Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

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Émission « 7 milliards de voisins » (RFI)

Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?

Le 18 novembre 2013 Emmanuelle Bastide recevait Olivier Maurel, président de l’OVEO (Observatoire de la violence éducative ordinaire) et Dominique Marcilhacy, porte-parole de l’Association Union des familles en Europe.

À réécouter sur le site de RFI ou directement ci-dessous :

Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?

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Conférence : L’éducation non violente, une exigence évangélique ?

Texte de la conférence organisée par l’hebdomadaire La Vie le 12 octobre 2013,

dans le cadre des États Généraux du Christianisme

Pour comprendre le titre de mon intervention : « l’éducation non-violente, une exigence évangélique », il faut connaître l’existence d’un fait anthropologique massif presque toujours ignoré  : la violence éducative. Et il faut rapprocher ce fait des paroles de Jésus sur les enfants.

Dans toutes les vieilles sociétés sauf dans certaines sociétés de chasseurs-cueilleurs, des proverbes recommandent aux parents de battre les enfants à coups de bâton. Dans toutes les sociétés où cet usage n’a pas été remis en question, des enquêtes effectuées au siècle dernier ont montré que ces proverbes sont mis en pratique par la quasi-totalité des parents. Autrement dit, depuis que l’humanité a atteint un certain stade dans son évolution, probablement le néolithique, la quasi-totalité des êtres humains a été éduquée par la violence physique, verbale et psychologique, du plus jeune âge à leur majorité, c’est-à-dire pendant toute la durée de formation de leur cerveau. Ce traitement leur a été infligé par leurs modèles de référence, leurs parents, leurs enseignants. Et il est toujours pratiqué dans la majorité des pays du monde. Seule une minorité de pays l’a adouci, et une minorité encore plus réduite l’a interdit tout récemment.

Ce traitement violent a donné à la quasi-totalité des êtres humains un seuil très élevé de tolérance à la violence. Des enfants habitués à être battus violemment et humiliés depuis leur petite enfance dans des sociétés où tous les enfants subissent ce traitement deviennent des adultes pour qui la violence et l’humiliation sont banales. Ils sont donc capables des pires violences, notamment sur les êtres les plus faibles, par simple mimétisme du schéma relationnel qu’ils ont subi : la violence exercée par un être fort, un adulte, sur un être faible, un enfant. Et comme cette violence leur a été présentée comme un bien (« C’est pour ton bien que je te frappe »), leur conscience morale a reçu ce message : Violence = bien. C’est une des multiples formes de perversion provoquées par la violence éducative.

De plus, cette méthode d’éducation contredit radicalement par l’exemple les préceptes les plus fondamentaux de toutes les grandes philosophies et de toutes les grandes morales. La règle d’or d’abord : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Et ensuite le principe presque aussi universel qu’il est lâche de la part d’un être fort de faire violence à un être faible. Quelle efficacité peut avoir l’enseignement de ces principes sur des enfants et des adolescents sur lesquels on a pratiqué mille fois le contraire ?

Mais cet apprentissage de la violence n’est peut-être pas encore le pire. On sait aujourd’hui, par de nombreuses études faites ces dernières décennies sur les enfants et leur développement que les enfants naissent dotés de compétences relationnelles qui les prédisposent à la vie sociale, ce qui n’a rien d’étonnant chez les animaux sociaux que nous sommes. Il s’agit de l’attachement qui porte les nouveau-nés à nouer à tout prix des relations parce que leur organisme sait que l’abandon c’est la mort. Il s’agit de l’imitation par le moyen de laquelle les enfants apprennent la plupart des comportements qui seront nécessaires à leur survie et à leur vie. Il s’agit de l’empathie par laquelle les enfants éprouvent les émotions de autres et qui est la base de la compassion et aussi le plus grand frein à la violence. Il s’agit enfin de l’entraide dont de récentes études ont montré qu’elle se manifeste chez les bébés dès l’âge de dix-huit mois. Toutes ces capacités relationnelles des enfants sont altérées, voire perverties par la violence. Leur capacité d’imitation les pousse à reproduire la violence qu’ils ont subie. Leur capacité d’attachement est pervertie par l’alliance entre l’affection et la violence. L’enfant apprend à ses dépens le proverbe : Qui aime bien châtie bien. Pourquoi ne l’appliquerait-il pas plus tard à son profit sur ses enfants et sa conjointe ? La capacité d’empathie des enfants, elle, peut être annihilée par la nécessité de s’endurcir sous les coups et de ne plus ressentir leurs propres émotions ni celles des autres. Quant à la capacité spontanée d’entraide, elle peut être entravée par des relations faussées par la violence. Ainsi, la méthode d’éducation la plus répandue pervertit tout le potentiel relationnel inné des enfants.
Il n’est donc pas étonnant que l’histoire de l’humanité ait été un tissu de violences, de massacres, de cruautés dans la vie individuelle comme dans la vie collective. Les enfants sont conditionnés à de tels comportements. Les hommes qui accèdent à un quelconque pouvoir l’exercent sans scrupules. Et ceux qui sont soumis à une autorité quelconque se soumettent comme ils avaient pris l’habitude de se soumettre à leurs parents, ce qui explique l’attitude de « servitude volontaire » aux tyrans mise en lumière par Etienne de la Boétie au XVIe siècle.

Mais ce qui est stupéfiant, c’est qu’en général on ignore ce fait anthropologique majeur et ses conséquences dans l’histoire de l’humanité et dans les situations de pouvoir et de soumission. Même La Boétie, ne mentionne pas la violence éducative parmi les causes de cette soumission. Dans mon avant-dernier livre, j’ai montré comment, aujourd’hui encore, sur 100 auteurs d’ouvrages ou d’articles de sciences humaines écrits par des psychologues, psychanalystes, historiens, sociologues, philosophes, etc, sur le thème de la violence humaine en général, 90 d’entre eux, parmi lesquels les plus médiatiques, ceux qui ont le plus d’influence, ne mentionnent même pas l’existence de la violence éducative, ignorent complètement son existence, alors qu’ils traitent de toutes les autres formes de violences, et 6 d’entre eux seulement la prennent en compte et la considèrent comme une des causes de la violence humaine.

Voici donc le contexte humain dans lequel Jésus est né et a vécu : une humanité marquée dans l’enfance par la violence, conditionnée à la violence et inconsciente de ses effets nocifs, notamment sur le plan idéologique et même théologique. Un des proverbes bibliques qui ordonnent aux pères de battre leurs enfants donne la raison de la nécessité de ce traitement : La folie est ancrée au coeur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre (Proverbes, 22, 15). Autrement dit, la nature humaine est mauvaise. Il faut la corriger par la violence pour l’améliorer. Et quand on veut parler de Dieu, comment le représente-t-on ? A l’image d’un père terrestre, c’est-à-dire un père qui aime mais qui châtie. Et c’est même parce qu’il nous châtie qu’on voit que nous ne sommes pas des bâtards, dira l’auteur de la Lettre aux Hébreux (12, 7-8).

C’est donc dans ce contexte comportemental et idéologique que Jésus a prononcé ses stupéfiantes paroles sur les enfants. Des paroles uniques : jamais personne, jamais aucun fondateur de religion, jamais aucun philosophe n’en avait prononcé de semblables. Et des paroles tout simplement impensables dans de telles sociétés parce que des hommes qui, lorsqu’ils étaient enfants, ont été battus par leurs parents dont ils étaient entièrement dépendants et auxquels ils étaient viscéralement attachés, ne peuvent que considérer qu’on les a traités ainsi pour leur bien et qu’ils le méritaient par leur mauvaise nature.

Que dit Jésus ?
- qu’il faut accueillir l’enfant comme Dieu lui-même (Luc, 9, 46-48);
- qu’il ne faut mépriser aucun de ces petits (Matthieu, 18, 6);
- que leurs anges sont constamment en présence du Père (Matthieu, 18, 6) ;
- et surtout que « le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent » (Matthieu, 19, 13-15) ; autrement dit que les enfants non seulement n’ont pas à être corrigés, redressés, mais doivent être considérés par les adultes comme des modèles, s’ils veulent accéder à la vie éternelle.
- mais aussi que si quelqu’un scandalise, c’est-à-dire fait trébucher, pervertit un seul de ses petits, il vaudrait mieux pour lui qu’on le noie avec une meule de moulin autour du cou (Marc, 9, 42) ;

Ces paroles expriment deux convictions majeures :
- confiance dans la nature humaine à sa source ; Jésus porte sur les enfants le même regard qu’il porte sur les lis des champs ;
- conscience de la capacité des adultes à « scandaliser » les enfants, à les pervertir radicalement.

