Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Article dans « Libération » du 3 avril 2015

Demain 3 avril devrait paraître dans Libération un grand article d’Ondine Millot sur la violence éducative ordinaire à partir d’une interview réalisée chez Olivier Maurel.

Retrouvez l’article ici : http://www.liberation.fr/vous/2015/04/02/les-faux-semblants-de-la-fessee_1233943

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Sud Radio « C’est vous » – Olivier Maurel répond à Cyril Brioulet

À l’occasion de la Journée de la Non-Violence Éducative (le 30 avril), Olivier Maurel répondait aux questions de Cyril Brioulet dans l’émission « C’est vous », sur Sud Radio.

Vous pouvez réécouter l’émission sur le site de Sud Radio ou directement ici.

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Interview : « La violence éducative : Olivier Maurel » (revue Kaizen)

Interview publiée dans la revue Kaizen le 25 janvier 2013

[Note de l'admin : Je vous recommande en préambule l'illustration présente sur le site de Kaizen]

Kaizen : Comment est né votre intérêt pour la question de la violence éducative ?

Olivier Maurel : Cela remonte à mon enfance pendant la guerre, à ces bombardements sous lesquels j’ai dû chercher un abri et à la déportation d’une de mes sœurs. Toute ma vie, je me suis demandé pourquoi les hommes en arrivaient à adopter des comportements si violents et si cruels. J’avais près de cinquante ans quand j’ai trouvé la réponse la plus convaincante à mes questions, dans le livre C’est pour ton bien d’Alice Miller. Depuis lors, je n’ai pas cessé de travailler sur ce sujet. Et je me suis aperçu que la violence éducative avait des conséquences dans une multitude de domaines où on ne s’attendrait pas à la voir intervenir, comme la recherche scientifique ou la religion.

Qu’appelez-vous « violence éducative ordinaire » ? Quelle différence faites-vous avec la maltraitance ?

La « violence éducative ordinaire » désigne tous les comportements qui se veulent éducatifs, mais qui sont des formes de violence physique, verbale ou psychologique tolérées ou préconisées dans une société donnée. En France, la tape, la gifle et la fessée en sont des exemples. La maltraitance, elle, inclut des mauvais traitements sans visée éducative comme la négligence ou les abus sexuels. Dans le domaine éducatif, elle fait référence à des comportements qui, à un moment donné de l’histoire d’une société, ne sont plus considérés comme tolérables. En France, aujourd’hui, les coups de ceinture et de bâton ne sont plus tolérés, alors qu’ils l’étaient il y a un siècle ou deux.

Peut-on évaluer la proportion d’enfants victimes de ce type de violence en France et à travers le monde ?

Les résultats des enquêtes varient beaucoup selon la manière dont les questions sont posées. Pour la France, ils vont de 70 à 85%. Dans les pays du monde où les punitions corporelles n’ont pas été contestées, 90% des enfants, ou même davantage, sont battus, et souvent très violemment, dans les familles et dans les écoles. C’est en Europe qu’on trouve le plus grand nombre de pays ayant interdit toute forme de punition corporelle à l’école et à la maison, mais cette tendance commence à se répandre en Amérique du Sud et en Océanie.

Quelles sont les conséquences de la violence éducative ?

Elles sont multiples. La violence est une atteinte à l’intégrité des enfants et au capital de sociabilité innée avec lequel, comme tous les animaux sociaux, ils viennent au monde. C’est un coup porté à leur santé physique (l’Organisation Mondiale de la Santé recense de nombreuses maladies somatiques et psychosomatiques causées par des violences subies dans l’enfance), ainsi qu’à leur santé mentale et notamment à leur estime de soi, à leur confiance en eux. Cela nuit également à leurs capacités relationnelles, qui se modèlent sur les premières relations vécues dans l’enfance. La tendance à la violence ou à la soumission à la violence est une des conséquences les plus courantes de la violence éducative.

Que répondez-vous à une personne qui avance qu’ « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne », qu’elle a elle-même reçu des fessées et qu’elle n’est pas traumatisée pour autant ?

Ces deux types de réflexions résultent d’un des effets les plus pervers des punitions corporelles. Le jeune enfant qui subit des coups ou des violences verbales de ses parents auxquels il est viscéralement attaché est convaincu par ces coups qu’il est mauvais et que ses parents sont obligés de le frapper pour le corriger. Il s’adapte donc à ce traitement et le considère comme un signe d’amour parental. Il en arrive à penser non seulement que ce traitement ne lui fait aucun mal, mais même que tout ce qu’il y a de bon en lui en découle. Les enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où c’est l’usage ne réagissent pas autrement : « Si mes parents ne m’avaient pas donné de coups de bâton, je n’aurais pas fait d’études, je me serais droguée », écrivait une étudiante sur un site africain.

Mais ces deux affirmations sont des contrevérités. « Une bonne fessée », et souvent une seule fessée, peut rendre un enfant masochiste sexuel à vie. On le sait depuis l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau publié au XVIIIe siècle, Les Confessions, et plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres me l’ont confirmé. La proximité des terminaisons nerveuses des organes sexuels et des fesses fait que les coups peuvent provoquer une excitation sexuelle suivie d’une fixation à vie entre les coups et l’orgasme : sans coups, plus d’orgasme.

D’autre part, ceux qui croient ne pas avoir été traumatisés par les fessées qu’ils ont reçues ne s’aperçoivent pas qu’en défendant les punitions corporelles, ils contredisent à la fois le principe le plus universel de la morale appelé « règle d’or » à cause de son universalité : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », et un autre principe que tout parent essaie d’inculquer à ses enfants : « Il est lâche de faire violence à un être plus faible que soi ». Ne pas voir cette évidence est à mon avis le signe qu’on a été plus traumatisé qu’on ne le croit.

Le philosophe Alain écrit : « Les jeux des enfants, s’ils sont sans règle, tournent à la bataille ; et sans autre cause ici que cette force désordonnée qui se mord elle-même ». La violence physique ne fait-elle pas partie de l’être humain ? Existe-t-il des peuples qui éduquent « naturellement » sans être violents à l’endroit des enfants ?

