Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By admin

Présentation de mes livres sur la violence éducative

Comme je crains qu’il reste encore, de par le monde, quelques personnes et même quelques malheureux parents qui n’ont pas lu mes livres sur la violence éducative, il me semble utile d’en faire une présentation résumée. Mais comme ce blog n’a pas l’air d’accepter les articles trop longs ou peut-être parce que je me débrouille mal avec lui, je publie (ou j’essaie de publier !!!) cette présentation en quatre épisodes.

[Note de l'administrateur : pour un soucis de clarté j'ai pris le parti de regrouper les quatre articles en un]

Épisode 1 : La Fessée, Questions sur la violence éducative

Le premier livre que j’ai écrit sur ce sujet est La Fessée, Questions sur la violence éducative.

Visuel du livre "La fessée : questions sur la violence éducative"

Les éditions La Plage avaient demandé à Alice Miller d’écrire un livre sur ce thème. Elle n’en avait pas le temps et, comme nous correspondions depuis quelques années, elle a jugé que j’étais capable de l’écrire. Je me suis donc lancé dans cette entreprise et le livre a paru en avril 2001. Il a tout de suite été bien accueilli par la presse et par les lecteurs. L’éditeur m’a demandé une réédition augmentée en 2004 et depuis il n’a pas cessé de se diffuser. Il doit en être à plus de 20 000 exemplaires vendus. Il a été traduit en anglais sur le site américain Nospank, et une édition en italien, sous le titre La Sculacciata doit paraître en mars 2013 aux éditions Leone verde. Si j’en crois tout le courrier que j’ai reçu, ce livre a été utile à beaucoup de parents et il a valu à pas mal d’enfants de ne jamais être frappés.

Le plus bel hommage qu’il ait reçu, celui de Swan Nguyen, auteur du livre Du prince Charmant à l’homme violent, Prévenir la violence conjugale (Ed; L’Esprit du temps, 2015) : C’est un petit livre, mais arrivé à la dernière page, on se sent grandi. »

Épisode 2 : Œdipe et Laïos

Le second de mes livres sur la violence éducative est une conséquence du premier. Un psychanalyste, Michel Pouquet, qui avait lu une interview de moi dans le quotidien Var-Matin, suite à la publication de La Fessée, a écrit au journal en critiquant mon point de vue. J’ai répondu à mon tour par le biais du journal, puis nous avons correspondu pendant un an. Nous nous sommes alors dit que notre dialogue pouvait intéresser d’autres personnes et nous l’avons publié aux éditions de L’Harmattan en 2003, sous le titre Œdipe et Laïos, Dialogue sur l’origine de la violence.

Visuel du livre "Oedipe et Laïos"

Michel Pouquet y défend la thèse de la psychanalyse lacanienne selon laquelle ce sont les pulsions déjà présentes chez l’enfant qui sont à l’origine de la violence humaine. J’y défends au contraire l’idée que toute violence commise a pour origine une violence ou un traumatisme quelconque subis dans l’enfance. Le dialogue est courtois, mais… assez animé !

Épisode 3 : Oui, la nature humaine est bonne !

En continuant à travailler sur la violence éducative qui est un sujet inépuisable, j’ai pris de plus en plus conscience que la violence éducative avait des conséquences non seulement sur les individus qui la subissaient, mais aussi sur les idées, les croyances, les religions, bref, la culture humaine entière.

J’ai été de plus en plus convaincu aussi que la violence éducative nous a persuadés depuis notre petite enfance que nous sommes mauvais, que notre nature est mauvaise. Si nos parents sont obligés de nous battre pour nous « corriger », c’est que nous sommes, comme le disait Kant, des « bois tordus » qu’il faut à tout prix « redresser ». J’ai donc exploré toutes ces conséquences et ça a donné un gros livre qui a paru en janvier 2009.

Visuel du livre "Oui, la nature humaine est bonne !"

Ce livre m’a valu une bonne critique de Nancy Huston dans le Monde des livres et beaucoup de sympathiques lettres de lecteurs, notamment de psychothérapeutes. Il a d’ailleurs été à l’origine de deux colloques organisés par la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse (FF2P).

Épisode 4 : La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines

Mais au cours de toutes les recherches que j’ai faites depuis l’édition de La Fessée, j’ai lu énormément de livres sur la violence humaine en général et je me suis aperçu que les auteurs de ces livres ne tenaient pratiquement jamais compte de la violence éducative subie dans leur enfance par la majorité des hommes et de l’influence qu’elle pouvait avoir sur leur comportement d’adultes en matière de violence et de soumission à la violence.

J’ai écrit aux auteurs de ces livres pour leur demander pourquoi ils n’avaient pas parlé de la violence éducative. Beaucoup ne m’ont pas répondu, mais certains m’ont dit qu’ils n’y avaient pas pensé, ce qui est assez étonnant quand on travaille pendant deux ou trois ans sur une livre censé aborder toutes les formes de violence.

Visuel de "La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines"

J’ai donc entrepris d’écrire un livre portant sur tous les ouvrages de sciences humaines (psychologie, psychanalyse, histoire, sociologie…) traitant de la violence humaine, publiés autour de l’année 2008. J’ai pu ainsi montrer que les effets de la violence éducative sont tels qu’ils agissent jusque sur l’esprit des intellectuels du plus haut niveau, et notamment sur l’esprit des plus médiatiques, ceux qui ont le plus d’influence sur l’opinion publique. Non seulement ils leur font oublier de parler de la violence éducative, mais, plus grave encore, ils leur font attribuer à la nature des enfants les comportements violents qui découlent en fait de la façon dont les enfants sont traités depuis leur plus jeune âge.

By admin

Interview : Noeto.Fr

Interview publiée sur le site Noeto.Fr en Octobre 2012

Professeur de lettre retraité, Olivier Maurel est père de cinq enfants et grand-père de huit petits-enfants. De sa jeunesse marquée par les conflits militaires, Olivier Maurel a gardé le refus de la violence et son âme de militant pacifiste, son expérience de père et d’enseignant, la rencontre avec les écrits d’Alice Miller l’ont convaincu que la violence des hommes tire son origine de celle que les enfants subissent sous couvert d’éducation. Dès lors, à travers des livres (La Fessée, questions sur la violence éducative, (édition La Plage, 2001), Oui, la nature humaine est est bonne ! Comment la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires, (édition Robert Laffont 2009), avec le psychanalyste Michel Pouquet, Oedipe et Laïos : dialogue sur l’origine de la violence (L’Harmattan, 2003) et aussi l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, l’OVEO dont il est le cofondateur. Olivier Maurel poursuit ses recherches sur toutes les formes de violence utilisées pour élever et faire obéir les enfants, et sur les moyens d’aider les parents à recourir à des méthodes d’éducation respectueuses.

