Olivier Maurel

Écrivain militant – Non à la violence éducative !

By Olivier Maurel

Géographie de la violence éducative ordinaire

La carte ci-dessous, établie en novembre 2013 par l’association britannique End corporal punishment, présente les progrès dans le sens de l’interdiction de tout châtiment corporel dans le monde.  On peut y voir les différents niveaux de protection des enfants contre les châtiments corporels :

  • en vert : châtiments corporels interdits en tous lieux : écoles, institutions familles ;
  • en bleu : pays en progrès vers une interdiction complète ;
  • en jaune : châtiments corporels interdits dans certains lieux (en général écoles et institutions mais pas dans les familles) ;
  • en rouge : châtiments corporels autorisés presque partout.

Carte des niveaux de protection des enfants contre les châtiments corporels

Quant au schéma, il présente, en vert, le pourcentage des enfants (5,4%) protégés par la loi de tout châtiment corporel dans le monde.Pourcentage d'enfants protégés contre les châtiments corporels.

Comme on peut le voir et comme le disent de grands esprits, que la loi protège, eux, contre toute violence, nous sommes au siècle de l’enfant-roi !

niveaux de protection des enfants contre les châtiments corporels :

By Olivier Maurel

Deuxième lettre ouverte à Emmanuel Jaffelin

Retrouvez la première lettre ici

Cher Monsieur,

Merci pour votre réponse. Dès que je l’ai reçue, j’ai commandé votre Apologie de la punition qui, grâce à la magie de la wifi m’est arrivée en une minute.

Après lecture dans la journée de votre livre, je suis d’accord avec vous : nous sommes moins ennemis que je ne le pensais. Ou plus exactement moins ennemis que vous ne pensiez que je le pensais. Car en fait je ne vous ai jamais considéré comme un ennemi, mais comme quelqu’un qui manquait d’information sur le sujet précis des punitions infligées aux enfants.

Oui, je suis d’accord avec vous sur une multitude de points. Quand vous écrivez par exemple :

  • qu’il faut « chercher une dynamique visant à remettre le fautif en mouvement vers lui-même en même temps que vers la société » ;
  • qu’il faut « ouvrir la société pour que l’humanité prenne une nouvelle respiration »
  • qu’ « il y a en l’homme une force et une ressource qui sont, la plupart du temps, aussi peu exploitables que le pétrole enfoui dans les entrailles de la terre » ;
  • qu’il s’agit de « réparer, recoudre, restaurer » ;
  • que mieux vaudrait une justice réparatrice
  • que le système carcéral actuel est inacceptable, etc.

Et je pourrais encore longtemps poursuivre l’énumération de mes points d’accord.

Même quand vous parlez des enfants et que vous suggérez les nombreuses formes que peut prendre ce que vous appelez la « punition » : discussion, confrontation avec la ou les personnes impliquées dans la faute, recommandation d’aller s’excuser, restitution de ce qui a été dérobé, réparer ce qui a été abîmé. Tout cela me paraît bel et bon, mais je ne vois pas la nécessité de concevoir tout cela comme une « punition ». On peut le concevoir, comme vous le dites très bien, comme une réparation de la relation. Et je ne vois surtout pas la nécessité de rendre cette réparation humiliante. On peut très bien expliquer à l’enfant que si c’était lui qui était victime de la faute en question, il serait sûrement heureux de voir l’auteur de cette faute venir s’excuser et réparer. Et la privation ne me paraît pas nécessaire non plus, sauf si elle fait partie de la réparation.

Vous reconnaissez dans une note que la remise en question de la fessée et de la gifle sur la base de ses conséquences neurologiques mérite considération. C’est cela qu’il vous faut approfondir. Si vous le faites, comme je vous y ai invité dans mon premier message, vous ne pourrez plus recommander à la légère, comme vous le faites actuellement la gifle et la fessée.