Bien sûr, Jésus ne dit pas explicitement : « Ne battez pas les enfants », mais ses recommandations concernant les enfants sont radicalement incompatibles avec le fait de leur donner des coups de bâton. Jésus n’a pas dit non plus explicitement qu’il ne fallait pas lapider les femmes adultères. Mais la réponse qu’il fait à ceux qui l’interrogent : « Que celui qui est sans péché jette la première pierre » dynamite cet usage. De même les paroles de Jésus sur les enfants auraient dû dynamiter l’usage de les battre.

Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Les sociétés chrétiennes ont été aussi violentes à l’égard des enfants que l’étaient les sociétés anciennes, et cela jusqu’à nos jours dans les pays les plus fortement marqués par l’influence des Eglises. Elles ont pratiqué et recommandé la violence éducative. Et lorsque, à partir de la fin du XVIIIe siècle, certains Etats, sous l’influence de la philosophie des Lumières, ont voulu interdire les punitions corporelles dans les écoles, les Eglises chrétiennes ont freiné des quatre fers et ont continué à pratiquer dans leurs écoles des châtiments d’une incroyable violence et à encourager l’usage des punitions corporelles aux parents. Aujourd’hui encore, la dernière édition du Catéchisme de l’Eglise catholique qui date de 1992 cite dans ses conseils aux parents, le proverbe biblique :  » Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit  » (Si 30, 1-2).

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les sociétés chrétiennes n’aient pas été meilleures et qu’elles aient été parfois pires que celles auxquelles elles succédaient. Quand on enseigne le catéchisme aux enfants en les battant comme plâtre et en les faisant vivre dans la terreur et la soumission, il ne faut pas s’étonner si ce qu’ils en retiennent c’est davantage l’habitude de donner des coups, d’opprimer les autres ou de se soumettre à la violence et donc de la cautionner, que de pratiquer la bienveillance et la tolérance à l’égard d’autrui et de ne pas supporter l’injustice.

Mais pourquoi ces paroles n’ont-elles pas été comprises comme elles l’auraient dû ? Pour une raison très simple : c’est parce que les disciples de Jésus et les théologiens qui leur ont succédé avaient été battus eux-mêmes par leurs parents et que leur attachement viscéral à leurs parents auquel s’ajoutait le devoir religieux de les honorer leur rendait impensable toute remise en question des corrections qu’on leur avait infligées pour leur bien. Ces paroles étaient tellement inouïes qu’elles ont été inaudibles. Un bon nombre de pères de l’Eglise se sont demandé ce que Jésus avait voulu dire lorsqu’il a parlé des enfants. Ils en ont en général retenu l’idée de l’humilité et de l’obéissance. Mais jamais l’idée d’un changement de conduite nécessaire à l’égard des enfants.

Il ne m’est pas possible, faute de temps de retracer l’histoire de l’évolution des esprits à l’égard de la violence éducative depuis les premiers siècles de l’histoire de l’Eglise jusqu’à nos jours. Je n’en retiendrai donc que trois étapes décisives.

La première est catastrophique, c’est l’étape de saint Augustin. Ses Confessions nous apprennent que saint Augustin a été battu comme plâtre par ses maîtres. Il a écrit plus tard dans La Cité de Dieu : « Qui n’aurait horreur de recommencer son enfance et n’aimerait mieux mourir ? » Quand il s’en plaignait à ses parents, ceux-ci se moquaient de lui. Avec ce passé et le souvenir qu’il en avait, il aurait pu être celui qui aurait enfin dénoncé cette violence faite aux enfants. Malheureusement, il a été celui qui l’a encore aggravée et justifiée. En effet, après avoir dit ce qu’il a souffert, il nous dit que malgré tout, les violences qu’il a subies lui ont permis d’apprendre à lire et donc à lire les Evangiles et à connaître le Christ. Ce mal, les punitions qu’il a reçues, étaient en réalité un bien. Et quand il s’interroge sur le sens de la plus forte des paroles de Jésus : « Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent », il n’hésite pas à prendre le contrepied de ce qu’a dit Jésus. Il s’exclame : « C’est cela l’innocence enfantine ? Oh ! non, Seigneur mon Dieu, de grâce, non !Un symbole d’humilité en la taille des enfants, tel fut donc, ô notre Roi, ce que tu as garanti, quand tu as dit : « A leurs pareils le Royaume des Cieux ! » Et en parlant d’un nourrisson : « Si petit et déjà si grand pécheur ! ». Mais, vous le savez, il ne s’est pas arrêté là, et c’est lui qui a imposé dans l’Eglise le dogme du péché originel qui fait des enfants des coupables avant même leur naissance, c’est-à-dire qui donne une raison de plus de se méfier de leur nature et de les battre. La doctrine du péché originel a verrouillé les esprits et interdit pendant plus de dix siècles, jusqu’à la Renaissance, la remise en question de la violence éducative sur les enfants.
La grande étape dans la prise de conscience de la nocivité des punitions corporelles, c’est la Renaissance et l’apparition de trois grands esprits : Erasme, Rabelais et Montaigne. Erasme est sans doute celui qui est allé le plus loin dans la dénonciation des châtiments corporels. Mais ce qui est significatif c’est que ces trois auteurs ont été mis à l’Index par l’Eglise catholique et vilipendés par les réformateurs, Luther et Calvin.

L’étape suivante, c’est Maria Montessori qui, en plus d’être une grande pédagogue qui a renouvelé profondément les méthodes d’éducation, a été la première à comprendre le sens profond des paroles de Jésus sur les enfants au point de présenter l’enfant comme un Messie.

Je crois qu’il faut que nous comprenions que les paroles de Jésus sur les enfants sont vraiment la pierre angulaire de tout son enseignement puisqu’elles concernent la base même de la formation de l’humanité, les années décisives où toutes capacités innées des enfants peuvent se déployer pour en faire des êtres humains vraiment humains au sens le plus positif du terme. Je crois que la notion de péché originel  est littéralement toxique. Il n’en faut retenir que l’idée de vulnérabilité extrême des enfants, qui n’a absolument rien à voir avec celle de péché, et la remplacer par la notion de grâce originelle.

L’histoire de la chrétienté aurait certainement été très différente si l’on avait pris au sérieux dans toutes leurs implications les paroles de Jésus sur les enfants et si l’Eglise avait été faite d’hommes et de femmes dont l’humanité avait été respectée. Elle aurait été beaucoup moins complice des pouvoirs violents et oppressifs. Elle aurait été beaucoup plus proche des plus pauvres et elle ne leur aurait pas inculqué une idéologie de soumission à la violence et aux pouvoirs tyranniques. En respectant les enfants, elle aurait favorisé le développement d’une humanité plus intelligente, plus imaginative et plus créatrice, mais qui aurait mis au premier plan, non pas les dogmes et les rites mais la bienveillance et le respect d’autrui qui sont directement connectés aux bases neurobiologiques de notre affectivité.

Enfin, remettre en question la part de violence dans l’éducation que nous avons presque tous subie, c’est une occasion de rejoindre en nous l’enfant totalement innocent que nous avons tous été, de retrouver l’amour de nous mêmes, ce même amour qui loin d’être égoïsme est la mesure même, selon l’Évangile, de l’amour des autres et de l’amour de Dieu, ce que Jésus appelle « la Loi et les Prophètes » :  Aimer les autres et aimer Dieu comme soi-même.

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Interview : « La violence éducative : Olivier Maurel » (revue Kaizen)

Interview publiée dans la revue Kaizen le 25 janvier 2013

[Note de l'admin : Je vous recommande en préambule l'illustration présente sur le site de Kaizen]

Kaizen : Comment est né votre intérêt pour la question de la violence éducative ?