Nicolas Allwright : La violence peut-elle être éducative ? Pour quoi avoir choisi d’associer ces deux mots qui forment ensemble un contre sens ?

Olivier Maurel : Il n’existe pas de mot ou d’expression brève qui désigne à la fois la violence physique, la violence verbale et la violence psychologique infligées aux enfants. D’autre part, ce que j’ai voulu étudier, ce n’est pas ce qu’on appelle en général la maltraitance, les violences infligées par cruauté, ce sont les violences qui ont une visée éducative et qui sont infligées aux enfants « pour leur bien ». L’expression « violence éducative » est donc un raccourci discutable mais je n’ai rien trouvé de mieux.

N.A: Pouvez-vous nous définir ce que vous entendez par violence ? Où commence-t-elle ? Existe-t-il une violence que l’on pourrait dire naturelle?

Lire la suite et télécharger le document .pdf sur le site Noeto.fr

[Une copie de sauvegarde du document est disponible ici]

By admin

Interview : L’Est Républicain

Interview publiée le 29 avril 2012 dans l’Est Républicain

Au coin, la fessée !

Olivier Maurel, à l’origine de l’observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), décrypte ses effets à l’occasion de la journée de la non-violence éducative.

Qu’est ce qui vous a conduit à vous intéresser à la violence éducative?

Mon enfance pendant la guerre m’a amené à m’interroger sur la violence tout au long de ma vie. C’est seulement à l’âge de près de cinquante ans que j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé une réponse dans le livre d’Alice Miller, C’est pour ton bien (Aubier) où elle explique que la majorité des violences commises, qu’elles soient individuelles ou collectives ont pour origine des violences subies, dont notamment la plus universelle des violences, celle qu’on inflige aux enfants pour les éduquer.

D’où vient la fessée et plus largement la violence éducative dans nos sociétés?

La fessée n’est qu’une des multiples formes de punitions corporelles. Elle était déjà pratiquée chez les Romains, à coups de bâton ou de fouet. L’usage de frapper les enfants est au moins aussi ancien que l’écriture (mais il ne semble pas avoir été pratiqué par les chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire peut-être pendant les 9/10èmes de l’existence de l’humanité). Des proverbes sumériens et égyptiens conseillent déjà de frapper les enfants.. Depuis, il n’y a malheureusement pas eu de rupture dans cette tradition qui se transmet de génération en génération. Toutefois, dans les pays européens, les punitions corporelles se sont adoucies, et elles ont même été interdites dans trente-deux pays, dont une vingtaine européens, depuis 1979, date où la Suède a été la première à voter une interdiction.

« Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence »

Pour vous, où commence la violence éducative, par quels gestes, paroles ou actes?

La violence éducative commence lorsque, dans une visée éducative, on ne répond pas ou on répond de façon violente aux besoins et aux comportements des enfants. Les enfants ont un besoin vital d’être traités avec bienveillance. Les frapper, c’est bafouer ce besoin. Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence, car les pleurs sont les seuls moyens dont dispose le bébé pour faire connaître ses besoins.

Quelle résonance pour l’enfant et l’adulte que la violence éducative?

Si l’on entend par résonance les effets à plus ou moins long terme de la violence éducative, ils sont extrêmement nombreux. Disons, en gros qu’ils peuvent être d’abord physiques. Sous l’effet du stress produit par les coups ou les menaces de coups, les hormones du stress qui ne peuvent pas aboutir à leur but normal (fuir ou se défendre) chez un enfant frappé par ses parents, deviennent toxiques et attaquent le système digestif et certaines parties du cerveau. D’autre part, le système immunitaire est lui aussi perturbé, toujours par l’effet du stress. Les défenses de l’organisme sont donc affaiblies et c’est la porte ouverte à quantité de maladies. Les effets sur la santé mentale sont aussi très importants : humiliation, manque de confiance en soi, perte de l’estime de soi, risques de dépression, propension à l’alcoolisme, à la toxicomanie, tendances suicidaires… Risques de reproduire la violence au moins sur ses enfants, violence conjugale, soumission à la violence, violence sur autrui en général.

Pourquoi la violence s’est-elle inscrite et normalisée dans nos modes d’éducation?

Essentiellement, par répétition de ce que chaque génération a subi

« Aujourd’hui, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au châtiment biblique »

Quels exemples donne la Bible en la matière et quelles crispations cela génère-t-il aujourd’hui avec les gouvernements qui essaient de sortir de ce schéma ?

Une dizaine de proverbes bibliques recommandent de frapper les enfants. Un de ces proverbes dit : « La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre (Proverbe, 22, 15). On y voit à la fois une accusation contre l’enfant, censé être mauvais de naissance, et la violence présentée comme un remède. Cette tradition a été reprise dans le christianisme sous la forme du péché originel, avec le même remède pratiqué tout au long de l’histoire de l’Eglise et des Eglises. Aujourd’hui, dans plusieurs Etats, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au « châtiment biblique » !

Qui frappe ses enfants aujourd’hui en France ?

Les pourcentages de parents qui recourent aux punitions corporelles varient selon la façon dont les questions sont posées. Mais en général, ce sont plus de 80% des parents qui frappent leurs enfants. Mais ces punitions sont d’une violence et d’une fréquence très variables. On frappe les enfants dans tous les milieux.

Pourquoi frappe-t-on ses enfants une fois parent?  A quel processus psychologique cela répond-il?

Dans les sociétés qui n’ont pas remis en question la violence éducative, on frappe avec la conviction de bien faire, de bien élever ses enfants. Dans un pays comme la France où, depuis près de deux siècles l’usage de frapper les enfants est remis en question par un bon nombre d’écrivains, de médecins, de psychologues, on frappe souvent parce qu’on a été soi-même frappé et qu’on ne sait pas faire autrement et on se le reproche.

« Le droit de correction n’existe pas vraiment dans la loi »

A votre avis, faut-il interdire, comme en Suède, tout châtiment corporel sur les enfants pour faire avancer les choses?

Oui, il faut interdire les punitions corporelles car sinon, on risque d’en avoir encore pour un bon siècle. Or, avec les crises qui s’annoncent, on a besoin d’adultes qui aient gardé toute leur intégrité et tout leur potentiel inné de sociabilité que la violence éducative altère gravement.

Qu’en est-il du droit de correction que l’on entend encore aujourd’hui dans la plaidoirie de certains avocats, voire dans le discours de certains juges?

Ce « droit de correction » n’existe pas vraiment dans la loi. Il est même en contradiction radicale avec l’article 222-13 du Code pénal. Alors que d’après cet article, le fait que les coups soient donnés par un parent ou une personne ayant autorité est une circonstance aggravante, il devient une circonstance atténuante dans beaucoup de cas.

Enfin, où les parents qui désirent faire autrement peuvent-ils trouver de l’aide?

