Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Interview : « La violence éducative : Olivier Maurel » (revue Kaizen)

Interview publiée dans la revue Kaizen le 25 janvier 2013

[Note de l'admin : Je vous recommande en préambule l'illustration présente sur le site de Kaizen]

Kaizen : Comment est né votre intérêt pour la question de la violence éducative ?

Olivier Maurel : Cela remonte à mon enfance pendant la guerre, à ces bombardements sous lesquels j’ai dû chercher un abri et à la déportation d’une de mes sœurs. Toute ma vie, je me suis demandé pourquoi les hommes en arrivaient à adopter des comportements si violents et si cruels. J’avais près de cinquante ans quand j’ai trouvé la réponse la plus convaincante à mes questions, dans le livre C’est pour ton bien d’Alice Miller. Depuis lors, je n’ai pas cessé de travailler sur ce sujet. Et je me suis aperçu que la violence éducative avait des conséquences dans une multitude de domaines où on ne s’attendrait pas à la voir intervenir, comme la recherche scientifique ou la religion.

Qu’appelez-vous « violence éducative ordinaire » ? Quelle différence faites-vous avec la maltraitance ?

La « violence éducative ordinaire » désigne tous les comportements qui se veulent éducatifs, mais qui sont des formes de violence physique, verbale ou psychologique tolérées ou préconisées dans une société donnée. En France, la tape, la gifle et la fessée en sont des exemples. La maltraitance, elle, inclut des mauvais traitements sans visée éducative comme la négligence ou les abus sexuels. Dans le domaine éducatif, elle fait référence à des comportements qui, à un moment donné de l’histoire d’une société, ne sont plus considérés comme tolérables. En France, aujourd’hui, les coups de ceinture et de bâton ne sont plus tolérés, alors qu’ils l’étaient il y a un siècle ou deux.

Peut-on évaluer la proportion d’enfants victimes de ce type de violence en France et à travers le monde ?

Les résultats des enquêtes varient beaucoup selon la manière dont les questions sont posées. Pour la France, ils vont de 70 à 85%. Dans les pays du monde où les punitions corporelles n’ont pas été contestées, 90% des enfants, ou même davantage, sont battus, et souvent très violemment, dans les familles et dans les écoles. C’est en Europe qu’on trouve le plus grand nombre de pays ayant interdit toute forme de punition corporelle à l’école et à la maison, mais cette tendance commence à se répandre en Amérique du Sud et en Océanie.

Quelles sont les conséquences de la violence éducative ?

Elles sont multiples. La violence est une atteinte à l’intégrité des enfants et au capital de sociabilité innée avec lequel, comme tous les animaux sociaux, ils viennent au monde. C’est un coup porté à leur santé physique (l’Organisation Mondiale de la Santé recense de nombreuses maladies somatiques et psychosomatiques causées par des violences subies dans l’enfance), ainsi qu’à leur santé mentale et notamment à leur estime de soi, à leur confiance en eux. Cela nuit également à leurs capacités relationnelles, qui se modèlent sur les premières relations vécues dans l’enfance. La tendance à la violence ou à la soumission à la violence est une des conséquences les plus courantes de la violence éducative.

Que répondez-vous à une personne qui avance qu’ « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne », qu’elle a elle-même reçu des fessées et qu’elle n’est pas traumatisée pour autant ?

Ces deux types de réflexions résultent d’un des effets les plus pervers des punitions corporelles. Le jeune enfant qui subit des coups ou des violences verbales de ses parents auxquels il est viscéralement attaché est convaincu par ces coups qu’il est mauvais et que ses parents sont obligés de le frapper pour le corriger. Il s’adapte donc à ce traitement et le considère comme un signe d’amour parental. Il en arrive à penser non seulement que ce traitement ne lui fait aucun mal, mais même que tout ce qu’il y a de bon en lui en découle. Les enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où c’est l’usage ne réagissent pas autrement : « Si mes parents ne m’avaient pas donné de coups de bâton, je n’aurais pas fait d’études, je me serais droguée », écrivait une étudiante sur un site africain.

