Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Lettre à un rabbin sur la violence éducative

« La dernière chose dont prend conscience le poisson, c’est de l’eau de son bocal » Proverbe.

Dans mon travail de recherche sur la violence, je lis la majorité des livres qui portent sur ce sujet.

Je viens ainsi de lire l’ouvrage collectif : La Violence, Ce qu’en disent les religions (Éditions de l’Atelier, Éditions ouvrières, 2002). Ce livre a été réalisé sous la direction du philosophe Philippe Gaudin.

Cinq religions y sont représentées, chacune par un spécialiste. L’hindouisme est représenté par Véronique Bouillier, directrice de recherche au CNRS et ethnologue, le christianisme par le pasteur François Clavairoly, de l’Église réformée de France, le judaïsme par le rabbin Daniel Farhi, du Mouvement juif libéral de France, l’islam par Mehrézia Labidi-Maïza, traductrice et spécialiste des textes sur l’islam et la société arabo-musulmane, et enfin le bouddhisme par Fabrice Midal, docteur en philosophie et auteur d’ouvrages sur le bouddhisme tibétain.

Ce livre est intéressant et écrit par des auteurs soucieux de lutter contre la violence et pour la paix. Mais je le lisais surtout pour voir si la violence éducative était prise en compte parmi les causes possibles de la violence.

Or, une fois de plus, et même si je commence à y être habitué, j’ai ressenti une sorte de désespoir à voir qu’aucun de ces auteurs n’a mentionné à aucun moment la violence éducative comme source possible de la violence humaine.

J’avoue que je trouve assez extraordinaire l’attitude des religions et des croyants qui disent vouloir lutter contre la violence et ne prêtent pas la moindre attention au fait que depuis des millénaires, la quasi totalité des enfants reçoivent leur première initiation à la violence de la main même de leurs parents puis de leurs maîtres !

Pourtant, ne serait-il pas logique, quand on constate une violence en aval, d’aller chercher en amont ce qui a pu provoquer cette violence ? Mais non !

Alors, on propose toutes sortes de moyens du genre de la prière, de l’ascèse, de l’étude, de la lutte contre les passions, du “lâcher-prise”, tous moyens fort difficile en fait à mettre en pratique et dont l’expérience des religions elles-mêmes montre que leur efficacité est très relative, vu qu’on ne s’étripe jamais aussi bien qu’entre pieux coreligionnaires.

J’ai appris depuis un certain temps à ne pas trop me laisser aller à la colère devant un tel manque de lucidité, d’autant plus que je sais bien que si je n’avais pas lu les livres d’Alice Miller, j’en serais encore moi aussi à errer à la recherche des causes de la violence.

Mais dans ces cas-là, j’écris quand même aux auteurs pour leur signaler qu’il faudrait un peu prêter attention à ce qui se passe dans l’enfance des petits des hommes.

En l’occurrence, j’ai adressé ma lettre au Rabbin Daniel Farhi parce que c’est dans la Bible qu’on trouve la plus précise incitation à la violence éducative sous la forme de nombreux proverbes et j’ai trouvé étonnant qu’il n’en ait pas dit un mot. J’ai ensuite transmis ma lettre au rabbin Farhi aux cinq autres auteurs.

Voici le texte de cette lettre :

Monsieur le Rabbin,

Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.

Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.

Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.

Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».

Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.

Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.

Il donne aux enfants l’exemple de la violence.

Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.

Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.

Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.

Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.

Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.

Et on pourrait continuer ainsi longtemps.

Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.

J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.

Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.

La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.

A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.

Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.

Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération.

Olivier Maurel (11 février 2007)

Et voici deux réponses :

Cher monsieur,

Je vous remercie de pointer mon attention sur ce point très important.

En Orient, la violence éducative existe en effet.

En France pour ce que j’en sais, les bouddhistes français aujourd’hui sont évidemment des citoyens Fançais qui ont lu Dolto.

Bien à vous

Fabrice (11 février 2007)

 

Monsieur,

Il est difficile de tout dire dans de si petits volumes, mais vos remarques ne sont pas sans pertinence. Il me semble que dans celui qui est intitulé « l’injustice », il y a quelques éléments qui vont dans votre sens, notamment dans le début du chapitre « christianisme »…

Cordialement,

Philippe Gaudin (13 février 2007)