Quand on a lu les livres d’Alice Miller, on peut déjà trouver en soi-même pas mal de ressources et une forte motivation pour ne plus frapper ses enfants. Mais on peut effectivement trouver de l’aide dans des associations comme l’Ecole des parents ou dans des listes de discussion sur internet, comme Parents-conscients (Yahoo). Les livres de Thomas Gordon, Isabelle Filliozat et un ouvrage tout récemment traduit en français du thérapeute danois Jesper Juul : Regarde… ton enfant est compétent (Chronique sociale, avril 2012), peuvent aussi beaucoup aider les parents.

Propos recueillis par Walérian KOSCINSKI

Bio express :

1937 : Naissance à Toulon
Années 80 le professeur de lettres s’intéresse à la violence éducative et lit Alice Miller (C’est pour ton bien)
1999 elle lui demande d’écrire un livre sur la fessée et le préface
2003  Œdipe et Laïos, dialogue sur l’origine de la violence (avec le psychanaliste Michel Pouquet chez L’Harmattan)
2005 création de l’observatoire de la violence éducative ordinaire
2009 Oui, la nature humaine est bonne ! (Robert Laffont)
A paraître Un trou noir dans les sciences humaines : la violence éducative (L’Instant présent)

Les origines de la journée contre la violence éducative

A l’origine de cette journée en France il y a La Maison de L’enfant, association de soutien à la parentalité créée en 1998. L’idée de relayer cette manifestation Américaine est lancée la première fois en Avril 2004 sur la liste de discussion « Parents conscients » groupe très actif d’individus qui cherchent à accompagner leurs enfants dans la non violence.

La commission européenne a fait une campagne “levez la main contre la fessée

Site d’Alice Miller édito de 2009 qui annonce le livre d’Oliver Maurel “ Oui la nature humaine est bonne

Clip de la fondation de France campagne 2011

« Sans fessée, comment faire ? »

By admin

Interview : Le monde des religions

Les propos du Christ sur les enfants sont les plus révolutionnaires de l’Évangile

Interview de Sylvia Marty publiée le 29/04/2011, Le Monde des Religions

Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant? Douze pays européens ont voté une loi interdisant toute violence éducative y compris la fessée, la gifle etc. En France le sujet agace ou au mieux prête à sourire. Rencontre avec Olivier Maurel, fondateur de l’observatoire sur la violence éducative ordinaire.

La correction comme moyen éducatif est transmis de génération en génération. Elle est ancrée dans notre culture et admise comme normale. La fondation pour l’enfance vient de lancer une campagne anti-gifle et fessée. Pourquoi parle-t-on de la maltraitance et laisse-t-on de côté la violence éducative ordinaire ?

Parce que le seuil de tolérance à la violence subie par les enfants de la part de leurs parents nous est en quelque sorte fixé par l’éducation que nous avons reçue. Ce que nous appelons maltraitance, c’est le niveau de violence que, dans notre société, on ne tolère plus, par exemple frapper un enfant à coups de bâton ou de ceinture. Mais des gifles ou des fessées, nous en avons presque tous reçu de la part de nos parents que nous aimions et nous avons donc été persuadés très tôt qu’il était normal de frapper les enfants de cette façon. Ceux qui ont subi des bastonnades dans les nombreuses sociétés où c’est la coutume (et c’était aussi la coutume chez nous jusqu’au XIXe siècle) trouvent aussi la bastonnade tout à fait normale et ne songent pas plus à la remettre en question que nous ne songeons à contester la gifle ou la fessée.

Quel fut l’élément déclencheur de votre prise de conscience sur la violence éducative ordinaire?

La lecture du livre C’est pour ton bien, d’Alice Miller. Je m’interrogeais sur la violence humaine depuis mon enfance où j’ai connu la guerre et les bombardements. Pourquoi les hommes s’entretuent-ils comme ils le font ? Or, Alice Miller montre que la plus grande partie de la violence humaine, y compris les violences collectives, sociales ou politiques, a pour origine les violences subies dans l’enfance: abus sexuels, abandon, manque d’amour et, beaucoup plus général, presque universel, l’emploi de la violence pour ‘corriger’ les enfants.

Pourquoi avoir fondé l’observatoire sur la violence éducative ordinaire?

J’ai fondé cet observatoire pour essayer de faire prendre conscience à l’opinion publique de l’importance quantitative et qualitative de la violence éducative, cette forme de violence que nous avons tendance à ne pas voir, à minimiser (on ne parle que de ‘petites tapes sur les couches’, de ‘petites tapes sur la main’…), à justifier, à considérer comme indispensable. Dans le livre que je suis en train de terminer, je montre que cette cécité sélective est poussée à un tel point que sur plus de cent auteurs, chercheurs, philosophes, psychanalystes, historiens qui ont écrit ces dernières années des livres dont le titre annonce qu’ils vont traiter de la violence, 90% d’entre eux ne disent pas un mot, vraiment pas un mot, de la violence éducative, et le plus souvent même pas de la maltraitance.

La fondation pour l’enfance vient de lancer une campagne anti-gifles et fessées. Qu’en pensez-vous?

J’en ai été très heureux. Et je suis allé participer mercredi à Paris au lancement de cette campagne. J’ai trouvé que le film était très intelligemment axé sur le fait que la violence éducative est un phénomène de reproduction de génération en génération, et il ne m’a pas paru culpabilisant pour les parents. Selon de récentes recherches, les coups reçus par les enfants provoquent des lésions et entravent leur développement .

Pouvez-vous nous expliquer de quelle manière?

Quand un enfant reçoit des coups, son organisme réagit comme réagit l’organisme de tous les mammifères face à une agression. Dès la perception de la menace ou du coup, il sécrète en quantité des hormones qu’on appelle hormones du stress qui sont destinées à lui permettre de fuir ou de se défendre. Ces hormones ont pour effet d’accélérer les battements du cœur pour envoyer davantage de sang dans les membres et rendre la fuite ou la défense plus efficace. De plus, par une sorte de principe d’économie d’énergie, l’organisme désactive toutes les fonctions qui ne sont pas indispensables à la fuite ou à la défense, par exemple la digestion, la croissance et le système immunitaire.

Si l’enfant peut fuir ou se défendre, au bout d’un moment, l’équilibre se rétablit dans le corps, les hormones du stress s’évacuent et les fonctions stoppées se remettent en activité. Mais un enfant frappé ne peut ni fuir ni se défendre. A ce moment-là, comme l’avait montré Alain Resnais dans son film Mon oncle d’Amérique, les hormones du stress deviennent toxiques et attaquent les organes, notamment le système digestif et certaines parties du cerveau. Elles détruisent les neurones. Et d’autre part, comme la violence éducative est souvent répétitive, le système immunitaire à force d’être désactivé et réactivé, est altéré dans son fonctionnement et ne défend plus aussi bien l’organisme. Les enfants sont souvent d’autant plus vulnérables aux maladies qu’ils ont été davantage frappés.

