Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By Olivier Maurel

Deuxième lettre ouverte à Emmanuel Jaffelin

Retrouvez la première lettre ici

Cher Monsieur,

Merci pour votre réponse. Dès que je l’ai reçue, j’ai commandé votre Apologie de la punition qui, grâce à la magie de la wifi m’est arrivée en une minute.

Après lecture dans la journée de votre livre, je suis d’accord avec vous : nous sommes moins ennemis que je ne le pensais. Ou plus exactement moins ennemis que vous ne pensiez que je le pensais. Car en fait je ne vous ai jamais considéré comme un ennemi, mais comme quelqu’un qui manquait d’information sur le sujet précis des punitions infligées aux enfants.

Oui, je suis d’accord avec vous sur une multitude de points. Quand vous écrivez par exemple :

  • qu’il faut « chercher une dynamique visant à remettre le fautif en mouvement vers lui-même en même temps que vers la société » ;
  • qu’il faut « ouvrir la société pour que l’humanité prenne une nouvelle respiration »
  • qu’ « il y a en l’homme une force et une ressource qui sont, la plupart du temps, aussi peu exploitables que le pétrole enfoui dans les entrailles de la terre » ;
  • qu’il s’agit de « réparer, recoudre, restaurer » ;
  • que mieux vaudrait une justice réparatrice
  • que le système carcéral actuel est inacceptable, etc.

Et je pourrais encore longtemps poursuivre l’énumération de mes points d’accord.

Même quand vous parlez des enfants et que vous suggérez les nombreuses formes que peut prendre ce que vous appelez la « punition » : discussion, confrontation avec la ou les personnes impliquées dans la faute, recommandation d’aller s’excuser, restitution de ce qui a été dérobé, réparer ce qui a été abîmé. Tout cela me paraît bel et bon, mais je ne vois pas la nécessité de concevoir tout cela comme une « punition ». On peut le concevoir, comme vous le dites très bien, comme une réparation de la relation. Et je ne vois surtout pas la nécessité de rendre cette réparation humiliante. On peut très bien expliquer à l’enfant que si c’était lui qui était victime de la faute en question, il serait sûrement heureux de voir l’auteur de cette faute venir s’excuser et réparer. Et la privation ne me paraît pas nécessaire non plus, sauf si elle fait partie de la réparation.

Vous reconnaissez dans une note que la remise en question de la fessée et de la gifle sur la base de ses conséquences neurologiques mérite considération. C’est cela qu’il vous faut approfondir. Si vous le faites, comme je vous y ai invité dans mon premier message, vous ne pourrez plus recommander à la légère, comme vous le faites actuellement la gifle et la fessée.

Vous dites que la gifle doit être infligée avec parcimonie, que si elle devient trop fréquente elle est un échec. Vous la voyez comme le résultat d’un simple mouvement d’humeur dans le « corps à corps » familial où elle doit alterner avec les caresses. Mais la gifle n’est pas qu’un mouvement d’humeur. Elle est la répétition des gifles qu’ont subies les parents eux-mêmes et qu’ils répètent par mimétisme. Nos cousins les grands singes ne giflent pas leurs petits. C’est chez nous un réflexe acquis. Dans les pays où l’on frappe les enfants à coups de bâton, c’est le coup de bâton que l’on juge être un simple mouvement d’humeur. De plus, le risque de la répétition fréquente est d’autant plus grand qu’à partir d’un certain âge, l’enfant peut répondre par le défi : « Même pas mal ! ».

Vous citez le cas de Anders Behring Breivik, le tueur norvégien, qui a dit avoir manqué de discipline. Mais si l’on en juge par l’attitude de son père qui a quitté sa mère alors que l’enfant n’avait que un an et qui lui a marqué de plus en plus d’indifférence jusqu’à ne plus le voir du tout à partir du moment où il a eu 16 ans, et à refuser de le revoir onze ans plus tard, quand il a eu 27 ans, c’est bien évidemment d’affection et d’attention qu’il a surtout manqué. Si sa mère n’a pas compensé, ou si elle l’a élevé avec rudesse, ou les deux, il n’est pas étonnant que Breivik soit devenu ce que l’on sait. Le manque d’attention est une des pires violences.