Olivier Maurel : Cela remonte à mon enfance pendant la guerre, à ces bombardements sous lesquels j’ai dû chercher un abri et à la déportation d’une de mes sœurs. Toute ma vie, je me suis demandé pourquoi les hommes en arrivaient à adopter des comportements si violents et si cruels. J’avais près de cinquante ans quand j’ai trouvé la réponse la plus convaincante à mes questions, dans le livre C’est pour ton bien d’Alice Miller. Depuis lors, je n’ai pas cessé de travailler sur ce sujet. Et je me suis aperçu que la violence éducative avait des conséquences dans une multitude de domaines où on ne s’attendrait pas à la voir intervenir, comme la recherche scientifique ou la religion.

Qu’appelez-vous « violence éducative ordinaire » ? Quelle différence faites-vous avec la maltraitance ?

La « violence éducative ordinaire » désigne tous les comportements qui se veulent éducatifs, mais qui sont des formes de violence physique, verbale ou psychologique tolérées ou préconisées dans une société donnée. En France, la tape, la gifle et la fessée en sont des exemples. La maltraitance, elle, inclut des mauvais traitements sans visée éducative comme la négligence ou les abus sexuels. Dans le domaine éducatif, elle fait référence à des comportements qui, à un moment donné de l’histoire d’une société, ne sont plus considérés comme tolérables. En France, aujourd’hui, les coups de ceinture et de bâton ne sont plus tolérés, alors qu’ils l’étaient il y a un siècle ou deux.

Peut-on évaluer la proportion d’enfants victimes de ce type de violence en France et à travers le monde ?

Les résultats des enquêtes varient beaucoup selon la manière dont les questions sont posées. Pour la France, ils vont de 70 à 85%. Dans les pays du monde où les punitions corporelles n’ont pas été contestées, 90% des enfants, ou même davantage, sont battus, et souvent très violemment, dans les familles et dans les écoles. C’est en Europe qu’on trouve le plus grand nombre de pays ayant interdit toute forme de punition corporelle à l’école et à la maison, mais cette tendance commence à se répandre en Amérique du Sud et en Océanie.

Quelles sont les conséquences de la violence éducative ?

Elles sont multiples. La violence est une atteinte à l’intégrité des enfants et au capital de sociabilité innée avec lequel, comme tous les animaux sociaux, ils viennent au monde. C’est un coup porté à leur santé physique (l’Organisation Mondiale de la Santé recense de nombreuses maladies somatiques et psychosomatiques causées par des violences subies dans l’enfance), ainsi qu’à leur santé mentale et notamment à leur estime de soi, à leur confiance en eux. Cela nuit également à leurs capacités relationnelles, qui se modèlent sur les premières relations vécues dans l’enfance. La tendance à la violence ou à la soumission à la violence est une des conséquences les plus courantes de la violence éducative.

Que répondez-vous à une personne qui avance qu’ « une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne », qu’elle a elle-même reçu des fessées et qu’elle n’est pas traumatisée pour autant ?

Ces deux types de réflexions résultent d’un des effets les plus pervers des punitions corporelles. Le jeune enfant qui subit des coups ou des violences verbales de ses parents auxquels il est viscéralement attaché est convaincu par ces coups qu’il est mauvais et que ses parents sont obligés de le frapper pour le corriger. Il s’adapte donc à ce traitement et le considère comme un signe d’amour parental. Il en arrive à penser non seulement que ce traitement ne lui fait aucun mal, mais même que tout ce qu’il y a de bon en lui en découle. Les enfants qui ont été frappés à coups de bâton dans les sociétés où c’est l’usage ne réagissent pas autrement : « Si mes parents ne m’avaient pas donné de coups de bâton, je n’aurais pas fait d’études, je me serais droguée », écrivait une étudiante sur un site africain.

Mais ces deux affirmations sont des contrevérités. « Une bonne fessée », et souvent une seule fessée, peut rendre un enfant masochiste sexuel à vie. On le sait depuis l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau publié au XVIIIe siècle, Les Confessions, et plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres me l’ont confirmé. La proximité des terminaisons nerveuses des organes sexuels et des fesses fait que les coups peuvent provoquer une excitation sexuelle suivie d’une fixation à vie entre les coups et l’orgasme : sans coups, plus d’orgasme.

D’autre part, ceux qui croient ne pas avoir été traumatisés par les fessées qu’ils ont reçues ne s’aperçoivent pas qu’en défendant les punitions corporelles, ils contredisent à la fois le principe le plus universel de la morale appelé « règle d’or » à cause de son universalité : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse », et un autre principe que tout parent essaie d’inculquer à ses enfants : « Il est lâche de faire violence à un être plus faible que soi ». Ne pas voir cette évidence est à mon avis le signe qu’on a été plus traumatisé qu’on ne le croit.

Le philosophe Alain écrit : « Les jeux des enfants, s’ils sont sans règle, tournent à la bataille ; et sans autre cause ici que cette force désordonnée qui se mord elle-même ». La violence physique ne fait-elle pas partie de l’être humain ? Existe-t-il des peuples qui éduquent « naturellement » sans être violents à l’endroit des enfants ?

La connaissance des enfants a beaucoup progressé depuis ces propos d’Alain au début du XXe siècle. On sait aujourd’hui que l’agressivité qui se manifeste chez certains enfants (et non pas chez tous) entre 18 mois et 4 ans, s’atténue et disparaît à partir du moment où l’enfant est capable d’exprimer par des mots et non plus seulement par des gestes les fortes émotions qu’il éprouve. On sait aussi que les enfants qui ont été élevés avec empathie ne manifestent même pas cette agressivité infantile. Alain écrivait à une époque où presque tous les enfants étaient au moins giflés et fessés, et souvent battus beaucoup plus violemment. La violence était pour eux un comportement normal dont les adultes leur donnaient l’exemple. Mais aujourd’hui les études sur la psychologie infantile montrent que s’ils sont élevés avec empathie, non seulement ils ne sont pas violents, mais ils sont naturellement portés à l’entraide.

L’étude des primates a aussi montré que les grands singes les plus proches de nous, notamment les bonobos, sont très peu violents et manifestent spontanément des comportements d’entraide, de réconciliation, de consolation.

Il existe des peuples plus proches de la nature que nous, qui éduquent leurs enfants sans violence. Ce sont des peuples de chasseurs-cueilleurs vivant encore dans des conditions assez proches de celles de nos ancêtres de la préhistoire, avant la révolution néolithique. Il est donc possible que pendant plus des 9/10e de son existence, soit un peu moins de 200 000 ans, l’humanité ait traité ses enfants avec douceur, jusqu’aux débuts de la sédentarisation il y a environ 12 000 ans. Mais lors du passage à l’agriculture et à l’élevage, le mode de vie des hommes a beaucoup changé et l’apparition de l’écriture, 3000 ans avant Jésus-Christ, a mis à jour de nombreux proverbes recommandant de frapper les enfants.

N’est-il pas aussi grave d’exercer une violence psychologique qu’une violence physique sur un enfant ?

La violence psychologique et la violence verbale sont évidemment très graves. Dire par exemple à un enfant : « Tu es nul » ou « Tu feras le trottoir » est littéralement meurtrier. Et un bon nombre de lecteurs de mes livres m’ont dit : « Les coups, au bout d’un moment, je ne les sentais plus, mais les insultes de ma mère ou de mon père, elles sont toujours présentes ».

Cependant, la violence physique présente des dangers particuliers. Dire qu’on ne sentait plus les coups peut être le signe d’un endurcissement, d’un blindage de la sensibilité qui empêche le sujet de ressentir ses propres émotions. Il risque alors de ne plus être sensible aux émotions et à la souffrance des autres et de leur infliger les mêmes cruautés sans état d’âme. D’autre part le corps garde en mémoire les coups reçus, et ceux qu’on croit avoir oubliés peuvent ressortir sous la forme de somatisations dont les médecins et les kinésithérapeutes ne savent pas toujours reconnaître l’origine. Enfin, il faut bien voir que la violence physique est la seule à avoir été partout recommandée sous la forme de proverbes. On n’a jamais recommandé de la même manière d’insulter les enfants.