Mais ces deux affirmations sont des contrevérités. « Une bonne fessée », et souvent une seule fessée, peut rendre un enfant masochiste sexuel à vie. On le sait depuis l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau publié au XVIIIe siècle, Les Confessions, et plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres me l’ont confirmé. La proximité des terminaisons nerveuses des organes sexuels et des fesses fait que les coups peuvent provoquer une excitation sexuelle suivie d’une fixation à vie entre les coups et l’orgasme : sans coups, plus d’orgasme.

D’autre part, ceux qui croient ne pas avoir été traumatisés par les fessées qu’ils ont reçues ne s’aperçoivent pas qu’en défendant les punitions corporelles, ils contredisent à la fois le principe le plus universel de la morale appelé « règle d’or » à cause de son universalité : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », et un autre principe que tout parent essaie d’inculquer à ses enfants : « Il est lâche de faire violence à un être plus faible que soi ». Ne pas voir cette évidence est à mon avis le signe qu’on a été plus traumatisé qu’on ne le croit.

Le philosophe Alain écrit : « Les jeux des enfants, s’ils sont sans règle, tournent à la bataille ; et sans autre cause ici que cette force désordonnée qui se mord elle-même ». La violence physique ne fait-elle pas partie de l’être humain ? Existe-t-il des peuples qui éduquent « naturellement » sans être violents à l’endroit des enfants ?

La connaissance des enfants a beaucoup progressé depuis ces propos d’Alain au début du XXe siècle. On sait aujourd’hui que l’agressivité qui se manifeste chez certains enfants (et non pas chez tous) entre 18 mois et 4 ans, s’atténue et disparaît à partir du moment où l’enfant est capable d’exprimer par des mots et non plus seulement par des gestes les fortes émotions qu’il éprouve. On sait aussi que les enfants qui ont été élevés avec empathie ne manifestent même pas cette agressivité infantile. Alain écrivait à une époque où presque tous les enfants étaient au moins giflés et fessés, et souvent battus beaucoup plus violemment. La violence était pour eux un comportement normal dont les adultes leur donnaient l’exemple. Mais aujourd’hui les études sur la psychologie infantile montrent que s’ils sont élevés avec empathie, non seulement ils ne sont pas violents, mais ils sont naturellement portés à l’entraide.

L’étude des primates a aussi montré que les grands singes les plus proches de nous, notamment les bonobos, sont très peu violents et manifestent spontanément des comportements d’entraide, de réconciliation, de consolation.

Il existe des peuples plus proches de la nature que nous, qui éduquent leurs enfants sans violence. Ce sont des peuples de chasseurs-cueilleurs vivant encore dans des conditions assez proches de celles de nos ancêtres de la préhistoire, avant la révolution néolithique. Il est donc possible que pendant plus des 9/10e de son existence, soit un peu moins de 200 000 ans, l’humanité ait traité ses enfants avec douceur, jusqu’aux débuts de la sédentarisation il y a environ 12 000 ans. Mais lors du passage à l’agriculture et à l’élevage, le mode de vie des hommes a beaucoup changé et l’apparition de l’écriture, 3000 ans avant Jésus-Christ, a mis à jour de nombreux proverbes recommandant de frapper les enfants.

N’est-il pas aussi grave d’exercer une violence psychologique qu’une violence physique sur un enfant ?

La violence psychologique et la violence verbale sont évidemment très graves. Dire par exemple à un enfant : « Tu es nul » ou « Tu feras le trottoir » est littéralement meurtrier. Et un bon nombre de lecteurs de mes livres m’ont dit : « Les coups, au bout d’un moment, je ne les sentais plus, mais les insultes de ma mère ou de mon père, elles sont toujours présentes ».

Cependant, la violence physique présente des dangers particuliers. Dire qu’on ne sentait plus les coups peut être le signe d’un endurcissement, d’un blindage de la sensibilité qui empêche le sujet de ressentir ses propres émotions. Il risque alors de ne plus être sensible aux émotions et à la souffrance des autres et de leur infliger les mêmes cruautés sans état d’âme. D’autre part le corps garde en mémoire les coups reçus, et ceux qu’on croit avoir oubliés peuvent ressortir sous la forme de somatisations dont les médecins et les kinésithérapeutes ne savent pas toujours reconnaître l’origine. Enfin, il faut bien voir que la violence physique est la seule à avoir été partout recommandée sous la forme de proverbes. On n’a jamais recommandé de la même manière d’insulter les enfants.