Vous dites que la gifle doit être infligée avec parcimonie, que si elle devient trop fréquente elle est un échec. Vous la voyez comme le résultat d’un simple mouvement d’humeur dans le « corps à corps » familial où elle doit alterner avec les caresses. Mais la gifle n’est pas qu’un mouvement d’humeur. Elle est la répétition des gifles qu’ont subies les parents eux-mêmes et qu’ils répètent par mimétisme. Nos cousins les grands singes ne giflent pas leurs petits. C’est chez nous un réflexe acquis. Dans les pays où l’on frappe les enfants à coups de bâton, c’est le coup de bâton que l’on juge être un simple mouvement d’humeur. De plus, le risque de la répétition fréquente est d’autant plus grand qu’à partir d’un certain âge, l’enfant peut répondre par le défi : « Même pas mal ! ».

Vous citez le cas de Anders Behring Breivik, le tueur norvégien, qui a dit avoir manqué de discipline. Mais si l’on en juge par l’attitude de son père qui a quitté sa mère alors que l’enfant n’avait que un an et qui lui a marqué de plus en plus d’indifférence jusqu’à ne plus le voir du tout à partir du moment où il a eu 16 ans, et à refuser de le revoir onze ans plus tard, quand il a eu 27 ans, c’est bien évidemment d’affection et d’attention qu’il a surtout manqué. Si sa mère n’a pas compensé, ou si elle l’a élevé avec rudesse, ou les deux, il n’est pas étonnant que Breivik soit devenu ce que l’on sait. Le manque d’attention est une des pires violences.

Vous écrivez : « L’absence de punition est un semis invisible de violence. » Ce qui sous-entend que moins on punit, plus il va y avoir de violences. Or, cette affirmation est totalement démentie par l’histoire. La société des siècles passés où l’on punissait beaucoup plus violemment les enfants qu’aujourd’hui était incomparablement plus violente. Les révolutions et les conflits politiques et sociaux en France y ont fait au XIXe siècle des milliers de morts. Au XXe, où la violence éducative a heureusement beaucoup baissé en intensité, les mêmes conflits (à l’exception des guerres internationales et coloniales), ont fait certes, trop de victimes, mais incomparablement moins qu’au XIXe où tous les adultes avaient acquis dès leur enfance un seuil très élevé d’intolérance à la violence. Exactement comme aujourd’hui dans les pays où l’on s’entre-massacre de façon épouvantable et où les enfants sont élevés comme on les élevait en France au XIXe siècle.

A voir les quelques allusions que vous y faites, vous semblez encore croire à la théorie des pulsions de Freud. Plus on approfondit la recherche sur le développement du cerveau et du comportement des enfants, plus on voit que cette théorie est complètement dépassée. Les pulsions de parricide, d’inceste et de mort sont des mythes. En réalité, les enfants, qui sont, comme vous le rappelez avec Aristote, des animaux sociaux, naissent avec des comportements innés qui sont tous relationnels : attachement, imitation, empathie, altruisme (regardez les expériences de Warneken sur internet). Ces comportements innés leur confèrent des prédispositions à vivre en harmonie avec leurs semblables. Si ces prédispositions sont convenablement cultivées par des parents réellement présents, affectueux et attentifs, elles se développent. Mais si on traite les enfants avec gifles et fessées, comme vous le recommandez, on pervertit ces prédispositions. L’enfant apprend qu’attachement et violence peuvent aller ensemble (bonjour la violence conjugale, voire le masochisme!), ses neurones miroirs enregistrent les gestes de violence de ses parents et le préparent à les reproduire sur plus faible que lui (à l’imitation du schéma adulte frappeur- enfant), sa capacité d’empathie peut être réduite, voir détruite par la nécessité de se blinder, et son altruisme naturel peut être découragé. Sans compter les effets sur sa santé physique et mentale par le biais du stress subi dans une situation où l’enfant ne peut ni fuir ni se défendre (cf. les expériences de Laborit).

Ce dont vous ne vous rendez pas compte, il me semble, c’est que vous vivez non pas dans un monde où les enfants sont majoritairement rois, mais dans un monde où, dans la majorité des pays, les enfants sont encore battus à coups de bâton et de fouet, et que quand les parents qui utilisent ces méthodes entendent vos propos, ils se disent : «Nous avons bien raison de ne pas suivre les conseils des Occidentaux, eux-mêmes en reviennent. Regardez ce philosophe si sympathique qui recommande de punir, d’humilier et de frapper les enfants. Ne changeons surtout pas nos méthodes ! »

Vous avez actuellement accès aux médias : je vous en prie, ne détruisez pas par des propos inconsidérés tout le travail que nous sommes quelques-uns à mener en permanence pour que les enfants soient traités partout avec le respect dont ils ont besoin. N’oubliez pas que lorsque vous vous exprimez à la radio ou à la télévision, on ne retrouve dans vos propos aucune des nuances que vous avez mises dans votre livre, notamment par exemple, sur les conséquences neurologiques de la gifle ou de la fessée, et que tout ce qu’on retient, c’est : giflons, fessons, punissons, humilions les enfants pour ne pas en faire des enfants rois ! Est-ce vraiment le résultat que vous voulez obtenir ?