Quel lien établissez-vous entre la violence éducative et l’état de la société (écologique et social) ?

Il existe un parallélisme très clair entre le niveau de violence éducative pratiqué dans les diverses sociétés et la violence et l’oppression qu’elles sont capables d’exercer ou de supporter. La violence éducative infligée aux enfants a pour effet de leur faire considérer ce comportement comme normal ou/et de leur apprendre à s’y soumettre. Alice Miller a montré que tous les dictateurs du XXe siècle, sans exception, ont été des enfants dévastés par la violence de leurs éducateurs. Et ils ont pris le pouvoir sur des peuples qui avaient été massivement soumis à un haut niveau de violence éducative. L’éducation dans l’Allemagne prénazie, par exemple, était terriblement violente et oppressive. Au contraire, les sociétés où la violence éducative a beaucoup baissé se caractérisent par un niveau très faible de violence politique et sociale et un niveau plus élevé de justice et d’égalité.

J’ai pris conscience du rapport entre la violence éducative et l’état écologique de la planète lorsque j’ai reçu des lettres de lecteurs et lectrices dévoilant le mal-être où ils se trouvaient à cause de ce qu’ils avaient subi étant enfants. La violence et les humiliations reçues leur avaient ôté la capacité d’être simplement heureux d’exister, avec leur corps, leurs sensations, leurs émotions et leurs relations avec les autres. Quand on a perdu ce simple bonheur d’être, on tend à se rabattre sur des ersatz de plaisir : le plaisir d’avoir, le plaisir du pouvoir sur les autres et le plaisir de paraître. Or, la recherche de l’avoir, du pouvoir et de l’apparence est le carburant de la machine financière, économique et technique qui actuellement détruit la planète à grande vitesse.

Pourquoi légiférer sur la question de la fessée et comment s’assurer du respect d’une loi ? Comment a-t-on statué dans les autres pays ? Cela nécessite soit d’avoir accès à l’intérieur des foyers, soit de faire confiance aux enfants…

Il y a quatre siècles que les punitions corporelles ont commencé à être remises en question, mais cette évolution a été d’une lenteur extrême car elle se heurte en nous à de très fortes résistances, notamment à l’attachement à nos parents que nous avons tous éprouvé. Or, l’impact de la violence éducative sur la violence humaine et sur les comportements qui mettent notre planète en danger, ne nous permet pas d’attendre encore deux ou trois siècles pour voir disparaître ce fléau. Des lois claires d’interdiction accélèrent la prise de conscience des dangers de la violence éducative.

Vous venez de publier La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines ? (Editions L’Instant présent, août 2012). Quel nouvel éclairage souhaitez-vous apporter sur la question à travers ce livre ?

Au cours de mes recherches, j’ai été surpris de voir que les auteurs qui traitent de la violence humaine oublient presque toujours de parler de la forme de violence la plus fréquente, la plus ordinaire, que sont les punitions corporelles infligées par les parents et les enseignants. Comment peuvent-ils l’oublier alors qu’elle est universelle, souvent d’une grande intensité et que c’est la plus susceptible d’influer sur le niveau de violence des adultes ? J’ai donc étudié systématiquement tous les ouvrages parus autour de 2008 et dont les titres annonçaient qu’ils traitaient de la violence humaine. Des livres écrits par des psychanalystes, des psychologues, des sociologues, des historiens ou des philosophes. Or, sur 99 auteurs, 6 seulement ont tenu compte de la violence éducative. Pire encore, les autres attribuent la responsabilité de la violence à l’agressivité et aux supposées « pulsions » des enfants. Je montre ensuite que c’est la violence éducative elle-même qui nous pousse à ne pas en prendre conscience et à accuser les enfants de la violence des adultes. Autrement dit, si invraisemblable que cela paraisse, la violence éducative qui, comme chacun sait, « n’a jamais fait de mal à personne », perturbe en fait jusqu’au fonctionnement du cerveau des chercheurs.

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Interview : Noeto.Fr

Interview publiée sur le site Noeto.Fr en Octobre 2012

Professeur de lettre retraité, Olivier Maurel est père de cinq enfants et grand-père de huit petits-enfants. De sa jeunesse marquée par les conflits militaires, Olivier Maurel a gardé le refus de la violence et son âme de militant pacifiste, son expérience de père et d’enseignant, la rencontre avec les écrits d’Alice Miller l’ont convaincu que la violence des hommes tire son origine de celle que les enfants subissent sous couvert d’éducation. Dès lors, à travers des livres (La Fessée, questions sur la violence éducative, (édition La Plage, 2001), Oui, la nature humaine est est bonne ! Comment la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires, (édition Robert Laffont 2009), avec le psychanalyste Michel Pouquet, Oedipe et Laïos : dialogue sur l’origine de la violence (L’Harmattan, 2003) et aussi l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, l’OVEO dont il est le cofondateur. Olivier Maurel poursuit ses recherches sur toutes les formes de violence utilisées pour élever et faire obéir les enfants, et sur les moyens d’aider les parents à recourir à des méthodes d’éducation respectueuses.

Nicolas Allwright : La violence peut-elle être éducative ? Pour quoi avoir choisi d’associer ces deux mots qui forment ensemble un contre sens ?

Olivier Maurel : Il n’existe pas de mot ou d’expression brève qui désigne à la fois la violence physique, la violence verbale et la violence psychologique infligées aux enfants. D’autre part, ce que j’ai voulu étudier, ce n’est pas ce qu’on appelle en général la maltraitance, les violences infligées par cruauté, ce sont les violences qui ont une visée éducative et qui sont infligées aux enfants « pour leur bien ». L’expression « violence éducative » est donc un raccourci discutable mais je n’ai rien trouvé de mieux.

N.A: Pouvez-vous nous définir ce que vous entendez par violence ? Où commence-t-elle ? Existe-t-il une violence que l’on pourrait dire naturelle?

Lire la suite et télécharger le document .pdf sur le site Noeto.fr

[Une copie de sauvegarde du document est disponible ici]

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Interview : L’Est Républicain

Interview publiée le 29 avril 2012 dans l’Est Républicain

Au coin, la fessée !

Olivier Maurel, à l’origine de l’observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), décrypte ses effets à l’occasion de la journée de la non-violence éducative.

Qu’est ce qui vous a conduit à vous intéresser à la violence éducative?

Mon enfance pendant la guerre m’a amené à m’interroger sur la violence tout au long de ma vie. C’est seulement à l’âge de près de cinquante ans que j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé une réponse dans le livre d’Alice Miller, C’est pour ton bien (Aubier) où elle explique que la majorité des violences commises, qu’elles soient individuelles ou collectives ont pour origine des violences subies, dont notamment la plus universelle des violences, celle qu’on inflige aux enfants pour les éduquer.

D’où vient la fessée et plus largement la violence éducative dans nos sociétés?

La fessée n’est qu’une des multiples formes de punitions corporelles. Elle était déjà pratiquée chez les Romains, à coups de bâton ou de fouet. L’usage de frapper les enfants est au moins aussi ancien que l’écriture (mais il ne semble pas avoir été pratiqué par les chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire peut-être pendant les 9/10èmes de l’existence de l’humanité). Des proverbes sumériens et égyptiens conseillent déjà de frapper les enfants.. Depuis, il n’y a malheureusement pas eu de rupture dans cette tradition qui se transmet de génération en génération. Toutefois, dans les pays européens, les punitions corporelles se sont adoucies, et elles ont même été interdites dans trente-deux pays, dont une vingtaine européens, depuis 1979, date où la Suède a été la première à voter une interdiction.

« Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence »

Pour vous, où commence la violence éducative, par quels gestes, paroles ou actes?

La violence éducative commence lorsque, dans une visée éducative, on ne répond pas ou on répond de façon violente aux besoins et aux comportements des enfants. Les enfants ont un besoin vital d’être traités avec bienveillance. Les frapper, c’est bafouer ce besoin. Ne pas répondre aux pleurs d’un bébé c’est déjà une forme de violence, car les pleurs sont les seuls moyens dont dispose le bébé pour faire connaître ses besoins.

Quelle résonance pour l’enfant et l’adulte que la violence éducative?

