Un mythe tenace : la rapidité de l’action violente

Un mythe tenace : la non-violence, c’est trop lent, en cas d’urgence, seule la violence est efficace.

Dans les cas d’agression individuelle, il existe des circonstances où même le plus fervent partisan de la non-violence, face, par exemple, à un agresseur fou furieux, sera contraint à la fuite, à la passivité ou au recours à la violence (ce qui ne le sauvera pas nécessairement!).

Mais les situations d’urgence où il est possible d’intervenir individuellement et efficacement par la violence sont, en fait, rarissimes, soit par manque de temps, soit par manque de moyens.

Si l’on se donnait en permanence les moyens de la violence, c’est-à-dire si chacun était armé, la société deviendrait un sinistre Far West. Les Etats-Unis en font aujourd’hui l’expérience ! On n’y compte plus les tueries dans les écoles et la criminalité y est supérieure à celle de bien des pays du même niveau social.

D’autre part, ni leurs gardes du corps ni leurs armes n’ont pu protéger contre leurs agresseurs des quantités de personnalités et de policiers armés victimes d’attentats.

En réalité, dans la plupart des cas d’urgence, ou bien on se trouve dans l’impossibilité totale d’agir, ou bien on a le choix entre violence et non-violence.

Mais beaucoup de gens s’imaginent que la non-violence est beaucoup trop lente dans son action et que pour faire cesser certaines situations d’injustice, il n’y a pas d’autre moyen que de recourir à la violence.

Or, l’idée que la violence agit plus vite que la non-violence dans les conflits collectifs est un mythe qui ne se maintient dans les esprits que parce qu’on n’a pas pris la peine de comparer à travers l’histoire la rapidité d’action des moyens violents et des moyens violents.

Quand on examine systématiquement la durée moyenne des conflits menés à travers le monde depuis 1945 par la guérilla, la guerre civile ou le terrorisme dans une trentaine de pays, on s’aperçoit qu’elle est de plus de 23 ans et que beaucoup de ces conflits ne sont pas encore terminés et peuvent donc rallonger encore cette moyenne.

Ces conflits ont causé des centaines de milliers de morts, rendu exsangues les pays où ils se sont déroulés et laissé sur place des millions de mines qui tuent ou mutilent chaque jour des dizaines d’enfants et d’adultes.

Dans la mesure où leurs objectifs auraient été compatibles avec la non-violence, si les leaders de ces guérillas et de ces mouvements terroristes avaient recouru avec la même détermination à des moyens non-violents pendant le même nombre d’années, ils auraient certainement obtenu des résultats infiniment supérieurs, sinon des victoires complètes, sans les conséquences catastrophiques des conflits armés.

Une grande partie des conflits évoqués ci-dessus sont d’ailleurs presque oubliés par les médias pourtant avides de sang et de violence. La guerre, quand elle dure des années, devient une sinistre routine et n’a même plus la vertu de réveiller l’opinion publique.

Contrairement aux États du XIXe siècle qu’une simple insurrection suffisait parfois à renverser, les États modernes, démocratiques aussi bien que totalitaires, sont capables de résister très longtemps et efficacement à des tentatives de déstabilisation par voie de terrorisme ou de guérilla. Dans les pays communistes, aucune forme de résistance armée n’a jamais pu seulement s’ébaucher. Dans les pays plus ou moins démocratiques, des États comme l’Allemagne, l’Italie, le Pérou, ont pu tenir tête des années durant à la « bande à Baader », aux Brigades rouges, au “Sentier lumineux” et ils ont été plutôt renforcés qu’affaiblis par cette épreuve.

Comparées à ces conflits, les révolutions non-violentes qui ont renversé en quelques mois Marcos aux Philippines en 1986 et Ratsiraka à Madagascar en 19911 , la “révolution de velours” en Tchécoslovaquie, la “révolution orange” en Ukraine, paraissent d’une rapidité foudroyante et ont été incomparablement moins meurtrières. Quant à la résistance non-violente des Polonais beaucoup la voient comme une des causes de l’effondrement du système soviétique.

La prétendue rapidité d’action de la lutte armée et la prétendue lenteur de la non-violence  sont des mythes sans aucun rapport avec la réalité. Il serait temps d’en prendre conscience et de le faire savoir.