Vous écrivez : « L’absence de punition est un semis invisible de violence. » Ce qui sous-entend que moins on punit, plus il va y avoir de violences. Or, cette affirmation est totalement démentie par l’histoire. La société des siècles passés où l’on punissait beaucoup plus violemment les enfants qu’aujourd’hui était incomparablement plus violente. Les révolutions et les conflits politiques et sociaux en France y ont fait au XIXe siècle des milliers de morts. Au XXe, où la violence éducative a heureusement beaucoup baissé en intensité, les mêmes conflits (à l’exception des guerres internationales et coloniales), ont fait certes, trop de victimes, mais incomparablement moins qu’au XIXe où tous les adultes avaient acquis dès leur enfance un seuil très élevé d’intolérance à la violence. Exactement comme aujourd’hui dans les pays où l’on s’entre-massacre de façon épouvantable et où les enfants sont élevés comme on les élevait en France au XIXe siècle.

A voir les quelques allusions que vous y faites, vous semblez encore croire à la théorie des pulsions de Freud. Plus on approfondit la recherche sur le développement du cerveau et du comportement des enfants, plus on voit que cette théorie est complètement dépassée. Les pulsions de parricide, d’inceste et de mort sont des mythes. En réalité, les enfants, qui sont, comme vous le rappelez avec Aristote, des animaux sociaux, naissent avec des comportements innés qui sont tous relationnels : attachement, imitation, empathie, altruisme (regardez les expériences de Warneken sur internet). Ces comportements innés leur confèrent des prédispositions à vivre en harmonie avec leurs semblables. Si ces prédispositions sont convenablement cultivées par des parents réellement présents, affectueux et attentifs, elles se développent. Mais si on traite les enfants avec gifles et fessées, comme vous le recommandez, on pervertit ces prédispositions. L’enfant apprend qu’attachement et violence peuvent aller ensemble (bonjour la violence conjugale, voire le masochisme!), ses neurones miroirs enregistrent les gestes de violence de ses parents et le préparent à les reproduire sur plus faible que lui (à l’imitation du schéma adulte frappeur- enfant), sa capacité d’empathie peut être réduite, voir détruite par la nécessité de se blinder, et son altruisme naturel peut être découragé. Sans compter les effets sur sa santé physique et mentale par le biais du stress subi dans une situation où l’enfant ne peut ni fuir ni se défendre (cf. les expériences de Laborit).

Ce dont vous ne vous rendez pas compte, il me semble, c’est que vous vivez non pas dans un monde où les enfants sont majoritairement rois, mais dans un monde où, dans la majorité des pays, les enfants sont encore battus à coups de bâton et de fouet, et que quand les parents qui utilisent ces méthodes entendent vos propos, ils se disent : «Nous avons bien raison de ne pas suivre les conseils des Occidentaux, eux-mêmes en reviennent. Regardez ce philosophe si sympathique qui recommande de punir, d’humilier et de frapper les enfants. Ne changeons surtout pas nos méthodes ! »

Vous avez actuellement accès aux médias : je vous en prie, ne détruisez pas par des propos inconsidérés tout le travail que nous sommes quelques-uns à mener en permanence pour que les enfants soient traités partout avec le respect dont ils ont besoin. N’oubliez pas que lorsque vous vous exprimez à la radio ou à la télévision, on ne retrouve dans vos propos aucune des nuances que vous avez mises dans votre livre, notamment par exemple, sur les conséquences neurologiques de la gifle ou de la fessée, et que tout ce qu’on retient, c’est : giflons, fessons, punissons, humilions les enfants pour ne pas en faire des enfants rois ! Est-ce vraiment le résultat que vous voulez obtenir ?

Bien cordialement.

Olivier Maurel