Bien cordialement.

Olivier Maurel

By admin

Contre la violence éducative : laissons plutôt grandir notre aptitude innée à l’empathie !

Cet article a paru dans le magazine L’Enfant et la Vie n°176 du premier trimestre de cette année.

La violence éducative ordinaire comprend, entre autres, les châtiment corporels (dont les fessées), les punitions, humiliations, manipulations… Olivier Maurel les étudie depuis plus de vingt ans pour nous aider à nous en détourner. Rencontre avec un homme à la fois père de cinq enfants et grand-père, qu’on sent profondément humble et bon.

Gaëlle Brünetaud Zaïd, rédactrice EV

Vous pouvez télécharger l’article ici.

By Olivier Maurel

Lettre à Emmanuel Jaffelin

Monsieur,

J’ai écouté hier votre interview sur France Culture et je viens de regarder la vidéo où vous faites l’apologie de la gifle. J’avais un préjugé favorable à votre égard à cause de votre Éloge de la gentillesse, mais votre Apologie de la punition me laisse beaucoup plus perplexe.

J’ai l’impression qu’à partir de la juste critique que vous faites du système carcéral, vous avez développé une théorie que vous avez appliquée aux punitions infligées aux enfants, mais sans être vraiment informé ni de ce qu’est la réalité de ces punitions, ni de leurs effets sur des personnalités et des corps en construction.

Quand vous déplorez que la société ait dépossédé les parents du pouvoir de punir, allez-vous jusqu’à regretter qu’elle les ait dépossédés du droit de les battre à coups de bâton ou de fouet comme cela s’est fait partout, sauf dans certaines sociétés de chasseurs cueilleurs, depuis probablement le néolithique, et comme cela continue à se faire dans la plupart des pays du monde ? Si vous n’acceptez que la gifle et la fessée à cause de leur innocuité supposée, détrompez-vous : de multiples études récentes ont montré que ces formes de violences ont de multiples effets sur la santé physique et mentale des enfants. Vous connaissez un de ces effets si vous avez lu les Confessions de Rousseau. Plusieurs lecteurs et lectrices de mes livres sur ce sujet m’ont assuré qu’il leur était arrivé exactement la même chose qu’à Rousseau. Et l’abondance des sites sado-masochistes sur internet permet de penser que ces cas ne sont pas isolés. Même si la fessée n’avait que cet effet nocif (or elle en a bien d’autres),en recommandant l’usage de la fessée aux  parents, vous les invitez tout simplement à jouer à la roulette russe avec la sexualité de leurs enfants. Ne pensez-vous pas que c’est une attitude un peu irresponsable ?

Votre éloge de l’humiliation me semble tout aussi irresponsable. Autant il est important d’expliquer clairement à un enfant que l’acte qu’il vient de commettre est inacceptable, autant il est inacceptable de l’humilier, lui, pour un acte dont, la première fois qu’il le commet, il n’est pas conscient de la portée. La distinction entre la condamnation de l’acte et celle de la personne est essentielle. Et elle le reste même s’il y a répétition de l’acte. Contrairement à ce que vous dites et à l’étymologie, humilier, ce n’est pas rendre humble, c’est faire perdre toute estime de soi, c’est briser le ressort qui permettrait un redressement, surtout chez un enfant.

Je vous invite à vous informer sérieusement sur ce qu’est réellement la violence éducative et sur ses conséquences. Vous trouverez toutes les informations nécessaires sur le site de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, notamment dans sa rubrique Textes scientifiques.

Bien cordialement.

Olivier Maurel
Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire
http://0liviermaurel.free.fr

By admin

Lettre d’information de Février

La lettre d’information du mois de février a été envoyée !

