocivité de ces comportements et qu’ils adoptent des méthodes d’éducation compatibles avec les vrais besoins des enfants.

Dans l’entretien que René Girard a eu avec Michel Tréguer³³ , il imagine comme possible “un bon amorçage” à partir duquel pourrait se produire, “par mimétisme”, “une réaction en chaîne” favorable, par exemple, à la décision de détruire toutes les bombes atomiques et de nourrir tous les affamés. Mais il ajoute qu’ “il y a beaucoup plus de chances pour que le mimétisme joue dans le mauvais sens”. Car “la loi quotidienne de l’homme, c’est la violence”.

Or, s’il est un point à partir duquel pourrait se produire une réaction en chaîne favorable, c’est bien la décision de renoncer à la violence éducative car précisément, elle aurait des chances sérieuses de faire que “la loi quotidienne de l’homme” ne soit plus la violence et qu’elle devienne l’autonomie et l’altruisme.

Et s’il faut imiter Jésus pour sortir du mimétisme de la violence, le premier pas à faire serait de l’imiter dans son respect des enfants.

Notes

  1. Les Origines de la culture, p. 137.
  2. Quand ces choses commenceront, p. 28.
  3. La Voix méconnue du réel, p. 187.
  4. Je vois Satan tomber comme l’éclair, p. 62
  5. La Découverte, 2005.
  6. Oliner Samuel et Pearl, The Altruistic Personality, Rescuers of Jews in Nazi Europe, What Led Ordinary People to Risk their Lives on Behalf of Others, The Free Press, Paperback Edotion, New York, 1992.
  7. Op. cit., p. 226.
  8. Latané Bibb, Darley John, The Unresponsive Bystander, Why Doesn’t he Help ?, Prentice Hall, New Jersey, 1970.
  9. Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, Calmann Lévy, 1974.
  10. Zimbardo Philip, Maslach Christina, Haney Craig, “Stanford Prison Experiment”, in Blass T. (sous la dir. de), Obedience to Authority, Current Perspectives on the Milgram Paradigm, 2000.
  11. Dont, entre autres, C’est pour ton bien (Aubier, 1984), La Connaissance interdite (Aubier, 1990), Abattre le mur du silence (Aubier, 1990), Libres de savoir (Flammarion, 2001), Notre corps ne ment jamais (Flammarion, 2004).
  12. La découverte a été faite autour de 1992 par le professeur Rizzolatti de l’université de Parme. Cf. Marc Jeannerod, Le Cerveau intime, Odile Jacob, 2002.
  13. Expériences mentionnées par Antonio Damasio dans Spinoza avait raison, Odile Jacob, 2003, p. 264.
  14. Au cours d’un débat au Conseil de l’Europe, le 21 juillet 2004, les pourcentages suivants d’enfants ayant subi des punitions corporelles ont été avancés pour six pays, tous européens : Croatie: 93 %; 27 % ont reçu des coups entraînant des blessures. Pologne: 80%. Roumanie: 84%. D’autres sondages pour le Royaume-Uni donnent 91% d’enfants battus, pour le Canada, 75 %, pour la France, 84%, Pour le Maroc, 85% à l’école, pour le Cameroun, 90% à la maison et 96%en classe. Pour plus de précisions sur la violence éducative dans le monde, lire La Fessée, Questions sur la violence éducative (La Plage, 2001).
  15. D’après le témoignage de chercheurs du zoo d’Anvers recueilli par l’auteur.
  16. Mœurs et sexualité en Océanie, Terre humaine, 1963.
  17. Tristes Tropiques, Terre humaine, 1955.
  18. Les Derniers Rois de Thulé, Terre humaine, 1976.
  19. Le Père des Pygmées, Flammarion, 1985.
  20. Sarah Blaffer Hrdy, Les Instincts maternels, Payot, 2002, p. 141.
  21. Sarah Blaffer Hrdy, op. cit. p. 83.
  22. Proverbes, 13,23; 19,18; 22,15; 23,13; 23, 14; 29, 15. Ecclésiastique, 30,1; 30, 12.
  23. Quand ces choses commenceront…, p. 146.
  24. Traduction de Louis de Mondadon, S. J., Livre de poche, 1947.
  25. Jean Bergeret, La Violence et la vie, La face cachée de l’œdipe, Bibliothèque scientifique Payot, 1994.
  26. Le Catéchisme de l’Église Catholique, validé par le Pape Jean-Paul II en 1992, cite encore tel quel, dans son paragraphe 2223 du chapitre sur le quatrième commandement (le respect dû aux parents), le proverbe biblique : “Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit” (Si, 30, 1-2) sans l’accompagner d’un commentaire susceptible d’en atténuer le sens littéral.
  27. Aujourd’hui encore, dans plusieurs pays du monde, les Églises et les religions en général sont parmi les principaux opposants à l’interdiction des châtiments corporels considérés comme le “châtiment biblique”.
  28. Quintilien (30-100 ap. J.-C.), Institution oratoire.
  29. Plutarque, Moralia (vol. 1) et Vie de Caton dans La Vie des hommes illustres..
  30. Erasme, Colloquia familiaria.
  31. Montaigne, Essais, livre I, chapitre 26.
  32. Martine Herzog-Evans, Châtiments corporels, vers la fin d’une exception culturelle, Actualité juridique famille, juin 2005.
  33. Quand ces choses commenceront, Arléa, 1994, p. 25.