Monsieur le Rabbin,
Je viens de lire le chapitre que vous avez consacré, dans l’ouvrage collectif La Violence, ce qu’en disent les religions, au Judaïsme devant la violence de la Bible.
Ce chapitre m’a beaucoup intéressé. Mais je dois dire que j’ai été surpris par le fait que vous n’y mentionnez à aucun moment une forme de violence pourtant bien présente dans la Bible et particulièrement importante puisqu’elle concerne l’éducation des enfants et peut donc avoir une incidence directe sur leur comportement une fois devenus adolescents et adultes.
Je veux parler des multiples proverbes qui, dans le livre des Proverbes, recommandent de frapper les enfants pour les faire obéir.
Il est indéniable que ces proverbes ont eu une influence majeure à la fois sur le judaïsme, sur le christianisme et sur l’islam. Dans les familles et dans les établissements d’enseignement religieux, on a battu les enfants en toute bonne conscience pour leur obéir, et on continue actuellement à le faire dans beaucoup de pays. Même dans le tout récent Catéchisme de l’Église catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger, le Pape actuel, on cite un de ces proverbes pour rappeler aux parents la nécessité de corriger leurs enfants. Dans beaucoup de pays, des Églises protestantes refusent que l’État interdise les punitions corporelles dans les écoles de peur de ne plus pouvoir pratiquer le « châtiment biblique ».
Je ne veux pas dire que l’usage de frapper les enfants ait son origine dans la Bible. Cet usage est présent dans toutes les civilisations indépendantes de la tradition biblique. Mais la pérennité de la Bible et son extension au monde entier via le christianisme contribuent grandement à le maintenir.
Or, il n’y a pas de doutes que cet usage a contribué à accroître le potentiel de violence de l’humanité, et cela de plusieurs façons.
Il donne aux enfants l’exemple de la violence.
Il leur enseigne qu’il est normal de résoudre les conflits par la violence.
Il contredit radicalement le principe le plus basique de la morale : Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.
Il accumule dans le psychisme des enfants une rage impuissante qui s’évacuera plus tard sur leurs propres enfants, leur épouse ou tel ou tel de leurs semblables considéré comme un adversaire, un ennemi ou un quelconque bouc émissaire.
Il habitue les enfants à obéir non pas à la loi ou à leur conscience mais à l’influence d’une violence ou d’une menace extérieure.
Il porte atteinte au principe biologique de base présent dans toutes les espèces animales de la protection des rejetons qu’il est impératif d’abriter de la violence.
Il porte atteinte à la capacité d’empathie des enfants en les contraignant à se blinder contre leurs propres émotions, au risque de ne plus être sensibles aux émotions des autres et donc de devenir capable de les faire souffrir sans états d’âme.
Et on pourrait continuer ainsi longtemps.
Mais parmi ses principaux effets, un des pires est que la violence contre les enfants n’est plus considérée comme une violence et, à plus forte raison, une violence qui pourrait être la source au moins partielle des autres violences. Voyez par exemple l’ensemble du volume auquel vous avez contribue : la violence éducative contre les enfants n’y est citée à aucun moment par aucun des six auteurs alors qu’elle est un sas, un goulot d’étranglement par lequel passent, d’après toutes les enquêtes menées sur ce sujet, 80 à 90% des enfants, alors qu’elle atteint les enfants au moment où leur cerveau est en pleine formation et qu’elle leur est infligée par ceux qui sont leurs plus proches modèles, ceux dont ils sont entièrement dépendants.
J’ai lu beaucoup de livres qui prétendaient faire le tour du problème de la violence. La plupart d’entre eux n’accordent aucune place au dressage des enfants par la violence. Quand ils lui concèdent quelques lignes ou quelques paragraphes, c’est pour dire qu’elle a peu d’influence sur la violence des adultes. Aucun ne la considère comme pouvant être une des sources de la violence.
Et la raison de cette méconnaissance est très simple. Nous avons tous peu ou prou subi cette violence à un âge où il nous était impossible de la contester. Elle s’est imposée à nous qui venions pour la première fois sur cette terre comme faisant partie du savoir-vivre normal. De plus, comme elle était accompagnée d’une culpabilisation et d’une humiliation, il nous est resté pénible d’y repenser et d’en parler ou, si nous le faisons, c’est sur le ton de la dérision. D’où le fait qu’aucun grand philosophe n’a tenu compte de ce dressage. Et que les écrivains n’ont commencé à en parler que très récemment.
La violence éducative est encore un trou noir, un angle mort qui échappe à notre perception.
A cause de l’influence de la Bible, il serait bon que le judaïsme, le christianisme et l’islam s’unissent pour dénoncer cet usage éminemment destructeur.
Veuillez excuser la longueur de ce message. Mais la violence éducative est un fait si mal connu qu’il est nécessaire de l’exposer de manière un peu complète pour en faire prendre conscience.
Croyez, Monsieur le Rabbin, à l’expression de ma considération. 

Olivier Maurel (11 février 2007)