Quel lien établissez-vous entre la violence éducative et l’état de la société (écologique et social) ?

Il existe un parallélisme très clair entre le niveau de violence éducative pratiqué dans les diverses sociétés et la violence et l’oppression qu’elles sont capables d’exercer ou de supporter. La violence éducative infligée aux enfants a pour effet de leur faire considérer ce comportement comme normal ou/et de leur apprendre à s’y soumettre. Alice Miller a montré que tous les dictateurs du XXe siècle, sans exception, ont été des enfants dévastés par la violence de leurs éducateurs. Et ils ont pris le pouvoir sur des peuples qui avaient été massivement soumis à un haut niveau de violence éducative. L’éducation dans l’Allemagne prénazie, par exemple, était terriblement violente et oppressive. Au contraire, les sociétés où la violence éducative a beaucoup baissé se caractérisent par un niveau très faible de violence politique et sociale et un niveau plus élevé de justice et d’égalité.

J’ai pris conscience du rapport entre la violence éducative et l’état écologique de la planète lorsque j’ai reçu des lettres de lecteurs et lectrices dévoilant le mal-être où ils se trouvaient à cause de ce qu’ils avaient subi étant enfants. La violence et les humiliations reçues leur avaient ôté la capacité d’être simplement heureux d’exister, avec leur corps, leurs sensations, leurs émotions et leurs relations avec les autres. Quand on a perdu ce simple bonheur d’être, on tend à se rabattre sur des ersatz de plaisir : le plaisir d’avoir, le plaisir du pouvoir sur les autres et le plaisir de paraître. Or, la recherche de l’avoir, du pouvoir et de l’apparence est le carburant de la machine financière, économique et technique qui actuellement détruit la planète à grande vitesse.

Pourquoi légiférer sur la question de la fessée et comment s’assurer du respect d’une loi ? Comment a-t-on statué dans les autres pays ? Cela nécessite soit d’avoir accès à l’intérieur des foyers, soit de faire confiance aux enfants…

Il y a quatre siècles que les punitions corporelles ont commencé à être remises en question, mais cette évolution a été d’une lenteur extrême car elle se heurte en nous à de très fortes résistances, notamment à l’attachement à nos parents que nous avons tous éprouvé. Or, l’impact de la violence éducative sur la violence humaine et sur les comportements qui mettent notre planète en danger, ne nous permet pas d’attendre encore deux ou trois siècles pour voir disparaître ce fléau. Des lois claires d’interdiction accélèrent la prise de conscience des dangers de la violence éducative.

Vous venez de publier La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines ? (Editions L’Instant présent, août 2012). Quel nouvel éclairage souhaitez-vous apporter sur la question à travers ce livre ?

Au cours de mes recherches, j’ai été surpris de voir que les auteurs qui traitent de la violence humaine oublient presque toujours de parler de la forme de violence la plus fréquente, la plus ordinaire, que sont les punitions corporelles infligées par les parents et les enseignants. Comment peuvent-ils l’oublier alors qu’elle est universelle, souvent d’une grande intensité et que c’est la plus susceptible d’influer sur le niveau de violence des adultes ? J’ai donc étudié systématiquement tous les ouvrages parus autour de 2008 et dont les titres annonçaient qu’ils traitaient de la violence humaine. Des livres écrits par des psychanalystes, des psychologues, des sociologues, des historiens ou des philosophes. Or, sur 99 auteurs, 6 seulement ont tenu compte de la violence éducative. Pire encore, les autres attribuent la responsabilité de la violence à l’agressivité et aux supposées « pulsions » des enfants. Je montre ensuite que c’est la violence éducative elle-même qui nous pousse à ne pas en prendre conscience et à accuser les enfants de la violence des adultes. Autrement dit, si invraisemblable que cela paraisse, la violence éducative qui, comme chacun sait, « n’a jamais fait de mal à personne », perturbe en fait jusqu’au fonctionnement du cerveau des chercheurs.

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Enfance : faut il interdire la fessée ?

Interview publiée sur le site NPA2009.org

La proposition de loi Antier, comme la Palme d’or à Cannes du film Le ruban blanc, montrent bien que la violence infligée aux enfants est devenue une question de société incontournable, mais qui divise profondément la société.

Comment analysez-vous cette situation ?