La connaissance des enfants a beaucoup progressé depuis ces propos d’Alain au début du XXe siècle. On sait aujourd’hui que l’agressivité qui se manifeste chez certains enfants (et non pas chez tous) entre 18 mois et 4 ans, s’atténue et disparaît à partir du moment où l’enfant est capable d’exprimer par des mots et non plus seulement par des gestes les fortes émotions qu’il éprouve. On sait aussi que les enfants qui ont été élevés avec empathie ne manifestent même pas cette agressivité infantile. Alain écrivait à une époque où presque tous les enfants étaient au moins giflés et fessés, et souvent battus beaucoup plus violemment. La violence était pour eux un comportement normal dont les adultes leur donnaient l’exemple. Mais aujourd’hui les études sur la psychologie infantile montrent que s’ils sont élevés avec empathie, non seulement ils ne sont pas violents, mais ils sont naturellement portés à l’entraide.

L’étude des primates a aussi montré que les grands singes les plus proches de nous, notamment les bonobos, sont très peu violents et manifestent spontanément des comportements d’entraide, de réconciliation, de consolation.

Il existe des peuples plus proches de la nature que nous, qui éduquent leurs enfants sans violence. Ce sont des peuples de chasseurs-cueilleurs vivant encore dans des conditions assez proches de celles de nos ancêtres de la préhistoire, avant la révolution néolithique. Il est donc possible que pendant plus des 9/10e de son existence, soit un peu moins de 200 000 ans, l’humanité ait traité ses enfants avec douceur, jusqu’aux débuts de la sédentarisation il y a environ 12 000 ans. Mais lors du passage à l’agriculture et à l’élevage, le mode de vie des hommes a beaucoup changé et l’apparition de l’écriture, 3000 ans avant Jésus-Christ, a mis à jour de nombreux proverbes recommandant de frapper les enfants.

N’est-il pas aussi grave d’exercer une violence psychologique qu’une violence physique sur un enfant ?

La violence psychologique et la violence verbale sont évidemment très graves. Dire par exemple à un enfant : « Tu es nul » ou « Tu feras le trottoir » est littéralement meurtrier. Et un bon nombre de lecteurs de mes livres m’ont dit : « Les coups, au bout d’un moment, je ne les sentais plus, mais les insultes de ma mère ou de mon père, elles sont toujours présentes ».

Cependant, la violence physique présente des dangers particuliers. Dire qu’on ne sentait plus les coups peut être le signe d’un endurcissement, d’un blindage de la sensibilité qui empêche le sujet de ressentir ses propres émotions. Il risque alors de ne plus être sensible aux émotions et à la souffrance des autres et de leur infliger les mêmes cruautés sans état d’âme. D’autre part le corps garde en mémoire les coups reçus, et ceux qu’on croit avoir oubliés peuvent ressortir sous la forme de somatisations dont les médecins et les kinésithérapeutes ne savent pas toujours reconnaître l’origine. Enfin, il faut bien voir que la violence physique est la seule à avoir été partout recommandée sous la forme de proverbes. On n’a jamais recommandé de la même manière d’insulter les enfants.

Quel lien établissez-vous entre la violence éducative et l’état de la société (écologique et social) ?

Il existe un parallélisme très clair entre le niveau de violence éducative pratiqué dans les diverses sociétés et la violence et l’oppression qu’elles sont capables d’exercer ou de supporter. La violence éducative infligée aux enfants a pour effet de leur faire considérer ce comportement comme normal ou/et de leur apprendre à s’y soumettre. Alice Miller a montré que tous les dictateurs du XXe siècle, sans exception, ont été des enfants dévastés par la violence de leurs éducateurs. Et ils ont pris le pouvoir sur des peuples qui avaient été massivement soumis à un haut niveau de violence éducative. L’éducation dans l’Allemagne prénazie, par exemple, était terriblement violente et oppressive. Au contraire, les sociétés où la violence éducative a beaucoup baissé se caractérisent par un niveau très faible de violence politique et sociale et un niveau plus élevé de justice et d’égalité.

J’ai pris conscience du rapport entre la violence éducative et l’état écologique de la planète lorsque j’ai reçu des lettres de lecteurs et lectrices dévoilant le mal-être où ils se trouvaient à cause de ce qu’ils avaient subi étant enfants. La violence et les humiliations reçues leur avaient ôté la capacité d’être simplement heureux d’exister, avec leur corps, leurs sensations, leurs émotions et leurs relations avec les autres. Quand on a perdu ce simple bonheur d’être, on tend à se rabattre sur des ersatz de plaisir : le plaisir d’avoir, le plaisir du pouvoir sur les autres et le plaisir de paraître. Or, la recherche de l’avoir, du pouvoir et de l’apparence est le carburant de la machine financière, économique et technique qui actuellement détruit la planète à grande vitesse.

Pourquoi légiférer sur la question de la fessée et comment s’assurer du respect d’une loi ? Comment a-t-on statué dans les autres pays ? Cela nécessite soit d’avoir accès à l’intérieur des foyers, soit de faire confiance aux enfants…

Il y a quatre siècles que les punitions corporelles ont commencé à être remises en question, mais cette évolution a été d’une lenteur extrême car elle se heurte en nous à de très fortes résistances, notamment à l’attachement à nos parents que nous avons tous éprouvé. Or, l’impact de la violence éducative sur la violence humaine et sur les comportements qui mettent notre planète en danger, ne nous permet pas d’attendre encore deux ou trois siècles pour voir disparaître ce fléau. Des lois claires d’interdiction accélèrent la prise de conscience des dangers de la violence éducative.

Vous venez de publier La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines ? (Editions L’Instant présent, août 2012). Quel nouvel éclairage souhaitez-vous apporter sur la question à travers ce livre ?