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Ces deux tiers de l’humanité qui brutalisent l’autre…

La population mondiale compte 33% d’enfants de moins de 15 ans. Si l’on tient compte du fait que l’enfance dure en fait jusqu’à la majorité et si on fixe celle-ci à dix-huit ans, bien plus d’un tiers de la population mondiale est composé d’enfants.

Or, s’il est un fait dont on ne tient jamais compte parmi les rapports d’oppression, c’est que sur toute la surface de la terre, à l’exception de douze pays, les deux tiers de l’humanité composés d’adultes s’attribuent depuis des millénaires le droit de frapper le tiers restant. D’après les enquêtes les plus sérieuses, 90% des enfants du monde subissent des coups qui vont de la tape et de la gifle à la bastonnade, celle-ci étant le procédé le plus largement employé, et très souvent avec une grande violence.

Cela signifie qu’entre leur naissance et l’âge de dix-huit ans, souvent plus tard encore, tout se passe comme si la quasi totalité de la cohorte des millions d’enfants en marche vers l’âge adulte cheminaient sous une grêle de coups de leurs parents et de leurs maîtres, comme s’ils étaient des animaux ou des esclaves. Quand ils ne la subissent pas, ils ont de bonnes raisons de la craindre car ils la voient subir par leurs frères, leurs sœurs ou leurs camarades les plus proches et ils vivent donc dans la crainte tout au long de leurs années d’enfance.

Et si les parents et les éducateurs frappent ainsi les enfants, ce n’est pas pour leur faire du mal mais pour leur faire du bien ! De telle sorte que l’accession à l’âge adulte est, entre autres choses, l’accession à l’âge où, dans la plupart des cas, on est protégé des coups par la loi et où l’on acquiert d’office le droit de frapper la génération montante, “pour son bien”. De plus, formés de cette manière, les enfants arrivent à leur majorité avec la conviction qu’il est normal de régler les conflits par la violence.

Si nous intégrions ce paramètre à notre vision de l’histoire de l’humanité, nous comprendrions mieux pourquoi les hommes sont capables des pires horreurs, ayant appris sous les coups, dès leur plus jeune âge, qu’il était normal de frapper les êtres les plus faibles et les plus vulnérables.

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Résilience, maltraitance et violence éducative ordinaire

Beaucoup d’études actuellement, tendent à montrer que, contrairement à ce que l’on croyait, la violence ne se transmet pas automatiquement d’une génération à l’autre. Les enfants martyrs ne deviendraient pas des parents bourreaux. La grande majorité des enfants battus s’en sortiraient finalement bien. Seule une faible proportion des enfants à risques deviendraient délinquants ou maltraitants.