Dans Matthieu, 19:15, Jésus dit « si vous ne vous convertissez et ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. (…) Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin, et qu’on le jette au fond de la mer. » Pourquoi cette parole du Christ n’a-t-elle pas été comprise par les chrétiens?

Je n’hésite pas à dire que les propos du Christ sur les enfants sont les plus révolutionnaires de l’Evangile. Je ne leur connais aucun équivalent dans aucune religion. Ils sont pour moi une des preuves que Jésus n’était pas seulement un homme. Alice Miller pensait que s’il avait pu les prononcer, c’est qu’il avait été exceptionnellement aimé, protégé et respecté par ses parents, comme le disent d’ailleurs les Evangiles qui parlent de son enfance.Quand Jésus enfant fait ce que nous appellerions une fugue, et qui plus est une fugue de trois jours, pour discuter avec les prêtres dans le temple, non seulement ses parents ne le frappent pas, mais ils lui disent simplement leur incompréhension et leur angoisse.

Malheureusement, ces propos sur les enfants n’ont jamais été compris par les Eglises chrétiennes comme ils auraient dû l’être. Quand Jésus nous présente les enfants comme des modèles à suivre pour entrer au Royaume des cieux, il est évident qu’il ne nous les présente pas comme des êtres qu’il faudrait corriger, et à plus forte raison à coups de bâton! On ne corrige pas des modèles, on les suit, on les imite. Mais la société du temps de Jésus, comme la nôtre il y a peu, était une société où, pour suivre la douzaine de proverbes bibliques qui traitent de l’éducation, on battait les enfants pour faire sortir la « folie » qui était en eux (Proverbes, 22, 15: La folie est au cœur de l’enfant; le fouet bien appliqué l’en délivre.)

Les disciples de Jésus avaient donc été élevés de cette façon par des parents qu’ils respectaient plus que tout. Il leur était donc pratiquement impossible d’imaginer que les paroles de Jésus pouvaient s’appliquer à cette méthode d’éducation. De même, quand Jésus dit à propos de quelqu’un qui ‘scandalise’ un enfant : « Mieux vaudrait pour lui se voir passer une pierre à moudre et être précipité dans la mer que de scandaliser un seul de ces petits », il est évident que le fait de donner à un enfant l’exemple de la violence en le battant et, qui plus est, l’exemple de la violence d’un être fort sur l’être le plus faible et sans défense qui soit, est une façon de le scandaliser.

Mais les anciens enfants qu’étaient les apôtres éprouvaient certainement à l’égard de leurs parents un attachement si viscéral qu’il leur était impossible de comprendre le sens de ces paroles. Résultat: l’Eglise n’a jamais remis en question la façon traditionnelle d’élever les enfants à coups de bâton, que ce soit dans les familles ou dans les écoles, et les institutions religieuses ont souvent été des enfers pour les enfants. On en a eu encore récemment des exemples avec les établissements irlandais tenus par des religieuses qui battaient comme plâtre les jeunes filles qu’on leur confiait.

L’incompréhension des premiers chrétiens à l’égard des paroles de Jésus sur les enfants apparaît de façon évidente dans le premier livre des Confessions de saint Augustin. Il en arrive même à corriger à sa manière le sens de la phrase du Christ: « A leurs pareils le Royaume des cieux » qui, d’après lui, voudrait dire non pas que les enfants sont innocents, ce qui est quasi-incompréhensible pour des adultes qui trouvent normal d’avoir été battus, mais qu’ils sont humbles, au sens étymologiques du mot: proches de l’humus, de la terre. Je suis pour ma part convaincu que c’est l’incompréhension de ces paroles de Jésus qui a fait que le christianisme a été en échec face au problème de la violence. Prêcher l’amour du prochain ne signifiait plus rien, ne pouvait avoir aucune efficacité, quand, parallèlement, on élevait les unes après les autres les générations d’enfants de manière à les rendre viscéralement violents par le traitement qu’on leur faisait subir.

Et malheureusement l’Eglise jusqu’à présent n’a pas bougé d’un iota sur ce point. Le Catéchisme de l’Eglise catholique, approuvé par le Pape en 1992, dit ceci à propos des parents: « En sachant reconnaître devant eux leurs propres défauts, ils seront mieux à même de les guider et de les corriger. » Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit  » (Si 30, 1-2).

Quelle est la position des différentes religions par rapport aux châtiments corporels infligés aux enfants?

La première religion qui ait de façon assez radicale remis en question les châtiments corporels est une religion issue de l’islam: la religion Bahaï, née en Iran au début du XIXe siècle, et dont le fondateur s’est opposé à la méthode utilisée couramment dans les écoles coraniques. Certains Quakers ont aussi dénoncé la pratique des punitions corporelles infligées aux enfants. Mais le plus souvent les religions chrétiennes ont au contraire refusé qu’on les interdise lorsque les Etats, à l’incitation du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, ont commencé à voter des lois d’interdiction.

Je crois que les méthodistes, aux Etats-Unis, ont pris position contre les punitions corporelles. Même chose pour le Conseil Œcuménique des Eglises (protestantes) en Afrique. Bizarrement, c’est dans la religion musulmane où pourtant la pratique des punitions corporelles est très intense, qu’on a vu des philosophes (par exemple Miskawayh, philosophe du Xe siècle, ou encore Ibn Khaldûn, historien du XIVe siècle) analyser avec le plus de perspicacité les effets nocifs des punitions corporelles.

Que répondez-vous aux parents, ces anciens enfants, qui disent « moi aussi j’ai reçu des gifles et des fessée. Ça ne m’a pas traumatisé » ?

Il est vrai que chez beaucoup de gens les effets des fessées ou des gifles sont atténués par l’affection que leurs parents leur ont donnée par ailleurs, ou/et par le fait que les punitions n’ont pas été données arbitrairement mais d’une manière qui leur a paru « juste ». Malheureusement, il y a toujours un effet secondaire qui demeure et qui montre que ces personnes ont subi en quelque sorte une lésion du sens moral, c’est que les parents qui disent cela trouvent normal :

  1. Que l’on frappe les enfants
  2. Qu’un être grand et fort frappe un être petit et faible.

Or, ces deux faits sont en contradiction avec le principe le plus élémentaire de la morale qu’ils cherchent en général à inculquer à leurs enfants: ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Et en général ils ne voient même pas la contradiction entre ce principe et ce qu’ils pratiquent et recommandent. Cette forme de cécité est bien la marque d’un traumatisme, mais non ressenti comme tel. Alice Miller a intitulé un de ses livres publié d’abord en allemand : « Tu ne t’apercevras de rien ». C’est un des effets les plus redoutables de la violence éducative.