Pour la télécharger en .pdf cliquer ici, pour s’inscrire à la liste de diffusion et la recevoir par email suivre les instructions de la page « Lettre d’information ».

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Lettre ouverte à un pasteur suisse partisan du bâton biblique

Lettre publiée sur Facebook le 30 janvier 2014

Un ami m’a signalé une vidéo d’un pasteur suisse, Matthias Boelsterli, qui affirme que le meilleur moyen de discipliner les enfants, le moyen biblique, est le bâton.

Pourquoi ? Parce que si tu donnes des coups de bâton à ton enfant, il n’en mourra pas (c’est la Bible qui le dit). Parce qu’il vaut mieux frapper avec un bâton qu’avec la main parce que la main c’est fait pour bénir. D’autre part, le bâton, il faut aller le chercher, donc on a le temps de réfléchir. En dernière minute quand même il ajoute qu’il faut frapper avec modération.

J’ai mis un commentaire au bas de la vidéo. Le voici :

Monsieur le Pasteur,

Je partage un bon nombre des conseils que vous donnez aux parents. Mais, sur trois points, je ne suis absolument pas d’accord avec vous.

Primo : l’application stricte des conseils éducatifs de l’Ancien Testament. Leur application stricte suppose qu’on lapide les garçons indociles et les filles qui ont perdu leur virginité (Deutéronome 21, 18-21 et 22, 20). Du moment qu’on a heureusement remis en question ces préceptes, il est permis (et recommandé, à mon avis) de remettre en question ceux qui conseillent de battre les enfants.

Secundo : la fidélité à l’enseignement de Jésus. Tout ce que dit Jésus sur les enfants et notamment le fait qu’il nous les présente comme des modèles (« Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent »), mais aussi tout ses propos sur la douceur, sur le pardon, sur le respect des plus petits d’entre nos frères est incompatible avec le fait de battre les enfants. Ce qu’il a dit des enfants était sans doute la partie la plus révolutionnaire de son enseignement, mais cela n’a pas été compris, précisément parce que quand on a été un enfant battu, comme l’ont été ses disciples élevés selon les préceptes de l’Ancien Testament, on se considère comme coupable, on considère les enfants comme coupables et il nous devient presque impossible de penser qu’on peut élever les enfants sans la menace ou l’application du bâton.

Tertio : le bâton, d’après vous, ferait beaucoup de bien aux enfants. Je vous recommande d’aller sur le site de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (www.oveo.org) et de lire notamment toutes les études scientifiques qui montrent les effets de la violence sur les enfants.

Vous verrez que battre les enfants est une des meilleures manières de pervertir leurs qualités naturelles.

Bien cordialement.

By admin

Les chiens de Seligman et la violence éducative.

Article publié le 16 janvier 2014 sur ma page Facebook.

Les défenseurs des punitions corporelles les justifient parfois par la dureté de la vie : « Il faut bien y préparer les enfants », nous dit-on.

Les punitions corporelles seraient en quelques sorte un entraînement qui permettrait aux enfants de mieux affronter les épreuves de la vie. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionnent les mammifères que nous sommes. Les expériences menées sur des chiens par le psychologue américain Martin Seligman, en 1976, et dont je n’ai parlé dans aucun de mes livres, ont montré au contraire qu’un animal puni perd une partie de son aptitude à réagir aux situations de stress. Ces expériences sont cruelles, mais du moment qu’elles ont été faites et qu’il est trop tard pour les empêcher, tant vaut-il au moins profiter de leur enseignement.

Seligman a soumis des chiens à des chocs électriques dans deux cages différentes : l’une dans laquelle le chien pouvait interrompre les chocs en appuyant sur un levier, l’autre qui n’offrait aucune possibilité d’action sur le circuit électrique. Placés ensuite dans une situation nouvelle où, enfermés également dans une cage, les deux chiens pouvaient facilement échapper aux chocs électriques en franchissant une cloison basse, ils ont réagi différemment.

Le premier chien qui avait pu échapper aux chocs électriques avait gardé intacte sa capacité à réagir à une situation dangereuse, et il a immédiatement franchi la cloison qui l’a mis à l’abri des chocs. Le second, qui avait appris son impuissance à maîtriser une situation potentiellement dangereuse, a subi passivement les chocs et n’a pas cherché à franchir la cloison. C’est ce qu’on a appelé l’impuissance apprise ou « learned helplessness ».