Au cours de mes recherches, j’ai été surpris de voir que les auteurs qui traitent de la violence humaine oublient presque toujours de parler de la forme de violence la plus fréquente, la plus ordinaire, que sont les punitions corporelles infligées par les parents et les enseignants. Comment peuvent-ils l’oublier alors qu’elle est universelle, souvent d’une grande intensité et que c’est la plus susceptible d’influer sur le niveau de violence des adultes ? J’ai donc étudié systématiquement tous les ouvrages parus autour de 2008 et dont les titres annonçaient qu’ils traitaient de la violence humaine. Des livres écrits par des psychanalystes, des psychologues, des sociologues, des historiens ou des philosophes. Or, sur 99 auteurs, 6 seulement ont tenu compte de la violence éducative. Pire encore, les autres attribuent la responsabilité de la violence à l’agressivité et aux supposées « pulsions » des enfants. Je montre ensuite que c’est la violence éducative elle-même qui nous pousse à ne pas en prendre conscience et à accuser les enfants de la violence des adultes. Autrement dit, si invraisemblable que cela paraisse, la violence éducative qui, comme chacun sait, « n’a jamais fait de mal à personne », perturbe en fait jusqu’au fonctionnement du cerveau des chercheurs.

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Interview : Noeto.Fr

Interview publiée sur le site Noeto.Fr en Octobre 2012

Professeur de lettre retraité, Olivier Maurel est père de cinq enfants et grand-père de huit petits-enfants. De sa jeunesse marquée par les conflits militaires, Olivier Maurel a gardé le refus de la violence et son âme de militant pacifiste, son expérience de père et d’enseignant, la rencontre avec les écrits d’Alice Miller l’ont convaincu que la violence des hommes tire son origine de celle que les enfants subissent sous couvert d’éducation. Dès lors, à travers des livres (La Fessée, questions sur la violence éducative, (édition La Plage, 2001), Oui, la nature humaine est est bonne ! Comment la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires, (édition Robert Laffont 2009), avec le psychanalyste Michel Pouquet, Oedipe et Laïos : dialogue sur l’origine de la violence (L’Harmattan, 2003) et aussi l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, l’OVEO dont il est le cofondateur. Olivier Maurel poursuit ses recherches sur toutes les formes de violence utilisées pour élever et faire obéir les enfants, et sur les moyens d’aider les parents à recourir à des méthodes d’éducation respectueuses.

Nicolas Allwright : La violence peut-elle être éducative ? Pour quoi avoir choisi d’associer ces deux mots qui forment ensemble un contre sens ?

Olivier Maurel : Il n’existe pas de mot ou d’expression brève qui désigne à la fois la violence physique, la violence verbale et la violence psychologique infligées aux enfants. D’autre part, ce que j’ai voulu étudier, ce n’est pas ce qu’on appelle en général la maltraitance, les violences infligées par cruauté, ce sont les violences qui ont une visée éducative et qui sont infligées aux enfants « pour leur bien ». L’expression « violence éducative » est donc un raccourci discutable mais je n’ai rien trouvé de mieux.

N.A: Pouvez-vous nous définir ce que vous entendez par violence ? Où commence-t-elle ? Existe-t-il une violence que l’on pourrait dire naturelle?

Lire la suite et télécharger le document .pdf sur le site Noeto.fr

[Une copie de sauvegarde du document est disponible ici]

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Interview par Psy.be

Psy.be reçoit Olivier Maurel, auteur engagé dans la lutte contre les violences éducatives.

Une bonne fessée, une gifle méritée ? Olivier Maurel, père de cinq enfants, rappelle qu’en France, aujourd’hui encore, 84% des enfants sont frappés. Les violences éducatives ont des conséquences dramatiques sur le dévelopement de l’enfant. A lire d’urgence avant de lever la main !

Olivier Maurel, vous luttez depuis plusieurs années contre les violences éducatives mais pensez-vous vraiment que nous en sommes encore au moyen-âge en cette matière ?

Non, il y a eu une évolution sensible dans la plupart des pays européens dans le sens d’un adoucissement de la violence éducative. Une vingtaine de pays européens ont d’ailleurs interdit toute forme de punition corporelle depuis 1979 où la Suède a été la première à le faire. Mais dans un pays comme la France, d’une part les punitions corporelles n’ont pas été interdites, d’autre part il y a encore environ 80% des parents qui pratiquent la gifle et la fessée. Les évolutions sont toujours très lentes dans ce domaine. C’est au XVIe siècle que des personnalités comme Erasme, Montaigne et Rabelais ont commencé à contester les châtiments corporels et ont surtout commencé à être entendues. Mais il a fallu attendre la fin du XIXe siècle et le début du XXe pour qu’en France, on ne trouve plus normal de frapper les enfants à coups de ceinture ou de baguette. Et on frappe encore les enfants à coups de bâton dans beaucoup de pays du monde, ou on leur inflige d’autres punitions douloureuses et humiliantes.

Qu’entendez-vous au juste par violence éducative ?

J’entends par l’expression « violence éducative ordinaire » toutes les formes de violences, si légères soient-elles, qu’on inflige aux enfants dans un but éducatif, pour les faire obéir, les soumettre à l’autorité des parents, et qui sont considérées comme tolérables et peuvent même être préconisées par des proverbes (comme « Qui aime bien châtie bien »), ou des formules toutes faites :  » Une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne »). Font aussi partie de la violence éducative, les propos humiliants, les insultes, les jugements négatifs : « Tu es nul ! », ou prédictifs : « Tu feras le trottoir ! ». Ou encore la privation d’affection ou d’attention.

Le meilleur moyen de juger ce qu’on est parfois tenté de faire à un enfant est de se demander si on l’admettrait soi-même d’un supérieur hiérarchique ou, mieux encore, de quelqu’un que nous aimons et qui est censé nous aimer.

Quelles en sont les conséquences sur l’enfant ?

Elles sont multiples parce qu’elles font partie du lien vital qui nous unit à l’enfant, exactement comme le cordon ombilical unit le foetus à la mère qui le porte. Les effets de la violence se diffusent dans toute la personnalité de l’enfant et peuvent altérer sa santé physique, via les effets des hormones du stress, comme sa santé mentale (altération de la confiance en soi, de l’estime de soi), ainsi que son comportement futur. L’enfant est un imitateur-né : le frapper, c’est lui apprendre à frapper, et, dans ses relations futures, c’est lui apprendre qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence. Ou bien, ce qui n’est pas mieux, lui donner l’habitude de se soumettre à la violence.