Au milieu du xixe siècle, en France, frapper les enfants à coups de bâton paraissait encore normal. Pour nous, aujourd’hui, c’est de la maltraitance mais les gifles et les fessées paraissent encore normales à beaucoup de gens. L’évolution dans ce domaine s’est toujours heurtée à beaucoup de résistances.

Comment expliquez-vous qu’un nombre non négligeable de pédagogues, de psychologues et de psychiatres s’opposent à l’interdiction ?

Comme 80 à 90% des enfants, ils ont subi des punitions corporelles à un âge où ils ne pouvaient pas remettre en question leurs parents. L’enfant qu’ils étaient se sentait coupable. Et ils portent encore en eux cet enfant qui ne veut pas condamner le comportement de ses parents.

D’autre part, les professionnels de l’enfance opposants à l’interdiction ont en commun de croire à la théorie des pulsions, selon laquelle l’enfant est animé de désirs de parricide, d’inceste et de meurtre. Cela correspond d’ailleurs parfaitement à ce que croit de lui-même l’enfant frappé: « Je suis mauvais ». Ainsi, cette théorie, d’ailleurs curieusement proche de celle du péché originel imaginée par Saint Augustin (qui fut lui-même beaucoup battu à l’école), justifie le désir inconscient des enfants de ne pas accuser leurs parents.

Enfin, la plupart des professionnels de l’enfance sont très mal informés sur la réalité de la violence éducative que même les études les plus pointues et les rapports officiels sur la violence en général ignorent.

Quelle différence faites-vous entre la maltraitance caractérisée et ce que vous appelez la « violence éducative ordinaire » ?

Si on représente par un iceberg l’ensemble des violences subies par les enfants dans un but éducatif, la maltraitance n’en est que la partie émergée, celle que tout le monde dénonce, et la violence éducative ordinaire, la partie immergée, à laquelle personne ne fait attention. Le volume de la première dépend de celui de la seconde. Le taux de maltraitance dans une société est proportionnel au niveau de violence ordinaire qui y est toléré.

Quelles sont d’après vous les origines de cette violence ?

C’est pour l’essentiel la reproduction par mimétisme de ce qu’on a subi. Les neurones miroirs présents dans notre cerveau enregistrent les comportements que nous voyons et nous préparent à les reproduire. Ce qu’apprend à son enfant un parent qui le frappe, c’est à frapper. Et pire : à frapper un être plus faible que soi. La plupart des auteurs de violences conjugales ont subi des violences dans leur enfance.

Quels en sont les effets sur les individus ? Et sur les sociétés ?

Sur les individus : une longue liste de maladies ou de vulnérabilités physiques et mentales dues à l’altération du système immunitaire par les hormones du stress, comme le montre un rapport de l’OMS de 2002. Sur les sociétés, l’habitude acquise d’obéir à des stimulations violentes a trois effets principaux : reproduction de la violence par mimétisme (tous les pays où se sont produits de grands massacres ou des génocides sont des pays où la violence éducative est ou était intense), soumission à la violence qui prépare de la chair à canon à tous les dictateurs, et l’incivisme et la corruption par habitude de la débrouille en catimini pour éviter les coups.

Pourquoi interdire par une loi ? Le travail de conviction et d’éducation ne serait-il pas plus efficace à terme ?

Ce travail est indispensable, mais il est trop lent, parce que la motivation de la violence éducative est inconsciente et remonte à notre petite enfance. À l’autorité de nos parents logée dans notre inconscient doit se substituer une autorité supérieure, celle de la loi qui déclare très clairement que toute violence à l’égard des enfants est interdite. L’expérience des pays qui ont réalisé cette interdiction, avec une campagne d’information intelligente et réitérée et un accompagnement des parents, montre que le basculement de l’opinion publique peut se faire rapidement. D’autant plus qu’aujourd’hui, beaucoup de jeunes parents veulent élever leurs enfants sans violence.

Propos recueillis par Pierre Vandevoorde

Olivier Maurel anime depuis 2007 l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (oveo.org). Il a écrit plusieurs livres, parmi lesquels La Fessée (éditions La Plage, 2001) et Oui, la nature humaine est bonne ! (éditions Laffont, 2009, voir TEAN La Revue n°6).