Selon vous, les Français sont-ils prêts à changer leur approche de « la bonne fessée qui n’a jamais fait de mal à personne » ?

Il y a une évolution, surtout chez les jeunes parents, mais elle est très lente et les résistances sont très fortes. Elles sont dues en grande partie à l’attachement que nous avons à l’égard de nos parents. Il nous est très difficile de remettre en cause ce qu’ils nous ont fait subir.

Faut-il absolument légiférer pour faire évoluer les mentalités?

C’est précisément l’attachement que nous avons à l’égard de nos parents qui fait qu’il est indispensable de légiférer. Nos parents font partie de notre psychisme. Quand nous frappons nos enfants, en un sens, ce sont eux qui frappent à travers nous (ce qu’exprime très bien le film de la fondation pour l’enfance). Tant qu’une autorité supérieure à celle des parents ne dit pas clairement qu’il est inacceptable de frapper les enfants et qu’ils doivent être respectés comme on respecte les adultes et les personnes âgées, l’usage ne changera pas, ou très lentement comme il change depuis le début du XIXe siècle.

Or, vu la nécessité où nous nous trouvons, notamment avec la crise climatique, d’effectuer des changements profonds dans notre comportement, il est urgent de permettre aux nouvelles générations de disposer de toutes leurs facultés affectives, intellectuelles et morales pour affronter les situations vers lesquelles nous allons. Et la violence éducative altère ces facultés. J’ajoute que dans un grand nombre de pays où les enfants sont encore frappés à coups de bâton ou punis d’autres manières aussi violentes, la situation est bien pire que chez nous et qu’il est donc urgent de donner l’exemple du renoncement à cette méthode d’éducation.
Pour aller plus loin :

La fessée, Olivier Maurel, éditions La Plage 2007 (réédition)

Oui, la nature humaine est bonne, éditions Robert Laffont 2009

Œdipe et Laos. Dialogue sur l’origine de la violence, éditions L’Harmattan

J’ai tout essayé, Isabelle Filliozat, éditions Jean-Claude Lattès

http://www.oveo.org/ (OVEO)

http://www.lemondedesreligions.fr/entretiens/les-propos-du-christ-sur-les-enfants-sont-les-plus-revolutionnaires-de-l-evangile-29-04-2011-1480_111.php

By admin

Lettre à Sandrine Garcia

Madame,

Je suis un de ces “entrepreneurs de morale” dont vous ne parlez pas avec beaucoup d’aménité dans votre livre Mères sous influence. Pire, je suis le fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire que vous mentionnez deux ou trois fois. Et pire encore, j’ai été effectivement très marqué par la lecture des livres d’Alice Miller. Dernière circonstance aggravante : j’ai écrit trois livres sur la violence éducative !

J’ai lu votre livre, Mères sous influence, avec intérêt, bien qu’avec quelque irritation parfois, vous vous en doutez, surtout dans sa seconde partie qui concerne davantage mes centres d’intérêt et mes recherches.

J’essaierai de résumer les accusations que vous portez contre le courant issu des travaux d’Alice Miller et d’y répondre au fur et à mesure :

1. Nous pratiquons un “ethnocentrisme de classe” en diffusant des pratiques éducatives propres aux classes moyennes et en disqualifiant du même coup les classes populaires sur lesquelles nous tendons à établir une “police des familles”.

Il me semble que, sur ce point, votre livre, écrit d’un point de vue sociologique, manque passablement de perspective historique. Car existe-t-il un seul mouvement historique important allant dans le sens de la reconnaissance des droits de la personne qui n’ait pas eu sa source dans des milieux sociaux qui d’une part avaient accès au savoir, d’autre part, contrairement aux classes dominantes, n’avaient aucun intérêt particulier à conserver l’ordre établi ? Les idées des Lumières à l’origine de la Déclaration des droits de l’homme sont nées dans la bourgeoisie et chez certains aristocrates.

Classes moyennes signifie classes relativement instruites et capables de diffuser les idées fondées sur les savoirs nouveaux de leur temps et allant donc nécessairement à contre-courant de l’opinion publique marquée par la tradition et peu informée. Les premières suffragettes dont l’action a abouti au droit de vote des femmes, étaient elles aussi issues de la classe moyenne, et même de sa partie la plus instruite.

Croyez-vous que les pays africains où se pratique l’excision parviendront à se débarrasser de cet usage sans l’action de personnes issues des classes les plus instruites et les plus conscientes de ces pays ? Ou bien pensez-vous que les Africaines qui luttent contre l’excision cherchent aussi à « disqualifier les pratiques des classes populaires » ?

Si le mouvement en faveur des droits de la personne ne vient pas des classes populaires, ce n’est pas dû à une infériorité de ces classes, mais au fait que les traditions ont un immense pouvoir sur notre esprit, ce qui explique la durée plurimillénaire de l’esclavage, de la violence exercée sur les femmes, des sacrifices humains, de l’excision, et de multiples usages qui ne tiennent que par tradition.

Pour se dégager d’une tradition très ancienne transmise de génération en génération, comme celle des punitions corporelles, il faut avoir eu accès à un minimum de connaissances, ce qui, malheureusement, est rarement le cas dans les classes populaires, et avoir été capable de remettre en question le mode d’éducation que l’on a subi de ses parents, ce qui est encore plus difficile.

Bref, il me semble un peu léger de stigmatiser des idées sous le prétexte qu’elles sont nées dans les classes moyennes.

D’autre part, si nous souhaitons effectivement une interdiction des punitions corporelles et humiliantes, ce n’est pas pour établir une “police des familles”. Nous souhaitons que cette interdiction ne soit inscrite que dans le Code civil et non dans le Code pénal où existent d’ailleurs déjà, sans que nous y soyons pour rien, des sanctions extrêmement sévères pour les coups et blessures, avec circonstances aggravantes lorsque les coups sont infligés par les parents.

2. Les pratiques éducatives que nous diffusons visent à moraliser les mères et à les réduire à leur fonction maternelle.

Il est vrai que c’est encore aujourd’hui sur les femmes que pèse le poids de l’éducation des enfants. Mais les choses évoluent et nous souhaitons qu’elles évoluent. De plus en plus de pères acceptent de partager les tâches d’éducation et nous souhaitons que le plus possible de mesures concrètes soient prises dans l’organisation du travail notamment pour que cette évolution s’accélère.

Il faut ajouter que le nombre d’enfants par couple diminuant, les tâches d’éducation occupent dans la durée de la vie, une place de plus en plus limitée et pourraient donc être plus facilement partagées à égalité entre les sexes.

3. En énonçant de nouvelles normes d’éducation, nous fabriquons de la déviance, puisque plus il y a de normes, plus il y a de déviances par rapport à ces normes.