Si c’est vrai, c’est évidemment une bonne nouvelle.

Mais quand on examine d’un peu plus près ces enquêtes, on est obligé de déchanter.

En effet, ce dont on parle dans ces cas-là, c’est de la maltraitance. Or, qu’est-ce que la maltraitance ? C’est le niveau de châtiments corporels qui n’est plus toléré dans une société donnée. En France, par exemple, la bastonnade est une forme de maltraitance. Mais au Cameroun, c’est un moyen éducatif parfaitement admis et pratiqué par 90% des parents. Il est probable qu’au Cameroun, la maltraitance ne commence que lorsque l’enfant a les membres brisés.

Et donc, que veut-on dire quand on déclare qu’il n’y a pas de transmission générationnelle de la maltraitance ? On déclare seulement que ceux qui ont subi des pratiques qui ne sont plus tolérées dans telle ou telle société ne seront qu’un petit nombre à les pratiquer à leur tour. Non tant parce qu’elles ne sont plus tolérées, mais parce que, entre leur enfance et l’âge adulte, ces personnes auront eu l’occasion de rencontrer un bon nombre de gens qui auront été choqués par leur souffrance, leur auront manifesté de la compassion et fait sentir que ces pratiques étaient vraiment intolérables.

De plus, elles auront été, en tant que victimes de mauvais traitements reconnues, suivies par les services sociaux, peut-être enlevées à leur famille, et ne pourront donc ignorer le caractère inacceptable de ce qu’elles ont subi. Enfin, quand on suit à intervalles plus ou moins réguliers des enfants maltraités et qu’on les interroge sur leur comportement, il est évident qu’on leur donne une occasion supplémentaire de réfléchir sur ce qu’elles ont vécu, ce qui ne peut que les aider à ne pas le reproduire.

En revanche, quand il s’agit de violence éducative ordinaire, c’est-à-dire d’un niveau de coups parfaitement admis dans une société donnée, quand, dans un pays, 90% des parents bastonnent ou fessent les enfants, on constate que 90% des parents de la génération suivante bastonnent ou fessent aussi les enfants. Et cela dure depuis des millénaires! Dans ce cas, en effet, les enfants frappés n’ont aucune occasion de se rendre compte qu’ils ont été maltraités. Tout le monde leur dit, et ils se le disent eux-mêmes, qu’ils l’ont bien mérité parce qu’ils ont été désobéissants, insupportables, etc. et qu’il fallait bien les éduquer.

Il est donc un peu léger d’affirmer que la transmission intergénérationnelle est un mythe.

En réalité, la notion de maltraitance est une notion alibi. La maltraitance, c’est le niveau de violence éducative que l’on montre du doigt. Mais on n’établit aucun rapport avec les niveaux inférieurs de violence éducative qui, eux, paraissent tout à fait bénins et sans aucun danger. Tout se passe comme si la mise en lumière de la maltraitance grave rejetait par contraste dans l’ombre la violence éducative tolérée. Ou comme si la maltraitance dénoncée servait de paratonnerre à la maltraitance tolérée, voire préconisée.

Il est très significatif de voir que ce sont des médecins légistes qui, au XIXe siècle, ont commencé à alerter l’opinion publique sur les sévices et les abus sexuels infligés aux enfants : il s’agissait de cas mortels. Mais nul rapport n’était établi avec la violence éducative tolérée de cette époque qui, aujourd’hui, nous apparaîtrait comme maltraitance caractérisée. La littérature a ensuite commencé à dénoncer la maltraitance imposée aux enfants en général par des parents adoptifs ou des belles mères.

Un pas décisif a été franchi par Jules Vallès qui, dans un texte à caractère autobiographique à peine dissimulé, L’Enfant (1879), montrait pour la première fois une mère, sa propre mère, le battant tous les jours, et son père parfois. Mais Jules Vallès est resté longtemps à peu près inconnu.

Aujourd’hui encore, la plupart des associations de défense des droits de l’enfant s’occupent de la maltraitance mais ne mènent aucune action contre la violence éducative ordinaire.