Pourtant de nombreux adultes défendent avec vigueur les fessées de leurs parents ? « J’ai été frappé et je ne m’en porte pas plus mal »

Oui, c’est là un des effets les plus délétères de la violence éducative. L’attachement vital que tout enfant a à l’égard de ses parents, de quelque façon qu’il en soit traité, fait que, sauf si nous avons des points de comparaison avec d’autres enfants traités différemment, nous sommes portés à interpréter en bien la façon dont nos parents nous traitent. Même la plupart des enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où cet usage est courant considèrent qu’ils ont été « bien élevés » et que c’est grâce à cela qu’ils ne se sont pas drogués ou qu’ils ont fait des études.

Mais comme je l’ai dit plus haut, la première chose qu’un enfant apprend en étant frappé, c’est à considérer qu’il est normal de frapper les enfants. Pourtant, ceux qui pensent cela pensent aussi en général qu’on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse, et qu’il est lâche de la part d’un être grand et fort de frapper un être plus petit et sans défense. Alors, je me pose la question : considérer comme normal de frapper les enfants, est-ce vraiment « bien se porter » ?

Comment l’enfant victime de ces violences peut-il s’en sortir ?

Si l’on entend l’expression « s’en sortir » au sens de ne pas reproduire ce qu’on a subi, c’est le plus souvent grâce à la rencontre de quelqu’un qui, par son attitude, nous permet de comprendre que nous n’avons pas été traités normalement. Je conseille à ce sujet de lire ou relire le début du livre de Jules Vallès, L’Enfant, où il raconte que sa mère le battait tous les jours et qu’il a compris que ce n’était pas normal quand une voisine lui a manifesté de la compassion. Il s’est opposé ensuite aux punitions corporelles et il a dédicacé son livre « à tous ceux qui furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents ». Ce peut être aussi par identification à une victime de ces violences. Je pense aux enfants qui ont été maltraités et qui ne supportent pas de voir leur petit frère ou petite soeur traités comme ils l’ont été eux-mêmes.

Comment prévenir la violence sociétale ?

Même si, bien sûr, il y a d’autres facteurs qui jouent, je pense que réduire autant qu’il est possible la violence éducative est un des meilleurs moyens de réduire la violence générale dans la société, parce que la violence commise est en général proportionnelle à la violence subie. Au XIXe siècle, en France, où les punitions corporelles infligées aux enfants étaient encore du niveau de la bastonnade aussi bien à l’école qu’à la maison, les adultes qui avaient subi cela étaient habitués à un très haut niveau de violence et les émeutes, les conflits sociaux, les conflits civils (je ne parle pas des guerres internationales) pouvaient se terminer par des centaines, voire des milliers de morts (je donne les chiffres dans mon livre).

Par comparaison, les manifestations de Mai 68 (25 jours d’échauffourées) : 6 morts – de trop ! – mais rien de comparable aux massacres du XIXe siècle. Entre temps, la violence éducative avait beaucoup baissé d’intensité.

Mais aujourd’hui encore, dans les pays où elle est d’un niveau très élevé, les bilans des conflits internes peuvent être encore de centaines et de milliers de morts.

Quelles sont  les capacités relationnelles innées des enfants dont vous parlez dans votre livre ?

Ce sont les capacités relationnelles qui existent déjà chez tous les animaux sociaux dont nous faisons partie.

Les trois principales me semblent être :

- l’attachement par rapport à la mère puis aux autres personnes nourricières, qui, s’il est respecté et encouragé, peut s’élargir bien au-delà du cercle familial ;

-  l’imitation, par laquelle l’enfant apprend la majeure partie de ses comportements ;

- et l’empathie par laquelle il ressent ce que ressentent ses semblables à travers leurs comportements et leurs mimiques, et qui est la base de la compassion qui est elle-même le frein le plus efficace à la violence. L’empathie est aussi la base du principe le plus élémentaire de la morale : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ».

Avec ces trois « compétences », si elles sont respectées par ceux qui ont la tâche de s’occuper de son éducation, l’enfant peut devenir un adulte à la fois autonome et altruiste.

Des expériences récentes ont montré que des bébés de dix-huit mois ont spontanément des comportements d’entraide et de consolation.

Un des principaux dangers de la violence éducative est qu’elle peut interférer avec ces capacités innées et les altérer. Quand on a mutilé un enfant de sa capacité naturelle de compassion en l’obligeant à se blinder pour ne pas trop souffrir, il est vain de s’étonner ensuite d’avoir du mal à lui enseigner la morale !

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Quand on essaie de répondre brièvement aux questions d’un interview, on risque de prêter à de multiples malentendus. J’invite donc les lecteurs de cette interview à ne pas hésiter à me faire part de leurs réactions positives ou négatives. Je leur répondrai.

Interview réalisée par Dimitri Haikin, Psychologue et Dircteur de www.psy.be, publiée le 26/07/2012

http://www.psy.be/divers/fr/interviews/interview-olivier-maurel.htm

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Interview : L’Est Républicain

Interview publiée le 29 avril 2012 dans l’Est Républicain

Au coin, la fessée !

Olivier Maurel, à l’origine de l’observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), décrypte ses effets à l’occasion de la journée de la non-violence éducative.

Qu’est ce qui vous a conduit à vous intéresser à la violence éducative?

Mon enfance pendant la guerre m’a amené à m’interroger sur la violence tout au long de ma vie. C’est seulement à l’âge de près de cinquante ans que j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé une réponse dans le livre d’Alice Miller, C’est pour ton bien (Aubier) où elle explique que la majorité des violences commises, qu’elles soient individuelles ou collectives ont pour origine des violences subies, dont notamment la plus universelle des violences, celle qu’on inflige aux enfants pour les éduquer.

D’où vient la fessée et plus largement la violence éducative dans nos sociétés?

La fessée n’est qu’une des multiples formes de punitions corporelles. Elle était déjà pratiquée chez les Romains, à coups de bâton ou de fouet. L’usage de frapper les enfants est au moins aussi ancien que l’écriture (mais il ne semble pas avoir été pratiqué par les chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire peut-être pendant les 9/10èmes de l’existence de l’humanité). Des proverbes sumériens et égyptiens conseillent déjà de frapper les enfants.. Depuis, il n’y a malheureusement pas eu de rupture dans cette tradition qui se transmet de génération en génération. Toutefois, dans les pays européens, les punitions corporelles se sont adoucies, et elles ont même été interdites dans trente-deux pays, dont une vingtaine européens, depuis 1979, date où la Suède a été la première à voter une interdiction.

« Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence »

Pour vous, où commence la violence éducative, par quels gestes, paroles ou actes?

La violence éducative commence lorsque, dans une visée éducative, on ne répond pas ou on répond de façon violente aux besoins et aux comportements des enfants. Les enfants ont un besoin vital d’être traités avec bienveillance. Les frapper, c’est bafouer ce besoin. Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence, car les pleurs sont les seuls moyens dont dispose le bébé pour faire connaître ses besoins.

Quelle résonance pour l’enfant et l’adulte que la violence éducative?

Si l’on entend par résonance les effets à plus ou moins long terme de la violence éducative, ils sont extrêmement nombreux. Disons, en gros qu’ils peuvent être d’abord physiques. Sous l’effet du stress produit par les coups ou les menaces de coups, les hormones du stress qui ne peuvent pas aboutir à leur but normal (fuir ou se défendre) chez un enfant frappé par ses parents, deviennent toxiques et attaquent le système digestif et certaines parties du cerveau. D’autre part, le système immunitaire est lui aussi perturbé, toujours par l’effet du stress. Les défenses de l’organisme sont donc affaiblies et c’est la porte ouverte à quantité de maladies. Les effets sur la santé mentale sont aussi très importants : humiliation, manque de confiance en soi, perte de l’estime de soi, risques de dépression, propension à l’alcoolisme, à la toxicomanie, tendances suicidaires… Risques de reproduire la violence au moins sur ses enfants, violence conjugale, soumission à la violence, violence sur autrui en général.

Pourquoi la violence s’est-elle inscrite et normalisée dans nos modes d’éducation?

Essentiellement, par répétition de ce que chaque génération a subi

« Aujourd’hui, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au châtiment biblique »

Quels exemples donne la Bible en la matière et quelles crispations cela génère-t-il aujourd’hui avec les gouvernements qui essaient de sortir de ce schéma ?

Une dizaine de proverbes bibliques recommandent de frapper les enfants. Un de ces proverbes dit : « La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre (Proverbe, 22, 15). On y voit à la fois une accusation contre l’enfant, censé être mauvais de naissance, et la violence présentée comme un remède. Cette tradition a été reprise dans le christianisme sous la forme du péché originel, avec le même remède pratiqué tout au long de l’histoire de l’Eglise et des Eglises. Aujourd’hui, dans plusieurs Etats, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au « châtiment biblique » !

Qui frappe ses enfants aujourd’hui en France ?

Les pourcentages de parents qui recourent aux punitions corporelles varient selon la façon dont les questions sont posées. Mais en général, ce sont plus de 80% des parents qui frappent leurs enfants. Mais ces punitions sont d’une violence et d’une fréquence très variables. On frappe les enfants dans tous les milieux.

Pourquoi frappe-t-on ses enfants une fois parent?  A quel processus psychologique cela répond-il?

Dans les sociétés qui n’ont pas remis en question la violence éducative, on frappe avec la conviction de bien faire, de bien élever ses enfants. Dans un pays comme la France où, depuis près de deux siècles l’usage de frapper les enfants est remis en question par un bon nombre d’écrivains, de médecins, de psychologues, on frappe souvent parce qu’on a été soi-même frappé et qu’on ne sait pas faire autrement et on se le reproche.

« Le droit de correction n’existe pas vraiment dans la loi »

A votre avis, faut-il interdire, comme en Suède, tout châtiment corporel sur les enfants pour faire avancer les choses?

Oui, il faut interdire les punitions corporelles car sinon, on risque d’en avoir encore pour un bon siècle. Or, avec les crises qui s’annoncent, on a besoin d’adultes qui aient gardé toute leur intégrité et tout leur potentiel inné de sociabilité que la violence éducative altère gravement.

Qu’en est-il du droit de correction que l’on entend encore aujourd’hui dans la plaidoirie de certains avocats, voire dans le discours de certains juges?

Ce « droit de correction » n’existe pas vraiment dans la loi. Il est même en contradiction radicale avec l’article 222-13 du Code pénal. Alors que d’après cet article, le fait que les coups soient donnés par un parent ou une personne ayant autorité est une circonstance aggravante, il devient une circonstance atténuante dans beaucoup de cas.

Enfin, où les parents qui désirent faire autrement peuvent-ils trouver de l’aide?

Quand on a lu les livres d’Alice Miller, on peut déjà trouver en soi-même pas mal de ressources et une forte motivation pour ne plus frapper ses enfants. Mais on peut effectivement trouver de l’aide dans des associations comme l’Ecole des parents ou dans des listes de discussion sur internet, comme Parents-conscients (Yahoo). Les livres de Thomas Gordon, Isabelle Filliozat et un ouvrage tout récemment traduit en français du thérapeute danois Jesper Juul : Regarde… ton enfant est compétent (Chronique sociale, avril 2012), peuvent aussi beaucoup aider les parents.

Propos recueillis par Walérian KOSCINSKI

Bio express :

1937 : Naissance à Toulon
Années 80 le professeur de lettres s’intéresse à la violence éducative et lit Alice Miller (C’est pour ton bien)
1999 elle lui demande d’écrire un livre sur la fessée et le préface
2003  Œdipe et Laïos, dialogue sur l’origine de la violence (avec le psychanaliste Michel Pouquet chez L’Harmattan)
2005 création de l’observatoire de la violence éducative ordinaire
2009 Oui, la nature humaine est bonne ! (Robert Laffont)
A paraître Un trou noir dans les sciences humaines : la violence éducative (L’Instant présent)

Les origines de la journée contre la violence éducative

A l’origine de cette journée en France il y a La Maison de L’enfant, association de soutien à la parentalité créée en 1998. L’idée de relayer cette manifestation Américaine est lancée la première fois en Avril 2004 sur la liste de discussion « Parents conscients » groupe très actif d’individus qui cherchent à accompagner leurs enfants dans la non violence.