Si l’on entend par résonance les effets à plus ou moins long terme de la violence éducative, ils sont extrêmement nombreux. Disons, en gros qu’ils peuvent être d’abord physiques. Sous l’effet du stress produit par les coups ou les menaces de coups, les hormones du stress qui ne peuvent pas aboutir à leur but normal (fuir ou se défendre) chez un enfant frappé par ses parents, deviennent toxiques et attaquent le système digestif et certaines parties du cerveau. D’autre part, le système immunitaire est lui aussi perturbé, toujours par l’effet du stress. Les défenses de l’organisme sont donc affaiblies et c’est la porte ouverte à quantité de maladies. Les effets sur la santé mentale sont aussi très importants : humiliation, manque de confiance en soi, perte de l’estime de soi, risques de dépression, propension à l’alcoolisme, à la toxicomanie, tendances suicidaires… Risques de reproduire la violence au moins sur ses enfants, violence conjugale, soumission à la violence, violence sur autrui en général.

Pourquoi la violence s’est-elle inscrite et normalisée dans nos modes d’éducation?

Essentiellement, par répétition de ce que chaque génération a subi

« Aujourd’hui, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au châtiment biblique »

Quels exemples donne la Bible en la matière et quelles crispations cela génère-t-il aujourd’hui avec les gouvernements qui essaient de sortir de ce schéma ?

Une dizaine de proverbes bibliques recommandent de frapper les enfants. Un de ces proverbes dit : « La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre (Proverbe, 22, 15). On y voit à la fois une accusation contre l’enfant, censé être mauvais de naissance, et la violence présentée comme un remède. Cette tradition a été reprise dans le christianisme sous la forme du péché originel, avec le même remède pratiqué tout au long de l’histoire de l’Eglise et des Eglises. Aujourd’hui, dans plusieurs Etats, ce sont souvent les Eglises qui s’opposent au vote d’une loi d’interdiction, par attachement au « châtiment biblique » !

Qui frappe ses enfants aujourd’hui en France ?

Les pourcentages de parents qui recourent aux punitions corporelles varient selon la façon dont les questions sont posées. Mais en général, ce sont plus de 80% des parents qui frappent leurs enfants. Mais ces punitions sont d’une violence et d’une fréquence très variables. On frappe les enfants dans tous les milieux.

Pourquoi frappe-t-on ses enfants une fois parent?  A quel processus psychologique cela répond-il?

Dans les sociétés qui n’ont pas remis en question la violence éducative, on frappe avec la conviction de bien faire, de bien élever ses enfants. Dans un pays comme la France où, depuis près de deux siècles l’usage de frapper les enfants est remis en question par un bon nombre d’écrivains, de médecins, de psychologues, on frappe souvent parce qu’on a été soi-même frappé et qu’on ne sait pas faire autrement et on se le reproche.

« Le droit de correction n’existe pas vraiment dans la loi »

A votre avis, faut-il interdire, comme en Suède, tout châtiment corporel sur les enfants pour faire avancer les choses?

Oui, il faut interdire les punitions corporelles car sinon, on risque d’en avoir encore pour un bon siècle. Or, avec les crises qui s’annoncent, on a besoin d’adultes qui aient gardé toute leur intégrité et tout leur potentiel inné de sociabilité que la violence éducative altère gravement.

Qu’en est-il du droit de correction que l’on entend encore aujourd’hui dans la plaidoirie de certains avocats, voire dans le discours de certains juges?

Ce « droit de correction » n’existe pas vraiment dans la loi. Il est même en contradiction radicale avec l’article 222-13 du Code pénal. Alors que d’après cet article, le fait que les coups soient donnés par un parent ou une personne ayant autorité est une circonstance aggravante, il devient une circonstance atténuante dans beaucoup de cas.

Enfin, où les parents qui désirent faire autrement peuvent-ils trouver de l’aide?

Quand on a lu les livres d’Alice Miller, on peut déjà trouver en soi-même pas mal de ressources et une forte motivation pour ne plus frapper ses enfants. Mais on peut effectivement trouver de l’aide dans des associations comme l’Ecole des parents ou dans des listes de discussion sur internet, comme Parents-conscients (Yahoo). Les livres de Thomas Gordon, Isabelle Filliozat et un ouvrage tout récemment traduit en français du thérapeute danois Jesper Juul : Regarde… ton enfant est compétent (Chronique sociale, avril 2012), peuvent aussi beaucoup aider les parents.

Propos recueillis par Walérian KOSCINSKI

Bio express :

1937 : Naissance à Toulon
Années 80 le professeur de lettres s’intéresse à la violence éducative et lit Alice Miller (C’est pour ton bien)
1999 elle lui demande d’écrire un livre sur la fessée et le préface
2003  Œdipe et Laïos, dialogue sur l’origine de la violence (avec le psychanaliste Michel Pouquet chez L’Harmattan)
2005 création de l’observatoire de la violence éducative ordinaire
2009 Oui, la nature humaine est bonne ! (Robert Laffont)
A paraître Un trou noir dans les sciences humaines : la violence éducative (L’Instant présent)

Les origines de la journée contre la violence éducative

A l’origine de cette journée en France il y a La Maison de L’enfant, association de soutien à la parentalité créée en 1998. L’idée de relayer cette manifestation Américaine est lancée la première fois en Avril 2004 sur la liste de discussion « Parents conscients » groupe très actif d’individus qui cherchent à accompagner leurs enfants dans la non violence.

La commission européenne a fait une campagne “levez la main contre la fessée

Site d’Alice Miller édito de 2009 qui annonce le livre d’Oliver Maurel “ Oui la nature humaine est bonne

Clip de la fondation de France campagne 2011

« Sans fessée, comment faire ? »

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Lettre à Jean-Claude Guillebaud

Cher Monsieur,

Je lis avec retard votre Bloc-notes du 29 juillet 2010 dans La Vie.

Vous y soutenez une thèse qui me surprend une fois de plus (car je vous ai déjà écrit à ce sujet).

Vous écrivez que “la violence est une énigme anthropologique”. Je suppose que l’adjectif “anthropologique” renvoie au fait qu’elle atteint dans l’espèce humaine un degré que n’atteint aucune espèce animale. Mais dire qu’elle est “une énigme”, c’est ne pas tenir compte de la manière dont, depuis des millénaires, sont “élevés” (si l’on peut dire !) les enfants.

Depuis des millénaires, en effet, on considère comme normal de les battre pour les faire obéir, et souvent de les traiter avec mépris. Ceux que vous appelez des “voyous” qui ont tiré à balles réelles sur des policiers sont très vraisemblablement des jeunes issus de familles elles-mêmes originaires de régions du monde où la violence éducative est encore au niveau qu’elle atteignait couramment chez nous jusqu’au XIXe siècle environ : bastonnades, coups de ceinture et autres châtiments à la fois cruels et humiliants. Et ces violences ont été subies par ces enfants durant toute les années où leur cerveau se formait. Leur effet est ravageur : perversion de l’attachement, perte de la capacité d’empathie, mimétisme de la violence subie, volonté de dominer ou tendance à se soumettre à des leaders violents.

Il n’y a là rien d’énigmatique. Les études les plus récentes sur les comportements violents des jeunes montrent que les éléments les plus déterminants de ces comportements ne sont pas des causes socio-économiques, mais bien des facteurs psycho-affectifs, dont les relations parents-enfants.

Et cette violence infligée aux enfants, souvent dès les premiers mois de leur vie, non pas par des parents maltraitants mais par des parents qui croient bien faire parce qu’ils ont été élevés de la même manière par leurs propres parents, ne peut pas être assimilée aux autres violences. Car c’est elle qui détruit dès le départ dans le corps et dans le psychisme des enfants les capacités relationnelles innées avec lesquelles ils viennent au monde comme tous les animaux sociaux, capacités qui, respectées, sont la source des plus grandes qualités humaines.

Connaissez-vous les résultats de l’enquête réalisée par deux Américains, Samuel et Pearl Oliner, sur l’éducation reçue par les “Justes” ? Ils ont pu en interroger plus de 400. Or, les réponses les plus fréquentes qu’ils ont données ont été les suivantes :

  • ils ont eu des parents affectueux
  • des parents qui leur ont appris l’altruisme
  • des parents qui leur ont fait confiance
  • une éducation non autoritaire et non répressive.