Certes, quand aucune fâcheuse norme n’interdisait aux maris de battre leur femme, ils n’étaient pas déviants quand ils se le permettaient ! Heureuse époque ! La regrettez-vous ?

4. Nous dramatisons les pratiques éducatives populaires comme les tapes, gifles et fessées et les faisons entrer indûment dans la catégorie de la maltraitance.

Est-ce dramatiser la gifle que de la considérer comme une forme de violence conjugale ? Or, un enfant est encore plus vulnérable et fragile qu’une femme adulte. Pourquoi cette discrimination ? Parce que l’enfant ne comprend pas d’autre argument que les coups ? Alors, préconisons aussi la tape et la gifle pour les personnes atteintes d’un handicap mental ou pour les personnes âgées atteintes d’un alzheimer et qui refusent de faire ce qu’on leur demande. Car l’origine de la difficulté est la même : problème d’âge (très jeunes dans un cas, très vieux dans l’autre) et d’état du cerveau (immaturité dans un cas et dégradation dans l’autre).

5. Nous rejetons la résilience qui, elle, relativise le statut de victime et propose une perspective dynamique.

Ce n’est pas la résilience que nous remettons en question, mais l’importance que lui attribuent ceux qui la présentent comme la panacée. En effet, pour la juger, il faut distinguer les cas de maltraitance reconnue dans une société donnée et les cas de violence éducative tolérée.

Dans le premier cas, les enfants maltraités ont toutes les chances de trouver autour d’eux des personnes (voisins, autres membres de la famille, voire assistantes sociales, juges, policiers) qui leur feront comprendre que ce qu’ils ont subi n’est pas normal. Ayant effectué cette prise de conscience, ils courent moins de risques de reproduire ce qu’ils ont subi.

Mais un enfant qui est seulement victime de violence éducative tolérée dans la société où il vit (qu’il s’agisse de la gifle, de la fessée ou de la bastonnade) ne trouvera sans doute autour de lui que des personnes qui lui diront qu’on a bien eu raison de le frapper puisqu’il a eu tel ou tel comportement répréhensible. Et donc, il reproduira sans état d’âme ce qu’il a subi sans se poser d’autres questions.

C’est la raison pour laquelle l’usage des punitions corporelles dure depuis environ cinq millénaires malgré les convictions bien établies des adeptes de la résilience qui prétendent que seuls 20% des individus reproduisent ce qu’ils ont subi. Si c’était exact, il y a beau temps que plus personne ne frapperait les enfants. Mais les adeptes de la résilience acceptent très mal de reconnaître une exception si monumentale aux bienfaits de la résilience.

Quant à la “perspective dynamique” dont vous marquez avec raison la nécessité, nous en sommes aussi convaincus, mais ne voulons pas l’établir sur une croyance illusoire. La répétition de ce qu’on a subi n’est pas automatique, mais c’est presque la règle quand il s’agit de la violence éducative tolérée dans la société où l’on vit.

6. Nous faisons de la morale en croyant faire de la science.

Les connaissances concernant le développement du cerveau ont extraordinairement progressé durant les dernières décennies. Les découvertes concernant l’importance de l’attachement, concernant les neurones miroirs et l’imitation, les enquêtes multiples effectuées sur les effets des punitions corporelles sur la santé physique et mentale, ne laissent plus de doutes sur les effets nocifs des punitions corporelles et humiliantes. Bien sûr, chacun est libre de refuser de s’informer sur ces apports de la science. Mais c’est un peu dommage quand on est soi-même une scientifique.

7 Nous devrions remplacer une stratégie de dénonciation par une compréhension des conditions sociales, économiques et culturelles favorisant les comportements familiaux que nous jugeons déviants.

Contrairement à ce que vous semblez supposer, l’usage des punitions corporelles n’est pas du tout le propre des classes populaires. Depuis des millénaires, les punitions corporelles sont le moyen d’éducation le plus employé à tous les niveaux de la société. De multiples proverbes les ont préconisées sur tous les continents et tous les enfants les subissaient quel que soit leur milieu d’origine, de la part de leurs parents et de leurs maîtres. Ce ne sont pas les “conditions sociales, économiques et culturelles” qui favorisent cet usage, c’est le fait d’y avoir été soumis ou non dans son enfance, qu’on soit fils de roi (voir l’éducation du petit Louis XIII par Henri IV) ou fils d’ouvrier ou de paysan.

Ceci dit, il est exact que depuis un siècle et demi environ, l’intensité des punitions corporelles a sensiblement baissé dans un bon nombre de pays industrialisés dont la France (sans toutefois que le pourcentage de parents qui les utilisent ait beaucoup diminué) et, bien sûr, le mouvement a commencé d’abord dans les classes moyennes qui lisaient les livres de puériculture, et s’est étendu progressivement aux classes populaires.

Mais à la fin du siècle dernier, sont arrivées en France des familles originaires de régions du monde où le niveau de la violence éducative était resté le même que celui où on en était en France aux XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire au niveau de la bastonnade et de la flagellation. Le travail de sensibilisation est donc à poursuivre et à intensifier, non pas pour répandre “l’idéologie des classes moyennes”, mais parce que les besoins fondamentaux des enfants de ces familles sont les mêmes que ceux des enfants des classes moyennes et que les effets des punitions corporelles sur leurs comportements innés sont les mêmes que sur les enfants des familles françaises.

8. Alice Miller et nous serions “rousseauistes”.

Si vous aviez vraiment lu Alice Miller au lieu de vous contenter de parcourir son site, vous sauriez qu’elle a dénoncé dans plusieurs de ses livres les manipulations recommandées par Rousseau dans Émile. Vous pourrez lire d’ailleurs bientôt sur notre site une analyse très détaillée de l’attitude de Rousseau par rapport à la violence éducative.

 

Dernier point : Je ne comprends pas très bien comment sont compatibles avec vos critiques deux de vos remarques, l’une sur la démonstration par Philippe Ariès du mouvement historique de fond dans le sens de la valeur accordée à l’enfant (p. 375), et l’autre sur l’amélioration des conditions d’accueil des enfants dans les institutions, amélioration due à l’action des psychanalystes (pp. 214 et 274).

Le mouvement que nous représentons n’est rien d’autre que le prolongement des deux tendances ci-dessus. Trouvez-vous vraiment suffisantes dans le monde actuel la valeur accordée à l’enfant et les conditions d’accueil dans les institutions et dans les familles ? Si oui, je vous recommande la lecture du livre d’Anne Tursz, Les Oubliés, qui montre, à partir d’une enquête extrêmement rigoureuse combien les mesures de protection des enfants sont encore scandaleusement insuffisantes.