La commission européenne a fait une campagne “levez la main contre la fessée

Site d’Alice Miller édito de 2009 qui annonce le livre d’Oliver Maurel “ Oui la nature humaine est bonne

Clip de la fondation de France campagne 2011

« Sans fessée, comment faire ? »

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Interview : Le monde des religions

Les propos du Christ sur les enfants sont les plus révolutionnaires de l’Évangile

Interview de Sylvia Marty publiée le 29/04/2011, Le Monde des Religions

Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant? Douze pays européens ont voté une loi interdisant toute violence éducative y compris la fessée, la gifle etc. En France le sujet agace ou au mieux prête à sourire. Rencontre avec Olivier Maurel, fondateur de l’observatoire sur la violence éducative ordinaire.

La correction comme moyen éducatif est transmis de génération en génération. Elle est ancrée dans notre culture et admise comme normale. La fondation pour l’enfance vient de lancer une campagne anti-gifle et fessée. Pourquoi parle-t-on de la maltraitance et laisse-t-on de côté la violence éducative ordinaire ?

Parce que le seuil de tolérance à la violence subie par les enfants de la part de leurs parents nous est en quelque sorte fixé par l’éducation que nous avons reçue. Ce que nous appelons maltraitance, c’est le niveau de violence que, dans notre société, on ne tolère plus, par exemple frapper un enfant à coups de bâton ou de ceinture. Mais des gifles ou des fessées, nous en avons presque tous reçu de la part de nos parents que nous aimions et nous avons donc été persuadés très tôt qu’il était normal de frapper les enfants de cette façon. Ceux qui ont subi des bastonnades dans les nombreuses sociétés où c’est la coutume (et c’était aussi la coutume chez nous jusqu’au XIXe siècle) trouvent aussi la bastonnade tout à fait normale et ne songent pas plus à la remettre en question que nous ne songeons à contester la gifle ou la fessée.

Quel fut l’élément déclencheur de votre prise de conscience sur la violence éducative ordinaire?

La lecture du livre C’est pour ton bien, d’Alice Miller. Je m’interrogeais sur la violence humaine depuis mon enfance où j’ai connu la guerre et les bombardements. Pourquoi les hommes s’entretuent-ils comme ils le font ? Or, Alice Miller montre que la plus grande partie de la violence humaine, y compris les violences collectives, sociales ou politiques, a pour origine les violences subies dans l’enfance: abus sexuels, abandon, manque d’amour et, beaucoup plus général, presque universel, l’emploi de la violence pour ‘corriger’ les enfants.

Pourquoi avoir fondé l’observatoire sur la violence éducative ordinaire?

J’ai fondé cet observatoire pour essayer de faire prendre conscience à l’opinion publique de l’importance quantitative et qualitative de la violence éducative, cette forme de violence que nous avons tendance à ne pas voir, à minimiser (on ne parle que de ‘petites tapes sur les couches’, de ‘petites tapes sur la main’…), à justifier, à considérer comme indispensable. Dans le livre que je suis en train de terminer, je montre que cette cécité sélective est poussée à un tel point que sur plus de cent auteurs, chercheurs, philosophes, psychanalystes, historiens qui ont écrit ces dernières années des livres dont le titre annonce qu’ils vont traiter de la violence, 90% d’entre eux ne disent pas un mot, vraiment pas un mot, de la violence éducative, et le plus souvent même pas de la maltraitance.

La fondation pour l’enfance vient de lancer une campagne anti-gifles et fessées. Qu’en pensez-vous?

J’en ai été très heureux. Et je suis allé participer mercredi à Paris au lancement de cette campagne. J’ai trouvé que le film était très intelligemment axé sur le fait que la violence éducative est un phénomène de reproduction de génération en génération, et il ne m’a pas paru culpabilisant pour les parents. Selon de récentes recherches, les coups reçus par les enfants provoquent des lésions et entravent leur développement .

Pouvez-vous nous expliquer de quelle manière?

Quand un enfant reçoit des coups, son organisme réagit comme réagit l’organisme de tous les mammifères face à une agression. Dès la perception de la menace ou du coup, il sécrète en quantité des hormones qu’on appelle hormones du stress qui sont destinées à lui permettre de fuir ou de se défendre. Ces hormones ont pour effet d’accélérer les battements du cœur pour envoyer davantage de sang dans les membres et rendre la fuite ou la défense plus efficace. De plus, par une sorte de principe d’économie d’énergie, l’organisme désactive toutes les fonctions qui ne sont pas indispensables à la fuite ou à la défense, par exemple la digestion, la croissance et le système immunitaire.

Si l’enfant peut fuir ou se défendre, au bout d’un moment, l’équilibre se rétablit dans le corps, les hormones du stress s’évacuent et les fonctions stoppées se remettent en activité. Mais un enfant frappé ne peut ni fuir ni se défendre. A ce moment-là, comme l’avait montré Alain Resnais dans son film Mon oncle d’Amérique, les hormones du stress deviennent toxiques et attaquent les organes, notamment le système digestif et certaines parties du cerveau. Elles détruisent les neurones. Et d’autre part, comme la violence éducative est souvent répétitive, le système immunitaire à force d’être désactivé et réactivé, est altéré dans son fonctionnement et ne défend plus aussi bien l’organisme. Les enfants sont souvent d’autant plus vulnérables aux maladies qu’ils ont été davantage frappés.

Dans Matthieu, 19:15, Jésus dit « si vous ne vous convertissez et ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. (…) Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin, et qu’on le jette au fond de la mer. » Pourquoi cette parole du Christ n’a-t-elle pas été comprise par les chrétiens?

Je n’hésite pas à dire que les propos du Christ sur les enfants sont les plus révolutionnaires de l’Evangile. Je ne leur connais aucun équivalent dans aucune religion. Ils sont pour moi une des preuves que Jésus n’était pas seulement un homme. Alice Miller pensait que s’il avait pu les prononcer, c’est qu’il avait été exceptionnellement aimé, protégé et respecté par ses parents, comme le disent d’ailleurs les Evangiles qui parlent de son enfance.Quand Jésus enfant fait ce que nous appellerions une fugue, et qui plus est une fugue de trois jours, pour discuter avec les prêtres dans le temple, non seulement ses parents ne le frappent pas, mais ils lui disent simplement leur incompréhension et leur angoisse.