Les deux premiers points n’ont rien de très exceptionnel et ne peuvent pas suffire à expliquer le comportement d’altruisme des Justes. Mais les deux suivants reflètent une attitude éducative beaucoup moins fréquente, sinon rarissime, surtout à l’époque où les Justes ont vécu leur enfance et où l’éducation était le plus souvent brutale.

Cet exemple montre bien que des enfants dont l’intégrité a été respectée par des parents qui répondaient à leurs besoins d’affection et de modèles structurants peuvent développer les plus grandes qualités humaines et les pratiquer de façon naturelle et nullement, c’est encore ce que montrait l’enquête, par esprit de sacrifice. Il montre aussi que, n’en déplaise à Thérèse de Lisieux que vous citez : “Nous ne sommes pas tous capables de tout”. Quand on a eu une enfance respectée, on est très peu porté à faire violence aux autres. Inversement, la violence subie fait que la violence agie ou la soumission à la violence va de soi.

J’ai aussi été très surpris de vous voir affirmer que “Nos sociétés libérales et ouvertes ont plus de mal que les autres à contenir la violence”. Comment pouvez-vous affirmer cela alors que vous savez certainement, tous les historiens et sociologues en témoignent, que le niveau de la violence dans notre société est très inférieur à celui qu’il était dans les siècles antérieurs ou dans les sociétés autoritaires ? Et pour ma part, je suis convaincu, comme Emmanuel Todd l’avait d’ailleurs montré dès 1979 dans son livre Le Fou et le prolétaire, que la violence des sociétés était proportionnelle à la violence des modes d’éducation qui y sont pratiqués. Dans la France actuelle, le niveau moyen de la violence éducative a considérablement baissé même si le pourcentage de parents qui utilisent claques et fessées est encore important. Mais dans les sociétés où la violence éducative est restée au même niveau qu’elle atteignait chez nous aux XVIIIe et XIXe siècles, la violence apparaît à un fort pourcentage d’adultes comme un moyen normal de résoudre les conflits et la moindre émeute peut tourner au massacre comme c’était le cas chez nous au XIXe siècle.

Je me permets de vous recommander la lecture de mon livre « Oui, la nature humaine est bonne ! Comment la violence éducative la pervertit depuis des millénaires” (Laffont, 2009). J’y ai montré comment la violence éducative a agi profondément non seulement sur les corps et les esprits mais aussi sur la culture, les religions et surtout le manière dont nous concevons la nature humaine.

Bien cordialement.

Olivier Maurel, le 29 octobre 2011

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Réponse à Boris Cyrulnik

Un des commentaires critiques les plus étonnants concernant la campagne de la Fondation pour l’enfance est celui de Boris Cyrulnik.

Dans une interview donnée à l’AFP le 27 avril 2011, donc le jour même de la présentation de la campagne à la presse, Boris Cyrulnik juge de façon catégorique cette campagne qu’il considère de très haut comme « naïvement bien intentionnée » et « maladroite ».

D’après lui, elle va « culpabiliser les parents ». Ce n’est vraiment pas l’impression qu’on a quand on lit sur internet les commentaires sur la campagne dans les multiples forums où on en discute. On y voit au contraire partout s’afficher la bonne conscience des partisans de la gifle et de la fessée qui trouvent qu’on n’en donne pas assez. Et d’autre part, il me semble normal de se sentir coupable si on s’est laissé aller à frapper une personne humaine et, à plus forte raison, un enfant. C’est tout simplement le signe qu’on a une conscience.

D’ailleurs, au moment où je rédige cette réponse, une mère m’écrit :

« Personnellement c’est justement grâce à cette culpabilité dont tout le monde semble avoir si peur que j’ai commencé à comprendre que quelque chose n’était pas « normal » dans mon comportement et c’est ce qui m’a aussi donné l’envie d’aller chercher des réponses à mes questions ».

Mais c’est la suite des propos de Cyrulnik qui est la plus étonnante : « Il faut rechercher les causes de la fessée. C’est toujours soit un désarroi parental, soit un trouble du développement de l’enfant. » Il faut vraiment ne s’être jamais informé sérieusement sur la violence éducative pour tenir de tels propos.

Les deux raisons principales pour lesquelles depuis des millénaires on frappe les enfants n’ont rien à voir avec ce qu’affirme Boris Cyrulnik.

On frappe les enfants d’abord parce qu’on croit qu’il faut les frapper, comme en témoignent une multitude de proverbes dans tous les pays, dont le plus connu est « Qui aime bien châtie bien ». Et pour voir que cette cause est toujours active, il suffit de lire les commentaires des internautes sur la campagne, d’après lesquels toutes les incivilités attribuées à la jeunesse actuelle viendraient de ce qu’on ne frappe plus assez les enfants.

La seconde raison pour laquelle on frappe les enfants est précisément celle que dénonce la campagne : la répétition de génération en génération. Quand on a été frappé, la première chose que notre corps apprend, c’est à frapper, par simple mimétisme. On peut ensuite se raisonner et s’interdire de frapper, mais le geste a été enregistré très tôt par nos neurones miroirs et reste dans notre corps tout prêt à être reproduit. C’est ce que nous ressentons quand nous disons que « la main nous démange ».

Ce qu’il y a de nouveau actuellement, c’est que depuis quelques dizaines d’années, dans les pays européens, le niveau de violence des coups donnés aux enfants a baissé. Alors que la violence éducative ordinaire incluait jusqu’au XIXe siècle, en plus des gifles et des fessées, les coups de bâton et de ceinture et d’autres punitions très violentes, on s’est mis heureusement, grâce à l’influence de quelques pionniers de l’éducation, à considérer comme maltraitance l’emploi du bâton et de la ceinture, tout en continuant à trouver le martinet « normal » jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, en général, ne sont plus considérés comme « éducatives » que les gifles et les fessées.

Un bon nombre de parents ont commencé à prendre conscience aussi qu’il n’était pas plus normal de gifler et fesser un enfant que d’infliger le même traitement à un adulte. Mais comme, à cause du mimétisme de ce qu’on a subi, il est difficile de ne pas le reproduire, un bon nombre de parents sont effectivement en désarroi parce que le réflexe de fesser ou gifler leur revient contre leur volonté. Autrement dit, contrairement à ce que dit Cyrulnik, ce n’est pas le désarroi qui produit la fessée, c’est bien plutôt la fessée qui produit le désarroi chez les parents conscients de sa nocivité.

Quant à l’explication de la fessée par les « troubles de développement
de l’enfant », quand on sait que 85% des enfants français subissent
gifles et fessées, on se demande bien à quelle fraction de ce
pourcentage Boris Cyrulnik attribue des « troubles du développement »
qui provoqueraient les fessées parentales.

Cyrulnik poursuit : « Donc je pense qu’il faut entourer les parents au
lieu de diminuer leur autorité en signifiant aux enfants Vos parents
n’ont pas le droit de vous toucher« .

Ce n’est certainement pas nous qui contesterons la nécessité d’ »entourer », de soutenir les parents. Mais ce n’est pas en continuant à considérer comme éducatives les gifles et fessées qu’on les aide à maintenir leur « autorité ». Si ce mot a un sens, il désigne l’influence positive que les parents peuvent avoir sur les enfants pour les aider à devenir eux-mêmes et à déployer tout leur potentiel d’humanité. Or, les fessées et les gifles qui enseignent la violence du fort au faible ne contribuent en rien à cette forme d’autorité.

« Il faut bien sûr éviter les violences éducatives, mais ce n’est pas
en faisant une loi qu’on pourra y travailler.

Si une loi est nécessaire pour interdire la violence éducative, c’est précisément parce que nous l’avons presque tous subie et que les schémas qu’elle a mis en place dans nos neurones nous amènent à la reproduire, exactement comme au XIXe siècle et dans beaucoup de pays du monde aujourd’hui encore, on reproduit ou reproduisait sur ses enfants les coups de bâton subis dans l’enfance. Pour mettre un coup d’arrêt à cette chaîne de violence, il faut une loi émanant d’une autorité supérieure à celle des parents, et qui dise clairement qu’on ne doit faire violence à aucune personne humaine, à plus forte raison une personne humaine en formation.