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Lettre à Robert Muchembled

Monsieur,

Je viens de terminer la lecture de votre livre : Une Histoire de la violence, dans lequel j’ai appris beaucoup de choses.

Mais j’ai aussi été extrêmement surpris de ne rien voir dans votre livre concernant un sujet sur lequel je travaille.

Vous n’y mentionnez pratiquement jamais, sauf dans quelques phrases, la violence éducative contre les enfants. On sait pourtant bien aujourd’hui que cette violence, aussi bien dans les familles que dans les écoles, consistait et consiste encore aujourd’hui, dans beaucoup de pays, en de véritables sévices.

Je m’attendais à ce qu’un livre intitulé comme le vôtre consacre au moins un chapitre à cette forme de violence qui concernait et concerne encore, à des degrés d’intensité variés, 80 à 90 % des êtres humains dans leur plus jeune âge, celui où elle peut le plus profondément les marquer. Or, les seuls exemples que vous donnez sont ceux, assez exotiques, tirés d’une étude sur la Grèce, exemples qui sont simplement présentés comme des preuves que les mères n’ont pas « toujours conçu leur rôle comme celui d’une douce et obéissante brebis ». C’est peu pour un phénomène aussi important et massif, et qui est loin de ne concerner que les mères.

Même si l’on tient compte du fait que votre livre est plutôt une histoire de l’homicide qu’une « histoire de la violence », la violence sur les enfants devrait y occuper une bonne place. Car il est évident qu’elle a été tout au long de l’histoire, et qu’elle est encore dans beaucoup de pays – où la bastonnade est aussi bien tolérée que le sont chez nous, aux XXe et XXIe siècles, les fessées et les gifles –, la cause directe ou indirecte de beaucoup de décès d’enfants. On considère encore aujourd’hui qu’elle est, en France, la deuxième cause de mortalité infantile, passé la première semaine de vie. Et l’OMS affirme que les châtiments corporels tuent des milliers d’enfants par an. Sans doute n’entrent-ils dans aucune statistique. Mais ils auraient mérité au moins d’être mentionnés.

Mais j’ai été également surpris par le fait que, dans tout votre livre, vous ne vous demandez à aucun moment si la violence infligée aux enfants par leurs modèles adultes les plus proches (parents et enseignants) ne pourrait pas être une des causes de la violence des jeunes adultes. Compte tenu du fait que les enfants sont des imitateurs-nés, il me semble que cette hypothèse méritait d’être examinée. L’influence de la réduction d’intensité de la violence éducative ne pourrait-elle pas expliquer, au moins partiellement, la réduction à l’état de résidu du taux d’homicides dans les pays européens, où, si l’on frappe encore les enfants, la tolérance ne va pas au-delà de la gifle ou de la fessée ? Emmanuel Todd avait déjà donné une explication de ce genre à la réduction des violences sociales et politiques dans la deuxième partie du XXe siècle, dans son livre Le Fou et le Prolétaire (Laffont).

Je trouve d’autant plus étonnant le fait que vous ayez laissé de côté cette hypothèse que vous y faites vous-même très brièvement allusion en une phrase : « Habitués aux sévices ou à leur spectacle dès l’enfance dans leur famille, ces rejetons des classes laborieuses apprennent à se défendre pour survivre et pour exhiber leur honneur viril, valeur essentielle dans la culture ouvrière du temps. » (P. 441.)

Si l’habitude des sévices familiaux peut apprendre aux enfants à se défendre, n’est-il pas évident que le phénomène massif de la violence éducative a pu jouer un rôle important dans la violence des adolescents et des jeunes adultes ? Pourquoi alors ne pas avoir approfondi cette question ?

Pourquoi, surtout, ne pas avoir mentionné, pour expliquer la réduction à l’état de résidu, en Europe occidentale, de « l’insondable énigme du meurtre », le fait que cette réduction pourrait tenir à l’adoucissement des méthodes d’éducation dans cette région du monde ?

Je serais très intéressé de connaître votre réponse à ces questions.

Bien cordialement,

Olivier Maurel.

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Lettre à la Fédération des Ligues des Droits de l’Homme

Lettre adressée à Madame Souhayr Belhassen, Présidente de la Fédération des Ligues des Droits de l’Homme.

Madame la Présidente

C’est au nom de l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire que je me permets de vous écrire.