Malheureusement, ces propos sur les enfants n’ont jamais été compris par les Eglises chrétiennes comme ils auraient dû l’être. Quand Jésus nous présente les enfants comme des modèles à suivre pour entrer au Royaume des cieux, il est évident qu’il ne nous les présente pas comme des êtres qu’il faudrait corriger, et à plus forte raison à coups de bâton! On ne corrige pas des modèles, on les suit, on les imite. Mais la société du temps de Jésus, comme la nôtre il y a peu, était une société où, pour suivre la douzaine de proverbes bibliques qui traitent de l’éducation, on battait les enfants pour faire sortir la « folie » qui était en eux (Proverbes, 22, 15: La folie est au cœur de l’enfant; le fouet bien appliqué l’en délivre.)

Les disciples de Jésus avaient donc été élevés de cette façon par des parents qu’ils respectaient plus que tout. Il leur était donc pratiquement impossible d’imaginer que les paroles de Jésus pouvaient s’appliquer à cette méthode d’éducation. De même, quand Jésus dit à propos de quelqu’un qui ‘scandalise’ un enfant : « Mieux vaudrait pour lui se voir passer une pierre à moudre et être précipité dans la mer que de scandaliser un seul de ces petits », il est évident que le fait de donner à un enfant l’exemple de la violence en le battant et, qui plus est, l’exemple de la violence d’un être fort sur l’être le plus faible et sans défense qui soit, est une façon de le scandaliser.

Mais les anciens enfants qu’étaient les apôtres éprouvaient certainement à l’égard de leurs parents un attachement si viscéral qu’il leur était impossible de comprendre le sens de ces paroles. Résultat: l’Eglise n’a jamais remis en question la façon traditionnelle d’élever les enfants à coups de bâton, que ce soit dans les familles ou dans les écoles, et les institutions religieuses ont souvent été des enfers pour les enfants. On en a eu encore récemment des exemples avec les établissements irlandais tenus par des religieuses qui battaient comme plâtre les jeunes filles qu’on leur confiait.

L’incompréhension des premiers chrétiens à l’égard des paroles de Jésus sur les enfants apparaît de façon évidente dans le premier livre des Confessions de saint Augustin. Il en arrive même à corriger à sa manière le sens de la phrase du Christ: « A leurs pareils le Royaume des cieux » qui, d’après lui, voudrait dire non pas que les enfants sont innocents, ce qui est quasi-incompréhensible pour des adultes qui trouvent normal d’avoir été battus, mais qu’ils sont humbles, au sens étymologiques du mot: proches de l’humus, de la terre. Je suis pour ma part convaincu que c’est l’incompréhension de ces paroles de Jésus qui a fait que le christianisme a été en échec face au problème de la violence. Prêcher l’amour du prochain ne signifiait plus rien, ne pouvait avoir aucune efficacité, quand, parallèlement, on élevait les unes après les autres les générations d’enfants de manière à les rendre viscéralement violents par le traitement qu’on leur faisait subir.

Et malheureusement l’Eglise jusqu’à présent n’a pas bougé d’un iota sur ce point. Le Catéchisme de l’Eglise catholique, approuvé par le Pape en 1992, dit ceci à propos des parents: « En sachant reconnaître devant eux leurs propres défauts, ils seront mieux à même de les guider et de les corriger. » Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit  » (Si 30, 1-2).

Quelle est la position des différentes religions par rapport aux châtiments corporels infligés aux enfants?

La première religion qui ait de façon assez radicale remis en question les châtiments corporels est une religion issue de l’islam: la religion Bahaï, née en Iran au début du XIXe siècle, et dont le fondateur s’est opposé à la méthode utilisée couramment dans les écoles coraniques. Certains Quakers ont aussi dénoncé la pratique des punitions corporelles infligées aux enfants. Mais le plus souvent les religions chrétiennes ont au contraire refusé qu’on les interdise lorsque les Etats, à l’incitation du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, ont commencé à voter des lois d’interdiction.

Je crois que les méthodistes, aux Etats-Unis, ont pris position contre les punitions corporelles. Même chose pour le Conseil Œcuménique des Eglises (protestantes) en Afrique. Bizarrement, c’est dans la religion musulmane où pourtant la pratique des punitions corporelles est très intense, qu’on a vu des philosophes (par exemple Miskawayh, philosophe du Xe siècle, ou encore Ibn Khaldûn, historien du XIVe siècle) analyser avec le plus de perspicacité les effets nocifs des punitions corporelles.

Que répondez-vous aux parents, ces anciens enfants, qui disent « moi aussi j’ai reçu des gifles et des fessée. Ça ne m’a pas traumatisé » ?

Il est vrai que chez beaucoup de gens les effets des fessées ou des gifles sont atténués par l’affection que leurs parents leur ont donnée par ailleurs, ou/et par le fait que les punitions n’ont pas été données arbitrairement mais d’une manière qui leur a paru « juste ». Malheureusement, il y a toujours un effet secondaire qui demeure et qui montre que ces personnes ont subi en quelque sorte une lésion du sens moral, c’est que les parents qui disent cela trouvent normal :

  1. Que l’on frappe les enfants
  2. Qu’un être grand et fort frappe un être petit et faible.

Or, ces deux faits sont en contradiction avec le principe le plus élémentaire de la morale qu’ils cherchent en général à inculquer à leurs enfants: ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Et en général ils ne voient même pas la contradiction entre ce principe et ce qu’ils pratiquent et recommandent. Cette forme de cécité est bien la marque d’un traumatisme, mais non ressenti comme tel. Alice Miller a intitulé un de ses livres publié d’abord en allemand : « Tu ne t’apercevras de rien ». C’est un des effets les plus redoutables de la violence éducative.

Selon vous, les Français sont-ils prêts à changer leur approche de « la bonne fessée qui n’a jamais fait de mal à personne » ?

Il y a une évolution, surtout chez les jeunes parents, mais elle est très lente et les résistances sont très fortes. Elles sont dues en grande partie à l’attachement que nous avons à l’égard de nos parents. Il nous est très difficile de remettre en cause ce qu’ils nous ont fait subir.

Faut-il absolument légiférer pour faire évoluer les mentalités?

C’est précisément l’attachement que nous avons à l’égard de nos parents qui fait qu’il est indispensable de légiférer. Nos parents font partie de notre psychisme. Quand nous frappons nos enfants, en un sens, ce sont eux qui frappent à travers nous (ce qu’exprime très bien le film de la fondation pour l’enfance). Tant qu’une autorité supérieure à celle des parents ne dit pas clairement qu’il est inacceptable de frapper les enfants et qu’ils doivent être respectés comme on respecte les adultes et les personnes âgées, l’usage ne changera pas, ou très lentement comme il change depuis le début du XIXe siècle.