« L’interdit chez l’enfant est une fonction structurale majeure. Plus l’interdit est énoncé, moins on a besoin de violence physique », ajoute Boris Cyrulnik.

Il est évident qu’on ne peut et qu’on ne doit pas tout permettre aux enfants. Mais accorder à l’interdit « une fonction structurale majeure, c’est faire passer au second plan la tendresse, la protection, la bienveillance, la confiance et bien d’autres formes de relations infiniment plus « structurantes » que l’interdit.

Quand Cyrulnik ajoute qu’ « autrefois, un simple froncement de sourcil permettait de se faire obéir de l’enfant » et qu’ « actuellement il n’y a plus d’autorité paternelle et (que) le recours à la violence devient un substitut très maladroit » , il oublie de dire que derrière le « froncement de sourcil », dans la plupart des cas, il y avait la menace des coups qui, tous les proverbes anciens le disent, étaient inséparables de l’autorité paternelle. Nos gifles et nos fessées ne sont pas « un substitut » d’une autorité défaillante, mais le résidu d’une méthode d’éducation au moins cinq fois millénaire qui a fait de l’humanité une des espèces animales les plus violentes de la planète en dressant les enfants à la violence dès le plus jeune âge.

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Lettre à Sandrine Garcia

Madame,

Je suis un de ces “entrepreneurs de morale” dont vous ne parlez pas avec beaucoup d’aménité dans votre livre Mères sous influence. Pire, je suis le fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire que vous mentionnez deux ou trois fois. Et pire encore, j’ai été effectivement très marqué par la lecture des livres d’Alice Miller. Dernière circonstance aggravante : j’ai écrit trois livres sur la violence éducative !

J’ai lu votre livre, Mères sous influence, avec intérêt, bien qu’avec quelque irritation parfois, vous vous en doutez, surtout dans sa seconde partie qui concerne davantage mes centres d’intérêt et mes recherches.

J’essaierai de résumer les accusations que vous portez contre le courant issu des travaux d’Alice Miller et d’y répondre au fur et à mesure :

1. Nous pratiquons un “ethnocentrisme de classe” en diffusant des pratiques éducatives propres aux classes moyennes et en disqualifiant du même coup les classes populaires sur lesquelles nous tendons à établir une “police des familles”.

Il me semble que, sur ce point, votre livre, écrit d’un point de vue sociologique, manque passablement de perspective historique. Car existe-t-il un seul mouvement historique important allant dans le sens de la reconnaissance des droits de la personne qui n’ait pas eu sa source dans des milieux sociaux qui d’une part avaient accès au savoir, d’autre part, contrairement aux classes dominantes, n’avaient aucun intérêt particulier à conserver l’ordre établi ? Les idées des Lumières à l’origine de la Déclaration des droits de l’homme sont nées dans la bourgeoisie et chez certains aristocrates.

Classes moyennes signifie classes relativement instruites et capables de diffuser les idées fondées sur les savoirs nouveaux de leur temps et allant donc nécessairement à contre-courant de l’opinion publique marquée par la tradition et peu informée. Les premières suffragettes dont l’action a abouti au droit de vote des femmes, étaient elles aussi issues de la classe moyenne, et même de sa partie la plus instruite.

Croyez-vous que les pays africains où se pratique l’excision parviendront à se débarrasser de cet usage sans l’action de personnes issues des classes les plus instruites et les plus conscientes de ces pays ? Ou bien pensez-vous que les Africaines qui luttent contre l’excision cherchent aussi à « disqualifier les pratiques des classes populaires » ?

Si le mouvement en faveur des droits de la personne ne vient pas des classes populaires, ce n’est pas dû à une infériorité de ces classes, mais au fait que les traditions ont un immense pouvoir sur notre esprit, ce qui explique la durée plurimillénaire de l’esclavage, de la violence exercée sur les femmes, des sacrifices humains, de l’excision, et de multiples usages qui ne tiennent que par tradition.

Pour se dégager d’une tradition très ancienne transmise de génération en génération, comme celle des punitions corporelles, il faut avoir eu accès à un minimum de connaissances, ce qui, malheureusement, est rarement le cas dans les classes populaires, et avoir été capable de remettre en question le mode d’éducation que l’on a subi de ses parents, ce qui est encore plus difficile.

Bref, il me semble un peu léger de stigmatiser des idées sous le prétexte qu’elles sont nées dans les classes moyennes.

D’autre part, si nous souhaitons effectivement une interdiction des punitions corporelles et humiliantes, ce n’est pas pour établir une “police des familles”. Nous souhaitons que cette interdiction ne soit inscrite que dans le Code civil et non dans le Code pénal où existent d’ailleurs déjà, sans que nous y soyons pour rien, des sanctions extrêmement sévères pour les coups et blessures, avec circonstances aggravantes lorsque les coups sont infligés par les parents.

2. Les pratiques éducatives que nous diffusons visent à moraliser les mères et à les réduire à leur fonction maternelle.

Il est vrai que c’est encore aujourd’hui sur les femmes que pèse le poids de l’éducation des enfants. Mais les choses évoluent et nous souhaitons qu’elles évoluent. De plus en plus de pères acceptent de partager les tâches d’éducation et nous souhaitons que le plus possible de mesures concrètes soient prises dans l’organisation du travail notamment pour que cette évolution s’accélère.

Il faut ajouter que le nombre d’enfants par couple diminuant, les tâches d’éducation occupent dans la durée de la vie, une place de plus en plus limitée et pourraient donc être plus facilement partagées à égalité entre les sexes.

3. En énonçant de nouvelles normes d’éducation, nous fabriquons de la déviance, puisque plus il y a de normes, plus il y a de déviances par rapport à ces normes.

Certes, quand aucune fâcheuse norme n’interdisait aux maris de battre leur femme, ils n’étaient pas déviants quand ils se le permettaient ! Heureuse époque ! La regrettez-vous ?

4. Nous dramatisons les pratiques éducatives populaires comme les tapes, gifles et fessées et les faisons entrer indûment dans la catégorie de la maltraitance.

Est-ce dramatiser la gifle que de la considérer comme une forme de violence conjugale ? Or, un enfant est encore plus vulnérable et fragile qu’une femme adulte. Pourquoi cette discrimination ? Parce que l’enfant ne comprend pas d’autre argument que les coups ? Alors, préconisons aussi la tape et la gifle pour les personnes atteintes d’un handicap mental ou pour les personnes âgées atteintes d’un alzheimer et qui refusent de faire ce qu’on leur demande. Car l’origine de la difficulté est la même : problème d’âge (très jeunes dans un cas, très vieux dans l’autre) et d’état du cerveau (immaturité dans un cas et dégradation dans l’autre).

5. Nous rejetons la résilience qui, elle, relativise le statut de victime et propose une perspective dynamique.

Ce n’est pas la résilience que nous remettons en question, mais l’importance que lui attribuent ceux qui la présentent comme la panacée. En effet, pour la juger, il faut distinguer les cas de maltraitance reconnue dans une société donnée et les cas de violence éducative tolérée.

Dans le premier cas, les enfants maltraités ont toutes les chances de trouver autour d’eux des personnes (voisins, autres membres de la famille, voire assistantes sociales, juges, policiers) qui leur feront comprendre que ce qu’ils ont subi n’est pas normal. Ayant effectué cette prise de conscience, ils courent moins de risques de reproduire ce qu’ils ont subi.

Mais un enfant qui est seulement victime de violence éducative tolérée dans la société où il vit (qu’il s’agisse de la gifle, de la fessée ou de la bastonnade) ne trouvera sans doute autour de lui que des personnes qui lui diront qu’on a bien eu raison de le frapper puisqu’il a eu tel ou tel comportement répréhensible. Et donc, il reproduira sans état d’âme ce qu’il a subi sans se poser d’autres questions.

C’est la raison pour laquelle l’usage des punitions corporelles dure depuis environ cinq millénaires malgré les convictions bien établies des adeptes de la résilience qui prétendent que seuls 20% des individus reproduisent ce qu’ils ont subi. Si c’était exact, il y a beau temps que plus personne ne frapperait les enfants. Mais les adeptes de la résilience acceptent très mal de reconnaître une exception si monumentale aux bienfaits de la résilience.