Il m’est arrivé dans cette lettre de vous répondre de façon un peu ironique. Mais reconnaissez que vous ne nous ménagez pas non plus. Croyez cependant que je souhaite sincèrement un dialogue entre nous, ne serait-ce que pour savoir si j’ai mal interprété votre pensée ou si certains de ses aspects m’ont échappé. Peut-être retireriez vous vous-même de ce dialogue un approfondissement de vos propres convictions.

Bien cordialement malgré nos différends.

Olivier Maurel

By admin

En relisant Alice Miller (4)

D’après Alice Miller, la condition essentielle pour qu’un enfant découvre de lui-même la joie spontanée de partager et de donner, est qu’il ait eu d’abord le droit de satisfaire ses besoins, c’est-à-dire d’être, comme on a tendance à le dire “égoïste”, “cupide”, “asocial”. Au contraire, des parents qui veulent “éduquer” leurs enfants à être “bons” sans leur avoir d’abord permis d’être eux-mêmes, risquent de les priver de cette joie et d’en faire des personnes qui “feront leur devoir” et s’empresseront elles aussi d’enseigner à leurs enfants le même “devoir” sans se soucier de leur permettre de satisfaire d’abord leurs besoins.

Il en va de même pour le respect. N’apprend le respect que l’enfant que l’on respecte. L’autre condition étant, pour le parent, mère ou père, de se respecter lui-même, c’est-à-dire d’avoir été respecté ou d’avoir réappris à se respecter.

Malheureusement, “une mère qui, autrefois, ne fut elle-même pas prise par sa mère pour ce qu’elle était vraiment va essayer d’obtenir, par l’éducation, du respect de son enfant. Ce sont les tragiques destinées d’un tel “respect”, poursuit Alice Miller, que j’aimerais décrire dans ce livre”.

By admin

En relisant Alice Miller (3)

La mention de l’aphorisme de Freud écrit par le créateur de la psychanalyse alors qu’il avait quinze ans ne se justifie pas beaucoup mieux que le proverbe qui ouvre l’avant-propos.

Je ne vois pas en quoi cet aphorisme montre que Freud adolescent comprenait que si beaucoup de gens croient qu’ils n’ont pas de besoins, c’est seulement parce qu’ils ne les connaissent pas. Il semble plutôt montrer que le seul Freud qu’Alice Miller reconnaissait encore au moment où elle a écrit ce livre, était le Freud presque enfant, celui qui n’avait pas encore énoncé sa théorie des pulsions.

Mais dans le paragraphe suivant, elle renonce à toute révérence à l’égard de Freud et expose sa pensée en toute clarté. Elle montre que l’enfant qu’on appelle “égoïste” est en réalité un enfant qui a des désirs propres et qui les exprime, alors que les parents ont tendance à ne considérer comme “bons” que les enfants qui satisfont non pas leurs propres désirs, mais ceux de leurs parents. “Éduquer” un enfant, c’est le plus souvent l’utiliser pour satisfaire ses propres désirs, sous prétexte de le “socialiser”. Contraint par sa dépendance à l’égard de ses parents, l’enfant apprend donc vite à “partager”, à “donner”, à “se sacrifier” et à “renoncer”, mais avant d’être capable de vrai partage et de vrai renoncement.

Inversement, “un enfant qui est allaité pendant neuf mois” donc qui, d’après Alice Miller, a pu satisfaire entièrement son désir de téter, “ne veut plus téter” et on n’a pas besoin de “l’éduquer à renoncer au sein”. Cette limite de neuf mois, qui semble assez arbitraire, a souvent opposé Alice Miller à la Leche League, qui estime, à juste titre, je crois, qu’un enfant peut téter beaucoup plus longtemps pour son plus grand bien. Alice Miller allait jusqu’à dire qu’une mère qui allaite son enfant plus longtemps le fait pour satisfaire ses propres besoins. Il me semble même qu’elle a parlé d’attitude incestueuse. Sans doute un des rares restes, chez elle, de psychanalyse orthodoxe…

By admin

En relisant Alice Miller (2)

Cet avant-propos s’ouvre sur un proverbe dont j’avoue ne pas bien comprendre le sens et le rapport avec l’idée développée dans la suite. Mais “l’enfant candide” qui apparaît dans ce premier paragraphe en opposition aux adultes “sages” est bien le même qui apparaît plus tard dans le commentaire que fait Alice Miller du conte d’Andersen : Les habits neufs de l’empereur. Il est plus lucide que les cent sages qui perdent leur temps à aller chercher une pierre dans l’eau.
Commence ensuite une réflexion sur le narcissisme et sur l’ambiguïté et le flou de cette notion psychanalytique que les psychanalystes veulent “neutre”, puisqu’elle désignerait un “stade du développement”, mais qui est en réalité un déguisement de l’accusation d’égoïsme portée contre l’enfant.

By admin

En relisant Alice Miller… (1)

En travaillant, hier, à un article sur Le Jeune Staline, de Simon Sebag Montefiore, article où je compte reprendre ce qui confirme les analyses d’Alice Miller sur l’enfance de Staline, l’idée m’est venue de relire tous les livres d’Alice Miller en notant au fur et à mesure mes réflexions. Chaque fois que je relis une page d’un de ses livres, je suis frappé par la richesse de sa pensée et j’ai l’impression de n’en connaître qu’une faible partie. Je me lance donc dans cette relecture sans savoir si et jusqu’où je la mènerai à bien, mais avec le sentiment qu’elle pourra beaucoup m’apporter.
J’ouvre donc ce matin son premier livre, Le Drame de l’enfant doué, titre que je ne suis pas sûr de comprendre et qui prête à confusion puisqu’il ne s’agit pas du tout d’un livre sur les enfants surdoués. Le résumé du livre, en page 2 de couverture, précise qu’il s’agit “de l’enfant sensible et éveillé”, qualité dont tous les enfants, je crois, sont dotés. Du moins, il ne me semble pas qu’Alice Miller ait voulu établir une discrimination entre les enfants qui seraient doués et ceux qui n’auraient pas la chance de l’être.
Je ne me rappelais plus le sous-titre : “A la recherche du vrai Soi”. Voilà bien une formule qui résume d’avance toute l’oeuvre d’Alice Miller. Elle est probablement encore marquée, à l’époque où elle écrit ce livre, par les idées de Winnicott à qui elle fait allusion dans son avant-propos, et qui parlait du Vrai et du Faux-self.
Toujours à propos de la page de couverture, je note aussi que le livre a été publié dans la collection Le fil rouge qui était dirigée par Alexandre Adler. Alice Miller m’avait dit, avec un sourire un peu moqueur, que c’était lui qui avait publié son premier livre, mais qu’il ne l’avait guère soutenue ensuite et n’a, me semble-t-il pas fait écho à ses autres livres.

