Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By admin

Résilience, maltraitance et violence éducative ordinaire

Beaucoup d’études actuellement, tendent à montrer que, contrairement à ce que l’on croyait, la violence ne se transmet pas automatiquement d’une génération à l’autre. Les enfants martyrs ne deviendraient pas des parents bourreaux. La grande majorité des enfants battus s’en sortiraient finalement bien. Seule une faible proportion des enfants à risques deviendraient délinquants ou maltraitants.

Si c’est vrai, c’est évidemment une bonne nouvelle.

Mais quand on examine d’un peu plus près ces enquêtes, on est obligé de déchanter.

En effet, ce dont on parle dans ces cas-là, c’est de la maltraitance. Or, qu’est-ce que la maltraitance ? C’est le niveau de châtiments corporels qui n’est plus toléré dans une société donnée. En France, par exemple, la bastonnade est une forme de maltraitance. Mais au Cameroun, c’est un moyen éducatif parfaitement admis et pratiqué par 90% des parents. Il est probable qu’au Cameroun, la maltraitance ne commence que lorsque l’enfant a les membres brisés.

Et donc, que veut-on dire quand on déclare qu’il n’y a pas de transmission générationnelle de la maltraitance ? On déclare seulement que ceux qui ont subi des pratiques qui ne sont plus tolérées dans telle ou telle société ne seront qu’un petit nombre à les pratiquer à leur tour. Non tant parce qu’elles ne sont plus tolérées, mais parce que, entre leur enfance et l’âge adulte, ces personnes auront eu l’occasion de rencontrer un bon nombre de gens qui auront été choqués par leur souffrance, leur auront manifesté de la compassion et fait sentir que ces pratiques étaient vraiment intolérables.

De plus, elles auront été, en tant que victimes de mauvais traitements reconnues, suivies par les services sociaux, peut-être enlevées à leur famille, et ne pourront donc ignorer le caractère inacceptable de ce qu’elles ont subi. Enfin, quand on suit à intervalles plus ou moins réguliers des enfants maltraités et qu’on les interroge sur leur comportement, il est évident qu’on leur donne une occasion supplémentaire de réfléchir sur ce qu’elles ont vécu, ce qui ne peut que les aider à ne pas le reproduire.

En revanche, quand il s’agit de violence éducative ordinaire, c’est-à-dire d’un niveau de coups parfaitement admis dans une société donnée, quand, dans un pays, 90% des parents bastonnent ou fessent les enfants, on constate que 90% des parents de la génération suivante bastonnent ou fessent aussi les enfants. Et cela dure depuis des millénaires! Dans ce cas, en effet, les enfants frappés n’ont aucune occasion de se rendre compte qu’ils ont été maltraités. Tout le monde leur dit, et ils se le disent eux-mêmes, qu’ils l’ont bien mérité parce qu’ils ont été désobéissants, insupportables, etc. et qu’il fallait bien les éduquer.

Il est donc un peu léger d’affirmer que la transmission intergénérationnelle est un mythe.

En réalité, la notion de maltraitance est une notion alibi. La maltraitance, c’est le niveau de violence éducative que l’on montre du doigt. Mais on n’établit aucun rapport avec les niveaux inférieurs de violence éducative qui, eux, paraissent tout à fait bénins et sans aucun danger. Tout se passe comme si la mise en lumière de la maltraitance grave rejetait par contraste dans l’ombre la violence éducative tolérée. Ou comme si la maltraitance dénoncée servait de paratonnerre à la maltraitance tolérée, voire préconisée.

Il est très significatif de voir que ce sont des médecins légistes qui, au XIXe siècle, ont commencé à alerter l’opinion publique sur les sévices et les abus sexuels infligés aux enfants : il s’agissait de cas mortels. Mais nul rapport n’était établi avec la violence éducative tolérée de cette époque qui, aujourd’hui, nous apparaîtrait comme maltraitance caractérisée. La littérature a ensuite commencé à dénoncer la maltraitance imposée aux enfants en général par des parents adoptifs ou des belles mères.

Un pas décisif a été franchi par Jules Vallès qui, dans un texte à caractère autobiographique à peine dissimulé, L’Enfant (1879), montrait pour la première fois une mère, sa propre mère, le battant tous les jours, et son père parfois. Mais Jules Vallès est resté longtemps à peu près inconnu.

Aujourd’hui encore, la plupart des associations de défense des droits de l’enfant s’occupent de la maltraitance mais ne mènent aucune action contre la violence éducative ordinaire.