Le but de notre Observatoire est de faire connaître la réalité des punitions corporelles et des humiliations infligées aux enfants dans les familles et souvent dans les écoles partout dans le monde, punitions tolérées, voire recommandées par l’opinion publique.

Or, depuis que je travaille sur cette question, je constate avec tristesse que les Ligues des Droits de l’Homme, pour des raisons qui m’échappent, ne se préoccupent en général en aucune manière de ces atteintes aux droits de l’homme que sont ces punitions corporelles infligées aux enfants. Pourtant, d’après la majorité des enquêtes effectuées  dans de multiples pays, ce sont 80 à 90% des enfants qui sont victimes de ces violences. Et, dans la plupart des pays du monde, ces violences sont du niveau de la bastonnade.

J’ai plusieurs fois interpellé la Ligue des Droits de l’Homme française sur cette question sans obtenir de réponse, pour la bonne et simple raison que la LDH française ne s’est jamais, à ma connaissance, occupée de cette question. De même, elle n’a pas signé un appel pour l’interdiction des punitions corporelles pourtant signé par cent trente-trois associations françaises au printemps dernier.

De même, je viens de parcourir le site de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme et, sauf erreur, le thème des punitions corporelles infligées aux enfants dans les familles n’y est abordé nulle part. Si je me trompe, je serai heureux d’être détrompé !

Cette indifférence apparente des Ligues des Droits de l’Homme à l’égard des violences à visée éducative infligées aux enfants est stupéfiante pour de multiples raisons dont je ne citerai que les principales.

Dans la plupart des pays, on a, au cours des XIXe et XXe siècles, interdit de frapper toutes les catégories d’êtres humains que l’on frappait impunément autrefois : domestiques, hommes de troupe et marins, prisonniers, femmes, malades mentaux et, dans un certain nombre de pays, les enfants à l’école. Mais on continue à considérer comme normal le fait que les parents frappent les enfants, alors que les enfants sont les êtres les plus fragiles, les plus vulnérables et ceux sur lesquels la violence risque d’avoir les plus durables conséquences.

De multiples études ont montré les graves effets que peuvent avoir sur les enfants les punitions corporelles, aussi bien sur la santé physique que sur la santé mentale des enfants. Le rapport de l’OMS de novembre 2002 sur la violence et la santé en témoigne.

De plus, frapper les enfants dès le plus jeune âge a pour résultat de banaliser à leurs yeux la violence, de les habituer à la violence et de la leur faire considérer comme un moyen normal de régler les conflits.

Frapper les enfants pour les éduquer et les faire obéir, c’est les soumettre au droit du plus fort pendant toutes les années où leur cerveau se forme. Comment espérer qu’élevés ainsi ils soient portés à respecter les droits de l’homme et, notamment, les droits des plus faibles ?

Il y aurait encore une multitude de choses à dire sur l’incompatibilité entre droits de l’homme et violence éducative ordinaire. Mais vous en êtes certainement consciente et je ne veux pas vous importuner davantage. Il ne vous aura certainement pas échappé d’ailleurs que le Conseil de l’Europe s’apprête à lancer une grande campagne pour demander l’interdiction des punitions corporelles à visée éducative, déjà votée par plusieurs pays.

Je terminerai donc simplement par une question. Ne vous serait-il pas possible soit de me rassurer en me montrant que je connais mal l’action des Ligues des Droits de l’Homme et qu’elles agissent bien dans ce domaine, soit d’attirer leur attention sur cette forme de violence qui touche l’humanité presque entière pendant toutes les années où elle se socialise ?

Veuillez agréer, Madame la Présidente, mes respectueuses salutations.

Olivier Maurel, le 8 août 2007

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Rapport de l’O.M.S.