By admin

Lettre à Boris Cyrulnik

Monsieur,

Je me permets de vous écrire pour vous demander des précisions à propos de deux des affirmations que vous avez soutenues, l’une dans votre conférence à la synagogue de Toulon, l’autre dans votre livre Autobiographie d’un épouvantail.

À la synagogue j’ai été stupéfait de vous entendre dire (je l’ai noté au moment même où vous l’affirmiez) qu’il était faux qu’Hitler ait été maltraité dans son enfance. Vous avez dit avoir trouvé cette information dans sa biographie par Ian Kershaw. Ayant beaucoup lu sur cette question, notamment dans les livres d’Alice Miller, j’étais sûr que vous vous trompiez. Mais comme je n’avais pas lu Kershaw, je n’ai pas voulu vous contredire. Or, j’ai reçu son livre ce matin et vous pourrez voir dans l’extrait que j’en ai copié, notamment dans les propos de Hitler lui-même et de sa sœur, et que je joins à ce message, qu’à moins de vouloir s’aveugler soi-même on ne peut que reconnaître que le petit Adolphe, loin d’avoir été un enfant gâté, a été battu comme plâtre par son père. Pour quelle raison le niez-vous ?

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je vous entends affirmer ou que je lis sous votre plume des propos absolument contraires à la réalité. Dans votre Autobiographie d’un épouvantail, vous écrivez, p. 117, à propos du futur terroriste : « Hyperadapté au monde d’un seul amour (celui d’une mère dominante) il se retrouve en situation d’apprendre la perversion. Cela explique l’étonnement du psychiatre Léon Goldensohn qui, lors du procès de Nuremberg, s’attendait à voir des monstres, puisque ces hommes avaient commis d’impensables monstruosités. Il fut désorienté en entendant les coupables lui raconter une enfance heureuse, dans une famille aimante. Ils n’étaient pas pervers et pourtant s’étaient comportés comme de grands pervers [p.117]. [...] seul Herman Goering présentait des signes de psychopathie. Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants « gâtés », bien aimés et bien élevés. » [p. 118.]

Surpris de telles affirmations, j’ai commandé l’édition française du livre de Goldensohn : Les Entretiens de Nuremberg (Flammarion, 2005). Je l’ai lue de très près et j’ai eu la stupéfaction de constater que ce que vous affirmiez était entièrement faux.

En effet, sur 33 accusés ou témoins interrogés par Goldensohn,

• 15 d’entre eux, soit près de la moitié, ne disent pas un mot de leur enfance.
• 4 sont extrêmement évasifs et ne disent rien non plus qui permette de savoir si leur enfance a été heureuse ou malheureuse.

Ce que vous affirmez (« Tous les inculpés du procès de Nuremberg ont été des enfants gâtés ») ne peut concerner au maximum que moins de la moitié des accusés (14 sur 33). Qu’en est-il des autres ?

• 3 disent explicitement que leur enfance a été malheureuse.
• 6 disent qu’ils ont eu un père « strict » ou « très strict ».

Quand on sait ce que signifiait « être strict » dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, où la majorité des enfants étaient élevés à la baguette, cela interdit bien évidemment de dire qu’ils ont été des « enfants gâtés ».

Ne restent donc que cinq accusés, sur lesquels :

• 3 accusés seulement disent avoir été « gâtés ». Mais, dans deux cas sur trois, c’est uniquement par leur mère et avec un père « strict ». Quant au troisième, Funk, qui dit effectivement avoir été « terriblement gâté », on apprend ensuite qu’à partir de l’âge de neuf ans, il n’a plus vécu dans sa famille et a été mis constamment en pension. Or, dans les pensionnats allemands de cette époque, il y a quelques raisons de douter que les enfants aient été « gâtés » !

Comment et pourquoi laissez-vous passer dans vos propos et dans vos livres de telles contrevérités, qui, grâce à votre notoriété de scientifique, risquent d’être reçues par l’opinion publique ? Et encore je n’ai pas parlé de ce que vous écrivez de Sade qui est tout aussi peu fondé ! Ce ne serait que demi-mal si ces propos ne risquaient pas d’avoir des retombées tout à fait pratiques. Mais combien de lecteurs confiants dans votre prestige, vont-ils en effet penser que choyer les enfants est la meilleure manière d’en faire des terroristes et des bourreaux ? Alors que tout ce qu’on sait sur l’attachement, dont vous avez si bien parlé en d’autres temps, montre exactement le contraire.

Je ne puis croire que vous n’ayez pas de bonnes raisons d’avoir tenu de tels propos. Mais j’avoue que j’aimerais bien les connaître. Cela m’éviterait d’avoir à dénoncer, comme j’ai dû le faire à plusieurs reprises, les erreurs qu’ils contiennent, erreurs qui peuvent avoir des effets très dommageables.

Vos livres sont certes agréables à lire, mais ils le seraient davantage si l’on n’était pas obligé de constater qu’ils n’allient pas toujours la rigueur à la séduction.

Désolé de vous avoir été certainement désagréable, mais il y a des choses que tout ce que j’ai appris au cours de mes recherches sur la violence éducative m’interdisent de laisser passer sans protester.

Olivier Maurel, le 22 juin 2009

Texte de Ian Kershaw :

Family life was, however, less than harmonious and happy. Alois was an archetypal provincial civil servant – pompous, status-proud, strict, humourless, frugal, pedantically ponctual, and devoted to duty. He was regarded with respect by the local community. But he had a bad trmper which could flare up quite unpredictably. At home, Alois was an authoritarian, overbearing, domineering husband and a stern, distant, masterful, / and often irritable father. For long after their marriage, Klara could not get out of the habit of calling him “Uncle”. And even after his death, she kept a rack of his pipes in the kitchen and would point to them on occasion when he was referred to, as if to invoke his authority. (…) pp 3-4

Adolf’s early years were spent, then, under the suffocating shield of an over-anxious mother in a household dominated by the threatening presence of a disciplinarian father, against whose wrath the submissive Klara was helpless to protect her offspring. Adolf’s younger sister, Paula, spoke after the war of her mother as “a very soft and tender person, the compensatory element between the almost too harsh father and the very lively children who where perhaps somewhat difficult to train. If there / were ever quarrel(s) or differences of opinion between my parents,” she continued, “it was always on account of the children. It was espacially my brother Adolph who challenged my father to extreme harshness and who got his sound thrashing every day… How often on the other hand did my mother caress him and try to obtain with her kindness what the father could not succeed (in obtaining) with harshness !” Hitler himself, during his late-night fireside monologues in the 1940s, often recounted that his father had sudden bursts of temper and would then immediatly hit out. He did not love his father, he said, but instead feared him all the more. His poor beloved mother, he used to remark, to whom he was so attached, lived in conbstant concern about the beatings he had to take, sometimes waiting outside the door as he was thrashed. pp 5-6