Il serait bon que tous les parents et tous les enseignants connaissent cette expérience. Les enfants soumis à des violences auxquelles ils ne peuvent pas échapper, puisqu’ils sont totalement dépendants de leurs parents, apprennent non seulement par leur intelligence mais aussi par leur corps, un comportement d’impuissance et de résignation à l’échec qui peut être dangereux.

Ainsi, l’expérience des punitions loin de préparer à affronter les difficultés de la vie, provoque au contraire une incapacité à réagir face à ces mêmes difficultés. Il est très probable que les violences verbales ou psychologiques, notamment les jugements dépréciatifs, agissent de la même façon sur le psychisme ; que la soumission à la violence conjugale prend sa source dans les mêmes expériences d’échec subies depuis la petite enfance sous les punitions des parents et que l’habitude de recevoir des fessées risque de rendre les enfants incapables de réagir de façon appropriée à un abus sexuel.

By admin

V comme Violence Éducative

Article publié dans l’abécédaire des sociétés modernes

On bat les enfants depuis 5000 ans, c’est-à-dire au moins depuis l’invention de l’écriture. Les multiples proverbes que celle-ci nous permet de connaître témoignent que partout dans le monde il était vivement recommandé aux parents de battre leur progéniture. Cette méthode d’éducation s’est maintenue inchangée pendant des millénaires dans la plupart des pays du monde. Dans les pays où aucune évolution ne s’est produite, des enquêtes réalisées à la fin du XXe siècle ont montré que cette méthode était appliquée, sous la forme de coups de bâton, de fouet, de ceinture ou d’autres instruments par 80 à 90% des parents (i). Autrement dit, pendant 5000 ans au moins, la quasi-totalité de l’humanité a subi ce que nous considérons aujourd’hui comme une forme violente de maltraitance.

Aujourd’hui, en France, au terme d’une lente évolution entamée au XVIe siècle on considère comme des formes de maltraitance les coups de bâton ou de ceinture (ce qui ne signifie pas, loin de là, que l’usage de ces punitions ait entièrement cessé). Mais la majorité de l’opinion publique continue à trouver tout à fait normal de gifler, fesser et frapper les enfants, à condition que les coups ne laissent pas de traces. Et on considère la question de la fessée comme tout à fait dérisoire et indigne de l’attention que lui accordent le Conseil de l’Europe et toutes les organisations internationales qui veulent abolir cet usage. Mais on ignore en général que les enfants subissent bien d’autres formes de violences selon les coutumes des familles : coups de toutes sortes donnés à main nue ou au moyen d’ustensiles divers, pincements, tirages de cheveux ou d’oreilles, poivre dans les yeux, savon dans la bouche, positions douloureuses dans
lesquelles on maintient les enfants, menaces, insultes, jugements dépréciatifs, etc.

Il est pourtant paradoxal de conserver l’usage de frapper les enfants alors que, depuis le XIXe siècle et au cours du XXe, on a successivement interdit de frapper les prisonniers, les domestiques, les hommes d’équipage et, plus récemment, les femmes, même si cette dernière interdiction est loin d’être respectée. D’autant plus que de nombreuses études récentes ont montré que la violence, même de faible intensité, infligée aux enfants a des conséquences nocives sur leur santé physique et mentale, notamment par le biais du stress, et sur leurs comportements.

Il serait d’autant plus souhaitable de s’en rendre compte que les recherches sur le développement des enfants effectuées au cours des dernières décennies ont aussi montré qu’ils portent en eux de façon innée de remarquables capacités relationnelles qui peuvent être altérées, voire perverties, par la violence physique, verbale et psychologique, si faible soit-elle. Ces capacités relationnelles sont l’attachement (ii), l’imitation (iii), l’empathie (iv) et l’altruisme. Elles n’ont rien d’étonnant chez l’animal social que nous sommes. Mais, la confrontation entre l’attachement de l’enfant et la violence parentale peut créer dans l’esprit de l’enfant une dangereuse alliance entre amour et violence qui risque de ressurgir plus tard sous la forme de la violence conjugale. Frapper un être qui apprend presque tout par imitation, c’est d’abord, avant de lui apprendre à être sage, lui apprendre à frapper (la découverte récente des neurones-miroirs conforte particulièrement cette hypothèse). Frapper un enfant doté d’empathie, c’est l’obliger à s’endurcir, à se blinder, à se couper de ses propres émotions au risque de ne plus ressentir celles des autres et de devenir capable de leur infliger les pires souffrances sans états d’âme.