Quant à la “perspective dynamique” dont vous marquez avec raison la nécessité, nous en sommes aussi convaincus, mais ne voulons pas l’établir sur une croyance illusoire. La répétition de ce qu’on a subi n’est pas automatique, mais c’est presque la règle quand il s’agit de la violence éducative tolérée dans la société où l’on vit.

6. Nous faisons de la morale en croyant faire de la science.

Les connaissances concernant le développement du cerveau ont extraordinairement progressé durant les dernières décennies. Les découvertes concernant l’importance de l’attachement, concernant les neurones miroirs et l’imitation, les enquêtes multiples effectuées sur les effets des punitions corporelles sur la santé physique et mentale, ne laissent plus de doutes sur les effets nocifs des punitions corporelles et humiliantes. Bien sûr, chacun est libre de refuser de s’informer sur ces apports de la science. Mais c’est un peu dommage quand on est soi-même une scientifique.

7 Nous devrions remplacer une stratégie de dénonciation par une compréhension des conditions sociales, économiques et culturelles favorisant les comportements familiaux que nous jugeons déviants.

Contrairement à ce que vous semblez supposer, l’usage des punitions corporelles n’est pas du tout le propre des classes populaires. Depuis des millénaires, les punitions corporelles sont le moyen d’éducation le plus employé à tous les niveaux de la société. De multiples proverbes les ont préconisées sur tous les continents et tous les enfants les subissaient quel que soit leur milieu d’origine, de la part de leurs parents et de leurs maîtres. Ce ne sont pas les “conditions sociales, économiques et culturelles” qui favorisent cet usage, c’est le fait d’y avoir été soumis ou non dans son enfance, qu’on soit fils de roi (voir l’éducation du petit Louis XIII par Henri IV) ou fils d’ouvrier ou de paysan.

Ceci dit, il est exact que depuis un siècle et demi environ, l’intensité des punitions corporelles a sensiblement baissé dans un bon nombre de pays industrialisés dont la France (sans toutefois que le pourcentage de parents qui les utilisent ait beaucoup diminué) et, bien sûr, le mouvement a commencé d’abord dans les classes moyennes qui lisaient les livres de puériculture, et s’est étendu progressivement aux classes populaires.

Mais à la fin du siècle dernier, sont arrivées en France des familles originaires de régions du monde où le niveau de la violence éducative était resté le même que celui où on en était en France aux XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire au niveau de la bastonnade et de la flagellation. Le travail de sensibilisation est donc à poursuivre et à intensifier, non pas pour répandre “l’idéologie des classes moyennes”, mais parce que les besoins fondamentaux des enfants de ces familles sont les mêmes que ceux des enfants des classes moyennes et que les effets des punitions corporelles sur leurs comportements innés sont les mêmes que sur les enfants des familles françaises.

8. Alice Miller et nous serions “rousseauistes”.

Si vous aviez vraiment lu Alice Miller au lieu de vous contenter de parcourir son site, vous sauriez qu’elle a dénoncé dans plusieurs de ses livres les manipulations recommandées par Rousseau dans Émile. Vous pourrez lire d’ailleurs bientôt sur notre site une analyse très détaillée de l’attitude de Rousseau par rapport à la violence éducative.

 

Dernier point : Je ne comprends pas très bien comment sont compatibles avec vos critiques deux de vos remarques, l’une sur la démonstration par Philippe Ariès du mouvement historique de fond dans le sens de la valeur accordée à l’enfant (p. 375), et l’autre sur l’amélioration des conditions d’accueil des enfants dans les institutions, amélioration due à l’action des psychanalystes (pp. 214 et 274).

Le mouvement que nous représentons n’est rien d’autre que le prolongement des deux tendances ci-dessus. Trouvez-vous vraiment suffisantes dans le monde actuel la valeur accordée à l’enfant et les conditions d’accueil dans les institutions et dans les familles ? Si oui, je vous recommande la lecture du livre d’Anne Tursz, Les Oubliés, qui montre, à partir d’une enquête extrêmement rigoureuse combien les mesures de protection des enfants sont encore scandaleusement insuffisantes.

Il m’est arrivé dans cette lettre de vous répondre de façon un peu ironique. Mais reconnaissez que vous ne nous ménagez pas non plus. Croyez cependant que je souhaite sincèrement un dialogue entre nous, ne serait-ce que pour savoir si j’ai mal interprété votre pensée ou si certains de ses aspects m’ont échappé. Peut-être retireriez vous vous-même de ce dialogue un approfondissement de vos propres convictions.

Bien cordialement malgré nos différends.

Olivier Maurel

By admin

En relisant Alice Miller (4)

D’après Alice Miller, la condition essentielle pour qu’un enfant découvre de lui-même la joie spontanée de partager et de donner, est qu’il ait eu d’abord le droit de satisfaire ses besoins, c’est-à-dire d’être, comme on a tendance à le dire “égoïste”, “cupide”, “asocial”. Au contraire, des parents qui veulent “éduquer” leurs enfants à être “bons” sans leur avoir d’abord permis d’être eux-mêmes, risquent de les priver de cette joie et d’en faire des personnes qui “feront leur devoir” et s’empresseront elles aussi d’enseigner à leurs enfants le même “devoir” sans se soucier de leur permettre de satisfaire d’abord leurs besoins.

Il en va de même pour le respect. N’apprend le respect que l’enfant que l’on respecte. L’autre condition étant, pour le parent, mère ou père, de se respecter lui-même, c’est-à-dire d’avoir été respecté ou d’avoir réappris à se respecter.

Malheureusement, “une mère qui, autrefois, ne fut elle-même pas prise par sa mère pour ce qu’elle était vraiment va essayer d’obtenir, par l’éducation, du respect de son enfant. Ce sont les tragiques destinées d’un tel “respect”, poursuit Alice Miller, que j’aimerais décrire dans ce livre”.

By admin

En relisant Alice Miller (3)

La mention de l’aphorisme de Freud écrit par le créateur de la psychanalyse alors qu’il avait quinze ans ne se justifie pas beaucoup mieux que le proverbe qui ouvre l’avant-propos.

Je ne vois pas en quoi cet aphorisme montre que Freud adolescent comprenait que si beaucoup de gens croient qu’ils n’ont pas de besoins, c’est seulement parce qu’ils ne les connaissent pas. Il semble plutôt montrer que le seul Freud qu’Alice Miller reconnaissait encore au moment où elle a écrit ce livre, était le Freud presque enfant, celui qui n’avait pas encore énoncé sa théorie des pulsions.

Mais dans le paragraphe suivant, elle renonce à toute révérence à l’égard de Freud et expose sa pensée en toute clarté. Elle montre que l’enfant qu’on appelle “égoïste” est en réalité un enfant qui a des désirs propres et qui les exprime, alors que les parents ont tendance à ne considérer comme “bons” que les enfants qui satisfont non pas leurs propres désirs, mais ceux de leurs parents. “Éduquer” un enfant, c’est le plus souvent l’utiliser pour satisfaire ses propres désirs, sous prétexte de le “socialiser”. Contraint par sa dépendance à l’égard de ses parents, l’enfant apprend donc vite à “partager”, à “donner”, à “se sacrifier” et à “renoncer”, mais avant d’être capable de vrai partage et de vrai renoncement.

Inversement, “un enfant qui est allaité pendant neuf mois” donc qui, d’après Alice Miller, a pu satisfaire entièrement son désir de téter, “ne veut plus téter” et on n’a pas besoin de “l’éduquer à renoncer au sein”. Cette limite de neuf mois, qui semble assez arbitraire, a souvent opposé Alice Miller à la Leche League, qui estime, à juste titre, je crois, qu’un enfant peut téter beaucoup plus longtemps pour son plus grand bien. Alice Miller allait jusqu’à dire qu’une mère qui allaite son enfant plus longtemps le fait pour satisfaire ses propres besoins. Il me semble même qu’elle a parlé d’attitude incestueuse. Sans doute un des rares restes, chez elle, de psychanalyse orthodoxe…