L’Organisation Mondiale de la Santé dénonce la violence éducative comme source de la violence des adultes

Rapport mondial sur la violence et la santé

Genève novembre 2002

(Extrait Internet : http://www5.who.int/violence_injury_prevention/download.cfm?=0000000591)

Pour beaucoup de décideurs, l’idée que la violence constitue un problème de santé publique est nouvelle et, en fait, assez contraire à leur conviction qu’il s’agit d’un problème de criminalité. C’est tout particulièrement la cas pour les formes moins visibles de la violence, comme les mauvais traitements infligés aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées…

Les décideurs ne sont pas assez nombreux à voir que l’on peut prévenir bien des formes de violence…

On continue de se concentrer sur certaines formes de violence très visibles, notamment la violence chez les jeunes, et de prêter beaucoup moins d’attention à d’autres types de violence, comme la violence perpétrée par les partenaires intimes et les mauvais traitements infligés aux enfants…

Bien des pays hésitent à prendre des mesures qui remettent en question des attitudes et des pratiques courantes… (pages 21 – 22).

Causes de la violence

Influences familiales

Le comportement des parents et le milieu familial jouent un rôle essentiel dans le développement d’un comportement violent chez les jeunes…
des châtiments corporels sévères pour punir des enfants sont des prédicteurs importants de la violence pendant l’adolescence et les premières années de l’âge adulte…

Une agressivité parentale et une discipline sévère à l’âge de 10 ans font nettement augmenter le risque de condamnations ultérieures pour violence et ce, jusqu’à l’âge de 45 ans…

Des châtiments corporels sévères infligés par des parents à l’âge de 8 ans laissent prévoir non seulement des arrestations pour violence jusqu’à l’âge de 30 ans, mais également – pour les garçons – la sévérité des châtiments qu’ils infligent à leurs propres enfants et la violence qu’ils feraient subir à leur épouse… (page 36).

Les châtiments corporels sont dangereux pour les enfants. A court terme, ils tuent des milliers d’enfants par an. Beaucoup d’enfants encore sont blessés et nombreux sont ceux qui en gardent des handicaps. A plus long terme, un grand nombre d’études montrent que cette pratique est un facteur important dans le développement de comportements violents et qu’elle est associée à d’autres problèmes pendant l’enfance et plus tard dans la vie… (page 71).

Conséquences de la violence

Sur la santé de l’enfant

Alcoolisme et toxicomanie, déficience intellectuelle, délinquance, violence et prises de risques, dépression et angoisse, retards de développement, troubles de l’alimentation et du sommeil, sentiment de honte et de culpabilité, hyperactivité, mauvaises relations, mauvais résultats scolaires, piètre estime de soi, trouble de stress post-traumatique, troubles psychosomatiques, comportements suicidaires et automutilation.

À plus long terme

Cancer, affection pulmonaire chronique, fibromyalgie, syndrome du colon irritable, cardiopathie ischémique, maladie du foie…

Fardeau financier

- dépenses liées à l’arrestation et aux poursuites judiciaires engagées contre les délinquants
- coûts pour les organismes sociaux qui examinent les cas de maltraitance qui leur sont signalés et qui protègent les jeunes victimes
- coûts associés aux foyers d’accueil
- coûts pour le système éducatif
- coûts pour le secteur de l’emploi dus à l’absentéisme et à une faible productivité.

Profil des gangs

Entre autres facteurs… qui encouragent les jeunes à rejoindre des gangs figurent… des châtiments corporels sévères ou une victimisation à la maison… (page 37).

Prévention de la violence

Formation au rôle de parent

Il ressort de plusieurs évaluations que la formation au rôle de parent donne de bons résultats et quelle contribue durablement à la réduction des comportements antisociaux…

Il ressort d’une étude sur la rentabilité d’interventions précoces destinées à prévenir des crimes et délits graves en Californie… que la formation des parents d’enfants qui manifestent un comportement agressif prévient environ 157 crimes et délits graves par million de dollars américains dépensés… les auteurs estimaient que la formation au rôle de parent était trois fois plus rentable que la loi dite des “trois fautes” appliquée en Californie et aux termes de laquelle les récidivistes sont sévèrement punis… (page 47).

On estime de plus en plus qu’il peut être bénéfique de former tous les parents et les futurs parents… (page 78).

Visites à domicile

Il est avéré que les programmes de visites à domicile contribuent durablement à la réduction de la violence et de la délinquance. Plus tôt et plus longtemps ils sont offerts dans la vie de l’enfant et plus leurs effets positifs semblent importants… (page 46).

Ce type d’intervention est considéré comme étant un des plus prometteurs en ce qui concerne la prévention d’un certain nombre de conséquences négatives, y compris la violence chez les jeunes et les mauvais traitements infligés aux enfants… (page 78).