Quant à l’altruisme dont de récentes recherches en Allemagne (v) ont montré que des bébés de 18 mois sont déjà capables spontanément, une autre étude effectuée en vue d’en dégager les conditions a porté sur les Justes (vi), ces femmes et ces hommes qui, sous l’occupation allemande, ont sauvé, au risque de leur vie, des Juifs menacés de déportation. Or, le couple d’Américains qui a entrepris cette enquête a eu l’idée de demander aux quatre cents Justes qu’ils ont pu retrouver comment ils avaient été élevés. Les quatre réponses qui sont revenues le plus souvent ont été les suivantes :
- ils ont eu des parents affectueux ;
- ils ont eu des parents qui leur ont enseigné l’altruisme ;
- leurs parents leur ont fait confiance ;
- ils ont eu une éducation non autoritaire et non répressive.
Les deux premières conditions sont en général remplies par la plupart des parents. Mais les deux dernières, surtout à la fin du XIXe siècle et au début du XXe où ces Justes ont vécu leur enfance, devaient être bien moins fréquentes et expliquent peut-être le petit nombre de ces Justes. Cet exemple semble montrer que lorsqu’on permet aux enfants d’épanouir leur personnalité, tout en leur donnant des exemples structurants (ici l’altruisme), et sans intervenir par la violence et l’autoritarisme dans leur développement, on obtient des personnalités exceptionnelles par leur générosité et leur courage, tout simplement sans doute parce que les enfants portent en eux dès leur naissance les bases émotionnelles de l’humanité, au sens le plus fort de ce terme.

 

Olivier Maurel (auteur du livre La violence éducative, un trou noir dans les sciences humaines, éditions l’Instant Présent, 2012, et président fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire)

 

i Pour plus de précisions, voir mon livre Oui, la nature humaine est bonne, Comment la violence éducative la pervertit depuis des millénaires (Robert Laffont, 2009), pp. 43 à 45.

ii L’attachement a été étudié en particulier par John Bowlby et Mary Ainsworth au cours des années cinquante du XXe siècle. En France, Nicole et Antoine Guédeney ont consacré plusieurs ouvrages à ce sujet.

iii L’étude de cette capacité des enfants a particulièrement progressé avec la découverte par Giaccomo Rizzolatti des neurones-miroirs en 1996.

iv Elle a été particulièrement étudiée par Jean Decéty. Lire également sur ce sujet Gérard Jorland et Alain Berthoz, L’Empathie, Odile Jacob, 2004.

v Recherches menées par Felix Warneken et Michael Tomasello à l’Institut Max-Planck de Leipzig. On peut voir leurs expériences sur Internet : http://www.youtube.com/watch?v=Z-eU5xZW7cU

vi Samuel P. Oliner, The Altruistic Personality: Rescuers of Jews in Nazi Europe (New York: Free Press 1988, coauthor, Pearl M. Oliner).

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Émission « 7 milliards de voisins » (RFI)

Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?

Le 18 novembre 2013 Emmanuelle Bastide recevait Olivier Maurel, président de l’OVEO (Observatoire de la violence éducative ordinaire) et Dominique Marcilhacy, porte-parole de l’Association Union des familles en Europe.

À réécouter sur le site de RFI ou directement ci-dessous :

Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?Faut-il interdire la fessée et les châtiments corporels ?

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France Info Junior : Faut-il une loi pour interdire les claques et les fessées ?

Que dit précisément la loi. Où en est la France, où en sont les autres pays, avec les claques et les fessées ?

Olivier Maurel, président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire – un organisme favorable à ce que l’interdiction de la fessée soit inscrite dans la loi – répond à nos abonnés à Mon Quotidien, le quotidien des 10-14 ans.

Au micro : Emma, Jean, Matthias et Nicolas, ils ont 10 ans.

Retrouvez l’émission et le bonus via le player ci-dessous ou en .mp3 ici :