Or, vu la nécessité où nous nous trouvons, notamment avec la crise climatique, d’effectuer des changements profonds dans notre comportement, il est urgent de permettre aux nouvelles générations de disposer de toutes leurs facultés affectives, intellectuelles et morales pour affronter les situations vers lesquelles nous allons. Et la violence éducative altère ces facultés. J’ajoute que dans un grand nombre de pays où les enfants sont encore frappés à coups de bâton ou punis d’autres manières aussi violentes, la situation est bien pire que chez nous et qu’il est donc urgent de donner l’exemple du renoncement à cette méthode d’éducation.
Pour aller plus loin :

La fessée, Olivier Maurel, éditions La Plage 2007 (réédition)

Oui, la nature humaine est bonne, éditions Robert Laffont 2009

Œdipe et Laos. Dialogue sur l’origine de la violence, éditions L’Harmattan

J’ai tout essayé, Isabelle Filliozat, éditions Jean-Claude Lattès

http://www.oveo.org/ (OVEO)

http://www.lemondedesreligions.fr/entretiens/les-propos-du-christ-sur-les-enfants-sont-les-plus-revolutionnaires-de-l-evangile-29-04-2011-1480_111.php

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Enfance : faut il interdire la fessée ?

Interview publiée sur le site NPA2009.org

La proposition de loi Antier, comme la Palme d’or à Cannes du film Le ruban blanc, montrent bien que la violence infligée aux enfants est devenue une question de société incontournable, mais qui divise profondément la société.

Comment analysez-vous cette situation ?

Au milieu du xixe siècle, en France, frapper les enfants à coups de bâton paraissait encore normal. Pour nous, aujourd’hui, c’est de la maltraitance mais les gifles et les fessées paraissent encore normales à beaucoup de gens. L’évolution dans ce domaine s’est toujours heurtée à beaucoup de résistances.

Comment expliquez-vous qu’un nombre non négligeable de pédagogues, de psychologues et de psychiatres s’opposent à l’interdiction ?

Comme 80 à 90% des enfants, ils ont subi des punitions corporelles à un âge où ils ne pouvaient pas remettre en question leurs parents. L’enfant qu’ils étaient se sentait coupable. Et ils portent encore en eux cet enfant qui ne veut pas condamner le comportement de ses parents.

D’autre part, les professionnels de l’enfance opposants à l’interdiction ont en commun de croire à la théorie des pulsions, selon laquelle l’enfant est animé de désirs de parricide, d’inceste et de meurtre. Cela correspond d’ailleurs parfaitement à ce que croit de lui-même l’enfant frappé: « Je suis mauvais ». Ainsi, cette théorie, d’ailleurs curieusement proche de celle du péché originel imaginée par Saint Augustin (qui fut lui-même beaucoup battu à l’école), justifie le désir inconscient des enfants de ne pas accuser leurs parents.

Enfin, la plupart des professionnels de l’enfance sont très mal informés sur la réalité de la violence éducative que même les études les plus pointues et les rapports officiels sur la violence en général ignorent.

Quelle différence faites-vous entre la maltraitance caractérisée et ce que vous appelez la « violence éducative ordinaire » ?

Si on représente par un iceberg l’ensemble des violences subies par les enfants dans un but éducatif, la maltraitance n’en est que la partie émergée, celle que tout le monde dénonce, et la violence éducative ordinaire, la partie immergée, à laquelle personne ne fait attention. Le volume de la première dépend de celui de la seconde. Le taux de maltraitance dans une société est proportionnel au niveau de violence ordinaire qui y est toléré.

Quelles sont d’après vous les origines de cette violence ?

C’est pour l’essentiel la reproduction par mimétisme de ce qu’on a subi. Les neurones miroirs présents dans notre cerveau enregistrent les comportements que nous voyons et nous préparent à les reproduire. Ce qu’apprend à son enfant un parent qui le frappe, c’est à frapper. Et pire : à frapper un être plus faible que soi. La plupart des auteurs de violences conjugales ont subi des violences dans leur enfance.

Quels en sont les effets sur les individus ? Et sur les sociétés ?

Sur les individus : une longue liste de maladies ou de vulnérabilités physiques et mentales dues à l’altération du système immunitaire par les hormones du stress, comme le montre un rapport de l’OMS de 2002. Sur les sociétés, l’habitude acquise d’obéir à des stimulations violentes a trois effets principaux : reproduction de la violence par mimétisme (tous les pays où se sont produits de grands massacres ou des génocides sont des pays où la violence éducative est ou était intense), soumission à la violence qui prépare de la chair à canon à tous les dictateurs, et l’incivisme et la corruption par habitude de la débrouille en catimini pour éviter les coups.

Pourquoi interdire par une loi ? Le travail de conviction et d’éducation ne serait-il pas plus efficace à terme ?

Ce travail est indispensable, mais il est trop lent, parce que la motivation de la violence éducative est inconsciente et remonte à notre petite enfance. À l’autorité de nos parents logée dans notre inconscient doit se substituer une autorité supérieure, celle de la loi qui déclare très clairement que toute violence à l’égard des enfants est interdite. L’expérience des pays qui ont réalisé cette interdiction, avec une campagne d’information intelligente et réitérée et un accompagnement des parents, montre que le basculement de l’opinion publique peut se faire rapidement. D’autant plus qu’aujourd’hui, beaucoup de jeunes parents veulent élever leurs enfants sans violence.

Propos recueillis par Pierre Vandevoorde

Olivier Maurel anime depuis 2007 l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (oveo.org). Il a écrit plusieurs livres, parmi lesquels La Fessée (éditions La Plage, 2001) et Oui, la nature humaine est bonne ! (éditions Laffont, 2009, voir TEAN La Revue n°6).

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Interview : « Les maternelles » (France 5)

L’émission « Les Maternelles » (France 5) du 14 décembre 2007 contactait Olivier Maurel par téléphone.


Interview d'Olivier Maurel – Les Maternelles par david_maurel